Groupe X-Démographie-Economie-Population
Conférence du 16 Janvier 2002
Mondialisation et syndicalisme
Par Jean-François Trogrlic
Secrétaire national de la CFDT
La mondialisation est un sujet d’une brûlante actualité sur lequel les opinions sont en général tranchées. Dans le public les opinions négatives dominent, mais il n’en est pas de même dans les entreprises où sans négliger les aspects défavorables (bouleversement des habitudes, nécessité d’adaptations rapides, concurrence du tiers-monde sur les emplois peu qualifiés...) on juge les aspects favorables autrement plus importants.
Les opinions négatives sont bien sûr très liées à toutes les transformations que nous voyons sous nos yeux. Le monde a perdu ses repères, toutes sortes d’informations courent la planète dans tous les sens, les modes de vie de chacun sont connus de tous excitant ici la pitié ou le dégoût, là l’admiration, la jalousie, l’envie voire la haine...
Les créations d’emplois sont beaucoup moins ressenties que leurs disparitions. De la main d’œuvre qui manque à tel endroit, c’est une notion intellectuelle ; mais un chômeur qui vient d’être licencié, c’est un homme en chair et en os. Ce sentiment est d’autant plus vif que ce sont généralement les emplois les moins qualifiés, donc les chômeurs les plus difficilement reclassables, qui sont touchés...
Par ailleurs nous assistons à une montée des conflits, en particulier depuis le 11 Septembre. L’Europe n’est pas épargnée (Kosovo, Tchétchénie...) et la mondialisation actuelle apparaît plus guerrière que pacifique.
Des mouvements opposés se constatent, d’un côté l’édification de grands ensembles régionaux et transnationaux (Union Européenne, Mercosur, Alena...), de l’autre des fragmentations : la Tchécoslovaquie s’est coupée en deux, la Yougoslavie s’est fractionnée encore bien davantage et même en Europe occidentale des tendances autonomistes ou séparatistes se manifestent en Italie, en Espagne (Pays Basque, Catalogne), en France et en Belgique.
La modification des rapports d’échange est fantastique, les entreprises s’internationalisent de plus en plus, la finance tend à devenir globale. Cela fait un contraste saisissant avec l’impuissance de plus en plus grande des états.
Notre confédération syndicale, la CFDT, a clairement fait le choix de l’Europe et refuse tous les replis hexagonaux. Nous considérons, au moins pour plusieurs années, le cadre européen comme le cadre idéal de notre action. La régulation politique économique, financière et sociale exige une échelle large et le vrai problème n’est pas de nier la mondialisation, c’est de la rendre solidaire et profitable à tous.
Il y a en France de larges secteurs de l’opinion qui ont du mal à accepter les nouvelles contraintes - c’est la fameuse " exception française " - même si bien sûr on accepte sans discuter les bénéfices de la nouvelle situation.
Il faut Messieurs que vous jetiez un coup d’œil rétrospectif sur l’immense modification de l’action syndicale que tout cela a entraîné.
Après 1945 la France est à reconstruire, la place de la France est à reconquérir, cela va exiger un Etat fort, un secteur public et nationalisé important et performant. Il en sortira un capitalisme à la française très particulier et très lié à l’Etat (quand Renault éternue la France a la fièvre...) et c’est dans ce cadre que se développera l’action des syndicats.
Mais vers 1980 ce système montre ses faiblesses face aux premières manifestations de la mondialisation. Heureusement que nous avions été un peu rodés par les accords européens, en particulier par le traité de l’Euratom et celui de la CECA (Communauté européenne du charbon et de l’acier). Mais il faut comprendre que notre système de relations sociales était presque encore celui de la libération : intervention générale et décisive de l’Etat, fort peu de concertations ni de négociations. Un exemple récent est celui de la loi dite " de modernisation sociale ", finalement rejetée par le Conseil constitutionnel, mais pour laquelle le gouvernement n’avait consulté ni les syndicats ni le MEDEF...
Le modèle moderne, celui de la mondialisation, associe les salariés, l’entreprise et les actionnaires, il n’est donc pas étonnant que les entreprises nationalisées aient le plus grand mal à passer à l’échelle mondiale. Cela est d’autant plus vrai que les marges de manœuvre des Etats européens sont de plus en plus réduites face aux pouvoirs de la commission de Bruxelles.
