Groupe
X-Démographie-Economie –Population
Exposé
du Mardi 10 Mars 2009
Le Japon face au déclin annoncé
de sa population
Par Monsieur Jacques
Véron
Directeur de
Recherches
Institut
National d’Etudes Démographiques
Le
Japon agricole du 18ème siècle se considérait déjà comme surpeuplé
(26 millions d’habitants en 1721), il pratiquait largement l’avortement, la
vente d’enfants et même l’infanticide. Mais, grâce à la révolution
industrielle, le Japon de 1980 compta 117 millions d’habitants et celui d’aujourd’hui
127 millions soit presque cinq fois autant qu’alors.
Ce
fut d’abord en conquérant un empire que les Japonais crurent résoudre leur
problème de surpeuplement, mais après 1945 il faut bien renoncer aux espoirs
outre-mer et regarder la réalité en face. La croissance japonaise est alors de
plus d’un million par an et le pays est dévasté et ruiné. Il faut à la fois
reconstruire et contenir la croissance de la population, d’où, en 1948, la loi
dite « de protection eugénique » qui contribue à la diffusion de la
contraception, libéralise l’avortement et autorise la stérilisation. En
conséquence le nombre moyen d’enfants par femme baisse de 4 à 2 entre 1947 et
1957 et, de 1953 à 1974 cet indice sera plus faible qu’en France, avant que la
fécondité française ne baisse à son tour.
Le
Japon a vécu un schéma presque classique de transition démographique, avec
toutefois une baisse relativement lente de la mortalité. Mais il y a quand même
quelques particularités comme celle de l’année « Cheval et feu » du
calendrier sino-japonais (1966), année considérée comme maléfique pour les
filles et qui a vu une baisse de près de 20% du nombre des naissances, baisse
annulée dès l’année suivante.
Dans
ces conditions le Japon a vécu ce dernier demi-siècle une « fenêtre démographique »
favorable avec une grande proportion de population dans les âges actifs (15-64
ans). Cette proportion qui était de 58% dès 1920, monte à 60% en 1950 et
culmine à 69% en 1970, elle est encore de 64% aujourd’hui. Bien entendu cette
évolution s’accompagne d’un basculement des enfants vers les seniors : les
0-14 ans qui étaient 36% en 1920 ne sont plus que 13% aujourd’hui, tandis que
dans le même temps la proportion des seniors à cru de 6% à 23%. Il est loin le
temps où les entreprises japonaises publiaient avec fierté la moyenne d’âge
particulièrement jeune de leur personnel…
Un
élément tout à fait remarquable de la société japonaise est une espérance de
vie qui est la plus élevée au monde. Celle-ci a cru de 59 à 79 ans pour les
hommes entre 1950 et aujourd’hui et, encore plus remarquable, de 63 à 86 ans
pour les femmes !
Tout
ceci s’accompagne de changements familiaux importants, pas tant dans l’âge de
la mère lors de la naissance du premier enfant (il passe de 25 à 28,5 ans entre
1950 et 2009) que dans la proportion des célibataires : chez les femmes de
30-34 ans cette proportion qui était de 6% en 1950 est de 34%
aujourd’hui ! Il faut aussi tenir compte d’un élément essentiel :
contrairement aux pays développés d’occident, la proportion des naissances hors
mariage reste très faible, seulement 2%. La combinaison de ces deux derniers
éléments a bien sûr un effet massif sur la natalité. Ajoutons une grande
augmentation du nombre des personnes vivant seules tandis que les foyers où
vivent trois générations, qui représentaient encore 54% de la population en
1975, n’en concernent plus que 21% aujourd’hui.
Mais
le Japon comporte un mélange très particulier d’innovation et de tradition. Les
relations hommes-femmes ont peu évolué et le cycle du travail professionnel
féminin demeure très traditionnel avec un premier maximum (70% ) vers l’âge de
25-28 ans, un creux prononcé puis un second maximum à peine plus élevé que le
premier vers 45-55ans.
Avec
ses 127 millions d’habitants le Japon d’aujourd’hui atteint une densité de 336
habitants au kilomètre carré, il compte pratiquement autant de naissances que
de décès (environ 1 100 000 par an chacun) et son taux d’urbanisation
est de 67%. Bien entendu ce quasi équilibre actuel s’accompagne d’un
vieillissement rapide car l’espérance de vie est élevée et l’indice de
fécondité n’est plus que de 1,3 enfant par femme.
On
peut dire que la société japonaise ne refuse pas vraiment l’enfant, mais
qu’elle a une claire conscience de son coût en l’absence de toute politique familiale.
Examinons
maintenant les perspectives d’avenir.
