Groupe X-Démographie-Economie-Population

 

Exposé du mardi 6 avril 2010

 

Comparaison des politiques familiales des pays développés.

 

 

par Olivier Thévenon

Démographe, Chargé d’Etudes à l’Institut National d’Etudes Démographiques

et à l’Institut des Hautes Etudes en Sciences Sociales

 

        

    Monsieur Thévenon commence son exposé en se présentant, il est économiste de formation et Chargé de Recherches à l’INED, il travaille aussi pour l’OCDE.

           

La question examinée dans cet exposé est bien sûr : « La diversité des politiques familiales explique-t-elle les différences internationales en matière de fécondité ? ».

           

Les évolutions démographiques de ces dernières décennies se caractérisent par certaines tendances générales agrémentées de grandes différences d’un  pays à l’autre. C’est ainsi que, depuis le maximum de 1964, la fécondité a considérablement baissé dans presque tous les pays développés, jusqu’à passer largement en dessous du niveau de remplacement, mais depuis quelques années on voit s’amorcer de légères remontées et ce à nouveau dans la plupart des pays développés, le minimum se situant le plus souvent vers 2005. 

           

Commençons donc par la description détaillée des principales évolutions.

           

Voici une comparaison des indice synthétiques de fécondité pour les années 1970, 1995 et 2006, les extrêmes sont d’un côté la Corée du Sud et la Slovaquie (Corée du Sud : 3 enfants par femme en 1970 ; 1,5 en 1995 et 1,1 en 2006) et de l’autre l’Islande et la Turquie avec encore 2 enfants par femme en 2006. On constate que cette année là près de la moitié des pays développés ont eu moins de 1,5 enfant par femme (dont l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne, la Pologne, la Roumanie) mais déjà de nombreux autres faisaient mieux qu’en 1995 et approchaient 1,8 ou 1,9 (dont Grande-Bretagne, France, Scandinavie). Notons le cas particulier des USA qui se maintiennent au voisinage de 2 depuis plusieurs décennies, et aussi celui de la Suède, tel qu’on peut le voir sur ce second tableau, avec 1,6 de 1978 à 1986, puis, grâce à de nombreuses mesures facilitant la carrière des femmes (crèches, congés plus longs de maternité, etc.) une remontée jusqu’à 2,2 en 1992-93, mais cette politique coute cher et les exigences liées à l’entrée dans l’Union Européenne conduisent à l’édulcorer : l’indice retombe à 1,5 en 1999, avant de remonter lentement à 1,8 en 2006 accompagnant en cela le mouvement général des pays développés.

           

Voici maintenant un tableau concernant l’âge moyen de la mère à la première naissance : cet âge augmente de plusieurs années sur la période 1970-2005 considérée. Il y a bien entendu quelques différences de détail : ainsi en France l’augmentation est de 4 ans pour 1970-1995 et à peu près nulle après ; les pays continentaux de l’Europe occidentale ont des évolutions analogues, tandis que la Grande-Bretagne et les pays de l’Europe de l’Est attendent 1995 pour rattraper les autres. Les USA, augmentation de trois ans sur la période considérée, se situent dans une bonne moyenne. Le résultat 2005 : un âge moyen à la première naissance qui est de 25 ou 26 ans pour l’Islande et les pays de l’Europe de l’Est, tandis qu’il s’étage de 27 à 30 ans pour les autres pays de l’Union Européenne (France 28,5). Notons qu’il est de 25 ans pour les USA et de seulement 21 ans pour un pays en développement comme le Mexique.

Bien entendu il est probable que depuis 2005 les pays de l’Europe de l’Est aient continué leur évolution et se soient rapproché des moyennes occidentales.

           

Les différences dans la taille des familles sont bien entendues liées au nombre moyen d’enfants par femme, mais aussi à la proportion des femmes n’ayant aucun enfant. Cette proportion, mesurée chez les femmes de cinquante ans, est très variable d’un pays à l’autre : les extrêmes européens sont d’un côté l’Allemagne et l’Angleterre (22%) et de l’autre les petits pays de l’Europe de l’Est (4 à 8%) . En position moyenne on trouve la Suède, la Pologne, la France (13% à 15%). Notons le cas particulier des Länder de l’ex-Allemagne de l’Est : la proportion des femmes de cinquante ans n’y ayant aucun enfant n’était encore que de 13% en 2005, mais elle augmente rapidement au fur et à mesure que s’éloignent les effets de la politique nataliste de la DDR dans les années 1976-1989. 

           

Un autre point intéressant : la proportion des enfants nés hors mariage. Cette proportion est aujourd’hui très inégale (de 5% en Grèce et 16% en Suisse à 58% en Estonie et 65% en Islande…) mais elle n’a pas cessé d’augmenter dans toute l’Europe depuis 1970, passant en France de 7% à 52%. Pour l’ensemble des pays de l’actuelle l’Union Européenne cette proportion a plus que quadruplé en 35 ans et tourne autour de 40%, et même si de nombreux parents se marient après la naissance de leur enfant, cette transformation est un véritable changement de civilisation.