Quelques exemples concrets de ces pouvoirs : la réforme de la politique agricole commune, la libéralisation de l’espace aérien européen (négociée et signée en 1989-91, mise en oeuvre en 1996) etc. Quand la commission de Bruxelles décide, sur la demande d’EDF, que désormais tout producteur européen d’électricité pourra traverser tout pays de l’Union pour vendre sa production, EDF est ravie de pouvoir surmonter ainsi l’opposition espagnole à ses projets de vente au Portugal... même si les " souverainistes " déplorent ce nouvel abandon.
La mondialisation conduit parfois à des résultats surprenants, ainsi Carrefour est le premier employeur privé du Brésil...
Il reste que " l’Etat fort " a encore beaucoup de partisans et de nostalgiques. Plusieurs fois la CFDT a connu des débats homériques, en particulier lors du démantèlement de la sidérurgie lorraine vers 1980. La sidérurgie fut alors regroupée dans la région de Valenciennes et, avec en plus le drame du textile, la Lorraine se retrouva sinistrée.
A l’Etat fort la CFDT oppose la vision d’une construction européenne pacifique et non impérialiste (pas un modèle ne doit dominer). Nous approuvons les idées des pères fondateurs Jean Monnet, Robert Schuman, Konrad Adenauer, Alcide de Gasperi.
Je pense personnellement que le rôle de l’Union européenne est exemplaire, et observé de près par les syndicalistes et les décideurs depuis le Japon jusqu’aux Amériques. Nous promouvons des normes sociales et humaines, ce qui est beaucoup mieux que la recherche de domination. Notre modèle social est basé sur la démocratie généralisée, le droit d’association et de syndicalisation, la liberté de négociation, une protection sociale générale fondée sur des systèmes solidaires, des services publics de base et une justice prud’homale. Comprenez combien tout cela peut faire rêver les Sud-Américains, et même pas mal de Nord-Américains.
En Angleterre vers 1980 eut lieu le scandale Maxwell. Cet employeur avait détourné l’argent du fond de retraite de son entreprise. Cela n’est plus possible en Europe aujourd’hui, même si cela reste possible aux Etats-Unis.
Parmi les éléments actuels les plus importants, je citerai l’arrivée apparemment réussie de l’Euro et les perspectives d’élargissement de l’Union Européenne. Ce sont de fantastiques victoires de la démocratie qu’il s’agit de faire fructifier.
Pensez donc que l’Union Européenne a réussi à intégrer trois ex-dictatures autoritaires de droite : l’Espagne, le Portugal et la Grèce, et qu’elle va sans doute demain attirer cinq ou six ex-dictatures marxistes. Cela n’est pas sans conséquence sur la mentalité des gens concernés : L’Espagne, le Portugal et la Grèce étaient des pays d’émigrants et, avec leur développement, ce sont devenu des pays d’immigration (Un auditeur ajoute qu’il y a une autre raison à cela : l’effondrement de leur natalité. Peut-être est ce là aussi une autre conséquence de leur entrée dans l’Union).
Il va de soi que tout cela ne va pas sans problème. Les dumpings salariaux, sociaux ou fiscaux, plus ou moins dissimulés, ne sont pas sans conséquence. Pensez qu’aux Pays-Bas il n’y a pas de taxe sur les sièges sociaux des grandes entreprises!
Un élément important est la clause de " non régression " en matière sociale. Quand, récemment, les Anglais acceptent cette clause, le maximum hebdomadaire de la durée du travail ( lequel est de 35 heures en France) a été fixé à au plus 48 heures par la commission de Bruxelles. Eh bien les syndicats britanniques voit dans cette acceptation un grand progrès social : elle va contraindre toutes les entreprises de leur pays ! De même la législation britannique sur les contrats à durée déterminée enregistre alors un grand progrès.
En somme le social est un élément important de l’intégration européenne et les syndicats l’accepte bien mieux que les états : ils acceptent que sur le plan européen les décisions se prennent à la majorité des deux-tiers et s’imposent alors à tous.