La
pyramide des âges japonaise est bien sûr très tourmentée, on y distingue
immédiatement la guerre puis le court baby-boom d’après guerre. La faiblesse
récente et actuelle de la natalité lui donne une forme de poire très prononcée,
même s’il y a une légère remontée ces deux dernières années. Cette pyramide est
typique d’une société en voie de vieillissement à la fois par le haut (grande
espérance de vie) et par le bas (natalité insuffisante).
Les
prévisions pour 2025, 2055 et 2105 se font bien sûr selon la méthode classique
avec une hypothèse haute, une hypothèse moyenne et une hypothèse basse tant
pour la natalité que pour la mortalité. Il est vrai que même l’hypothèse haute
de natalité n’ose prévoir un retour au remplacement des générations, elle se
contente de remonter l’indice à environ 1,6 enfant par femme.
Dans
ces conditions on assiste à une décroissance d’abord lente puis de plus en plus
rapide de la population japonaise ( 120 millions en 2025, entre 84 et 98 millions en 2055, entre 35 et
75 millions en 2105), mais c’est la pyramide des âges de 2055 qui est la plus
impressionnante : la cohorte la plus nombreuse (ensemble des personnes
nées la même année) est celle de 81 ans, donc celle née en 1974 – les enfants
de ceux nés pendant le baby-boom – et cette cohorte est trois fois plus
nombreuse que celle des nouveau-nés ! La proportion des seniors dépassera sans doute
40% , et approchera peut-être 50% pendant la deuxième moitié du siècle…
Les
Japonais sont conscients de cette situation. Le grand public en a pris
conscience lors du « choc des 1,53 » (enfant par femme) en 1995, et,
pris entre ces sombres perspectives et la grande densité actuelle de l’archipel,
les Japonais cherchent des solutions.
Une
solution pourrait-elle être un recours à l’immigration ? Il y a 2 millions
d’immigrés dans l’archipel (Coréens : 29% , Chinois : 27% ,
Brésiliens d’origine japonaise : 15% , Philippins : 9% ) ; mais
d’une part l’immigration est d’une efficacité médiocre contre le vieillissement
– les immigrés vieillissent à leur tour – et d’autre part les conditions
d’immigration, même récemment améliorées, restent difficiles. Ajoutons-y une
xénophobie traditionnelle des Japonais, même envers les Brésiliens d’origine
japonaise, et la vulnérabilité des emplois des immigrés en cas de crise…
Le
défi auquel est confronté le Japon est un défi vital, s’il s’en sort son
exemple sera utile à l’humanité entière.
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Questions
Y a-t-il beaucoup de
cas de stérilité ?
Il y en a bien sûr, mais leur proportion n’a guère varié et ne saurait en aucun cas expliquer les évolutions récentes.
En Allemagne il y a un refus de l’enfant,
même chez de nombreux couples mariés, peut-on dire qu’il en est de même au
Japon ?
Non, ce que l’on voit au Japon, c’est un refus de la famille traditionnelle. Mais rares sont les couples mariés qui n’ont pas au moins un enfant.
Vous avez dit que l’opinion publique était
consciente de la situation. Ne serais-ce pas à cause de la question des
retraites ?
Il est vrai que pour beaucoup le problème des retraites est l’arbre qui cache la forêt, la pointe de l’iceberg, mais ce n’est pas général. De très nombreux Japonais comprennent parfaitement que les retraites ne sont que l’un des aspects du problème.
L’exemple de Singapour incite à la réflexion. Pendant longtemps le gouvernement de Singapour a poussé, avec succès, à la limitation des naissances par diverses mesures incitatives. S’étant rendu compte qu’il était allé trop loin, il tente de renverser la vapeur, mais s’aperçoit que c’est une tâche beaucoup plus difficile.
Quelle est l’influence de la crise sur le
Japon ?
Dans le domaine démographique, l’influence de la crise est un recul sur les possibilités d’immigration. Il y aura certainement aussi une influence sur la natalité.
Que pensez-vous de la thèse de votre
collègue Philippe Bourcier de Carbon, selon laquelle
la natalité dépend essentiellement du rapport du revenu des jeunes couples à
celui de leurs ainés ?Il en déduit que les seniors prenant de plus en plus
d’importance, grâce à leur nombre grandissant, il n’y a aucun espoir de
retourner la situation et nous sommes dans une situation très difficile.
Cette question entraîne une discussion très animée entre les divers participants. Monsieur Véron présente quelques objections et souligne qu’il y a des retournements inexpliqués, mais convient qu’il faut porter la plus grande attention à ces phénomènes et qu’il faudra sans doute que l’Europe ait une politique volontariste vigoureuse en démographie.
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