           

Voici maintenant un phénomène inattendu et quelque peu surprenant : la logique voudrait que les pays où la proportion des femmes ayant une activité professionnelle est élevée soient aussi ceux où le nombre d’enfant par femme est le plus bas. En 1980 on constatait effectivement que, parmi les pays d’Europe, le coefficient de corrélation entre ces deux quantités était négatif. 25 années plus tard les indices synthétiques de fécondité ont nettement baissé et les taux d’emploi féminin ont progressé de 10 à 20% selon les pays, mais le coefficient de corrélation entre ces deux quantités est désormais positif (+ 0, 34), cela témoigne sans doute d’une meilleure aide à la maternité et à la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale.

           

Le tableau suivant est lié à un phénomène moderne : alors qu’il y cinquante ou cent ans de nombreux couples se sentaient écrasés par une fécondité excessive, les moyens de contraception et d’avortement modernes ont renversé la situation. Il n’y a plus guère d’enfants non désirés mais il y a toujours autant de difficultés, biologiques et financières, à avoir des enfants. En conséquence le nombre des enfants de la famille idéale telle qu’elle est vue dans les esprits dépasse celui de la famille réelle. Dans tous les pays d’Europe les sondages montrent une différence moyenne de 0,5 à 0,8 enfant par femme ; il y a un désir inassouvi d’enfant qui doit être pris en compte dans la politique familiale.

 

            Question d’un auditeur : « Quand donc le renversement de situation s’est-il produit ? » Réponse : « Pour l’Europe vers 1975-80 ».

 

            Nous en arrivons maintenant aux détails des politiques familiales, et d’abord quels sont leurs buts ? On peut les classer comme suit :

            1 ) La compensation du coût économique de l’enfant.

            2 ) L’éradication de la pauvreté (surtout parmi les enfants) et la réduction des inégalités de revenu.

            3 ) L’éducation et la socialisation des enfants.

            4 ) Le développement de la participation des femmes aux marché du travail.

            5 ) Une meilleure égalité des sexes vis-à-vis des obligations de garde d’enfant et de travail ménager.

            6 ) L’augmentation de la natalité, quand celle-ci est jugée insuffisante.

 

            Ces objectifs ne sont pas toujours explicitement exprimés par les hommes politiques qui les mettent en œuvre, ils ne sont pas indépendants les uns des autres et peuvent entrer en conflits, ce qui oblige à choisir des priorités. Les contraintes financières conduisent parfois à des partages difficiles.

           

Tout ceci conduit aux trois questions principales suivantes :

            A ) Dans quelle mesure les différents objectifs sont-ils compatibles ?

            B ) Pourquoi y a-t-il tant de variation d’un pays à l’autre ?

            C ) Quelles sont les politiques les plus efficaces et les moins coûteuses pour aider les familles chargées d’enfants et accroître la fécondité ?

         

   Mais il faut aussi se poser des questions comme : Faut-il aider les « avances de calendrier » dans la mise au monde des enfants, ou bien se préoccuper surtout du nombre total d’enfants obtenus ?

           

Est-il essentiel de mettre en place une politique sanitaire aidant à vaincre les barrières biologiques qui rendent tant de couples stériles ?

           

Etant données les caractéristiques sociales de tel ou tel pays, est-il important d’y faciliter la conciliation vie professionnelle-vie familiale qui semble si efficace dans certains pays ?

           

C’est ainsi que l’on peut établir des comparaisons internationales comme celles-ci portant sur les six critères suivants : A) Taux de fécondité. B) Taux d’emploi des femmes de 18 à 64 ans. C) Taux d’emploi des parents isolés. D) Taux d’accueil dans les services de garde des enfants de moins de trois ans. E) Pauvreté infantile F) Ecarts de salaires entre les hommes et les femmes.

           

Pour ces six critères le Danemark et l’Islande sont largement au-dessus de la moyenne, la France est bien placée et l’Allemagne est en queue de peloton sauf pour le taux d’emploi féminin.

           

Pour tenter d’expliquer ces différences, on s’appuie sur la variété des politiques utilisées : différences dans les objectifs et les priorités correspondantes, différences dans les méthodes (des allocations ou bien des aménagements fiscaux comme le quotient familial), différence dans les durées et les conditions des congés maternels ou parentaux, différences dans l’universalité ou au contraire la spécificité des aides. Il est certain que la multiplication des « conditions de ressources » transforme la politique familiale (philosophie : les enfants sont des investissements pour l’avenir de la société, y compris les enfants des classes aisées) en politique sociale (philosophie : éradiquer la grande pauvreté, surtout celle due à des charges familiales trop lourdes). De nombreux pays, Suède, Finlande, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg, ignorent les conditions de ressources et ont néanmoins une démographie plus solide que la moyenne européenne.