L’Europe a désormais une grande importance dans les négociations mondiales (Fond Monétaire International contre Bureau International du Travail, ONU, UNICEF, CNUD, OMC, etc).
Dans le débat mondial la voix de l’Europe doit peser encore plus lourd et cela souligne l’importance des avancées politiques.
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Questions
Qu’est-il arrivé au syndicat Solidarnosc ? On a l’impression qu’il a disparu.
Réponse : Je connais bien la Pologne, tout comme la Roumanie d’ailleurs. Ces pays sont en voie de réorganisation très importante, il y a du désordre et certaines régressions. Je pense que Lech Walesa était un homme immense qui rendu de très grands services, mais il n’était pas fait pour être président de la République. De toute façon je suis persuadé que ces pays s’en sortiront d’ici quelques années avec ou sans Solidarnosc.
J’ajouterai que l’on voit en pas mal d’endroits des syndicalistes comme Lech Walesa être les pionniers de la démocratie. Il y a ainsi au Kosovo un véritable " Gandhi " qui a réussi à empêcher nombres d’actes illégaux lors du retour des Albanais à Pristina.
Dans l’ensemble les progrès sont lents mais continus et je suis assez optimiste, sauf en ce qui concerne l’Afrique noire ou cependant malgré tout des élites se forment en dépit de la corruption, des prébendes et du Sida.
Bien entendu mon optimisme est mesuré et il faut compter avec l’exploitation politique des maux de la société, ainsi les attentats du 11 Septembre.
Quelle importance attachez-vous à l’information ?
Une importance décisive. J’ai devant les yeux l’image d’un gamin russe infirme et hydrocéphale qui néanmoins naviguait sur Internet et s’instruisait tous les jours.
Je crois que la construction européenne a tout à gagner à être transparente et qu’une information très large est le meilleur moyen pour parvenir à une conscience universelle.
Que pensez-vous des problèmes de population et de natalité ?
Je n’ignore pas que la pyramide des âges actuelle est effectivement redoutable et va très bientôt bouleverser l’organisation de notre société. Elle influe bien sûr sur la productivité, les pays ayant la plus forte proportion d’actifs étant naturellement favorisés dans les classements de PIB par tête ( la France est 12ème en Europe... selon une méthode statistique discutable), mais ces classements risquent d’être bientôt transformés par la montée du vieillissement, montée qui sera plus rapide chez nos voisins que chez nous car nous avons encore une natalité point trop mauvaise et une politique familiale efficace.
Ne savez vous pas pourtant que la politique familiale se dégrade lentement de plus en plus et que, comparé au SMIC, le pouvoir d’achat des allocations familiales a perdu les deux tiers de sa valeur depuis trente ans ?
Je savais qu’il y avait une certaine dégradation, mais j’ignorais qu’elle fut aussi importante. C’est effectivement une question dont il faut se préoccuper.
Le mot de la fin revient à Philippe Oblin : " Cela confirme qu’il ne suffit pas que l’information soit transparente pour que l’on soit vraiment au courant... "
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Après la conférence une dernière question a été posée à Monsieur Trogrlic : Il semble évident que l’allongement de l’espérance de vie va nous contraindre à augmenter l’âge de la retraite (Jules Moch disait déjà à un congrès du parti socialiste dans les années cinquante : " un jour ou l’autre la pénicilline nous contraindra à reculer l’âge de la retraite "). Déjà les Norvégiens ont remonté cet âge à 68 ans, avec il est vrai des vacances de plus en plus longues dans les dernières années - ce qui prépare au départ -. D’un autre côté beaucoup de gens sont très attachés à la retraite à soixante ans. Dans ces conditions la meilleure solution ne serait-elle pas l’établissement d’une retraite " à la carte ", chacun choisissant la date de son départ, mettons entre soixante et soixante cinq ans, avec un taux progressif d’autant plus élevé que la retraite est plus tardive et qui sera choisi de telle façon que ni la société, ni le retraité ne soit lésé quel que soit son choix ? ".
La retraite à la carte est une revendication forte de la CFDT, elle va dans le bon sens, mais par contre le taux progressif peut être injuste pour ceux qui ont assumé les travaux les plus pénibles.
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