                       

Sous ses trois formes principales, allocations, aménagements fiscaux, services, l’importance de la politique familiale varie beaucoup d’un pays à l’autre. En pourcentage du PNB elle dépasse 3,5% en France, Grande-Bretagne, Luxembourg mais n’est que de 1,3% en Espagne, au Japon, aux Etats-Unis…

           

Il y a aussi de grandes différences dans l’étalement des aides dans le temps (c'est-à-dire selon l’âge des enfants). Les exemples extrêmes examinés étant le Danemark (aides essentiellement pour les moins de 7 ans) et les Etats-Unis (aides très constantes jusque vers 16-17 ans).

            Dans ces conditions il est évidemment très difficile de mesurer l’impact de telle ou telle mesure, aide, allocation, congé parental, service de crèches, système fiscal…Les études de Sleebos (2003) et de Gauthier (2007) sont parfois contradictoires. On s’accorde cependant sur les points suivants :

          

  Les transferts monétaires, allocations, etc. ont un impact positif mais assez faible, ils ne compensent que faiblement le coût d’un enfant, il en serait de même des congés parentaux, par contre les aides à la conciliation vie familiale, vie professionnelle (crèches, aides ménagères, etc. ) ont une efficacité plus grande.

         

   Blanchet et Ekert-Jaffé ont estimé en 1994 que les différences des politiques familiales de la France et du Royaume-Uni entraînaient une différence de 0,17 enfant par femme en faveur de la France.

           

Gauthier et Hatzius (1997) pensent qu’une augmentation de 25% des allocations familiales entraînerait une augmentation de l’indice de fécondité de 0,07 environ, soit 30 000 enfants par an pour un pays comme la France.

           

Les études de D’Addio et Mira d’Ercole (2005) conduisent à des résultats similaires, mais celles de Landais, Boccuzzo et Drago donnent des résultats plus faibles, par contre celles de Chen (2007), Laroque et Salanié (2008), Keng et Sheu (2009) donnent des résultats nettement plus élevés…

           

Il n’y a pas que l’effet démographique à considérer, il faut aussi apprécier les progrès  qualitatifs apportés aux enfants (éducation, hygiène, meilleurs soins, meilleure santé, instruction…) et l’importance des possibilités supplémentaires offertes aux femmes avec une meilleure égalité entre les sexes.

           

Parmi ces possibilités, le travail à temps partiel joue un rôle important, mais il est peu employé dans les pays scandinaves.

          

  Pour conclure je soulignerai l’importance non de tel ou tel élément, mais de la cohérence et surtout la continuité de l’ensemble des mesures mises en œuvre.

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Pour en savoir plus , OECD Family Database : www.oecd.org/els/social/family/database

 

            Breton D., Prioux F. “Two or  three children ? Influence of family policies and socio-economics factors” Population (English edition), 60(4) . 415-445 ; 2005.

            Philipov D.,Thévenon O., Koblas J., Bernardi L. and Liefbroer A. “Reproduction Decision-Making in a macro-micro perspective (REPRO)State-of-the-art-review” European Demographic Research Paper 1 ; 2009.

            Letablier M., Th, Luci A., Math A., Thevenon O “The cost of raising children and the effectiveness of supporting parenthood policies in European countries: A literature review” Rapport pour la Commission européenne (INED).

            Thevenon O. forthcoming “Does fertility respond to work and family-life reconciliation policies in France?” In Noriyuki Takayama and Martin Werding eds. Fertility and public policies : How to reverse the trend of declining birth rates ? Cambridge MA and London UK, MIT-Press, 2009.

            Thevenon O. (à paraître) “Variations de la fécondité dans les pays développés: disparités et influence des politiques d’aide aux familles’’ Politiques Sociales et Familiales. Juin 2010.

Question

 

            Les couples ont des enfants pour des raisons essentiellement psychologiques – nous sommes des êtres vivants et mortels - et rarement pour des raisons économiques. C’est pourquoi je suis étonné de voir que des mesures économiques et sociales puissent avoir tant d’effet.

            La raison principale de cette efficacité est bien sûr psychologique : c’est la différence entre le nombre d’enfants souhaités et celui effectivement obtenu. De très nombreux couples sont prêts à faire de grands efforts dans cette direction et si on les aide un tant soit peu cette aide possède une efficacité psychologique sans commune mesure avec son efficacité économique et sociale.

 

Mr. Thévenon a souhaité que les autres questions ne soient pas reproduites, que ceux qui les ont posées veuillent bien nous en excuser.