Groupe polytechnicien X-démocratie-économie-population

Réunion du 19 novembre 2008

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Changements climatiques, migrations et adaptations humaines.

Exemple des archipels d’Extrême-Orient et du Pacifique.

 

 

Par Madame Anne-Marie Sémah

Institut de Recherche pour le Développement

 

            Madame Sémah se présente : elle a une formation de géologue, de palynologue, et de paléoclimatologue, elle travaille à l’Institut de Recherche pour le Développement à Bondy, mais elle est bien sûr très souvent « sur le terrain » - comme tous les bons géologues et paléontologues -  pour étudier les fossiles, les grains de pollen et tous les indices des évolutions des climats du passé. Elle a longuement travaillé sur des sites du plus haut intérêt à Java, en Nouvelle-Calédonie et dans l’archipel du Vanuatu.

 

            Les hommes préhistoriques ont d’abord peuplé l’Afrique puis le continent d’Eurasie pendant deux millions d’années et ce n’est que plus récemment, à la faveur des grandes glaciations qui ont fortement abaissé le niveau des mers, qu’ils ont pu aller plus loin et coloniser le Pacifique.

            La dernière période glaciaire, celle du Würm (stade isotopique 2) dont le maximum fut il y a environ 20 000 à 30 000 ans, provoque un abaissement du niveau marin de 120 à 150 m selon les endroits. C’est sans doute dès le début de cette dernière glaciation que les hommes ont pu passer en Amérique, et profiter du pont terrestre formé pour aller peupler la Papouasie et l’Australie, il y a environ 50 000 ans.  Mais le peuplement de Java est ancien : on repère au moins trois vagues de migration il y a respectivement 1,7 million d’années, 800 000 ans et un peu plus de 200 000 ans. Elles correspondent parfaitement aux périodes glaciaires anciennes.  

            Le climat actuel de Java comporte des pluies en décembre, car cette ile est à près de mille kilomètres au sud de l’équateur (6° à 9° sud), mais il est tout à fait possible que le climat ait été nettement plus humide dans le passé ce que confirme des restes de forêt tropicale humide (rainforest) analogues à ce que l’on trouve aujourd’hui dans l’ile de Bornéo.

            J’ai beaucoup travaillé sur le site de Sangiran, près des volcans du centre de l’ile. On y a trouvé plusieurs centaines de restes d’Homo erectus datant du pliocène supérieur (fin du tertiaire) et du pléistocène inférieur et moyen. Les plus vieux ont donc près de 1,8 million d’années. Ces hommes (ceux du pléistocène moyen) sont très semblables à celui trouvé en France à Tautavel.

            La variation du climat est attesté par la variation des terrains : humide et même marécageux au pléistocène inférieur (début du quaternaire), sec au pléistocène moyen.

            Dans les couches supérieures, donc les plus récentes, on constate le remplacement des Homo erectus par les Homo Sapiens. Ce remplacement a l’air progressif et aurait duré 200 000 à 300 000 ans.

 

            J’ai personnellement participé aux fouilles de Sangiran (Java central 800 000 ans) deux mois par an pendant six ans et nous avons trouvé deux molaires humaines et plusieurs animaux, les uns domestiques et les autres sans doute du gibier, et aussi de l’outillage dont des boules pratiquement sphériques qui ne servaient probablement pas de boules de pétanque mais plutôt d’armes, de projectiles, pour assommer comme les « bolas » d’Amérique du Sud.

 

            Question d’un auditeur : Quel était le diamètre de ces boules ?

Leur diamètre est de 9 à 10 centimètres, elles tiennent très bien en main.

            Question d’un autre auditeur : Quelles sont les méthodes de datations ?  

            Il y a plusieurs méthodes de datation, et la plupart du temps elles convergent bien, l’une des meilleures, quand elle est possible, est l’analyse de l’uranium des grains de quartz utilisés à divers usages et qui furent extraits d’un autre site : la grotte de Song-Terus dans les montagnes du sud de l’ile.

 

            Pour affiner nos analyses nous avons creusé un puits de quinze mètres, dont voici quelques photos, et qui nous a permis de détailler toute la période depuis il y a 300 000 ans jusqu’à 5000 ans seulement ; c'est-à-dire toute la période du remplacement d’Homo erectus par Homo sapiens.

            Dans la partie supérieure, qui correspond à l’holocène et qui est donc vieille de 5000 à 10 000 ans seulement, nous avons trouvé une sépulture et le climat était celui d’une forêt tropicale humide.

            Dans la partie centrale (âge 10 000 à 50 000 ans, pléistocène supérieur) le site était très habité, le climat était sec et nous avons retrouvé beaucoup d’outillage ainsi que de nombreux os de cervidés et de bovidés.

            La partie inférieure est en cours d’analyse, mais nous savons déjà que ces trois couches correspondent à trois populations différentes.

 

            Question d’un auditeur : Selon vous, y a-t-il eu rupture entre ces couches ?

            Sans doute et cela est confirmé par les variations du climat. Voici par exemple un graphique des variations de la composition marine profonde (une courbe très chahutée sur les trois derniers  millions d’années). Ces variations, souvent brutales, correspondent aux variations climatiques liées aux glaciations et aux migrations…

            Question : Que pouvez-vous nous dire de l’homme de Java, le fameux Pithécanthrope ?

            Ce fossile fut découvert en 1890 au bord de la rivière Solo par Eugène Dubois, un médecin hollandais, il souleva aussitôt des tempêtes de controverses : c’était le premier Homo erectus découvert. Il mesure 1,65 m et l’on s’accorde à penser aujourd’hui qu’il est vieux de 500 000 ans. On ne l’appelle plus Pithécanthrope (homme-singe) c’est l’homme de Java, un Homo erectus

 

            Pour terminer je voudrais vous dire quelques mots de mes recherches en Océanie.

            Le peuplement de l’Océanie est très récent, 3500 ans environ seulement… On pense qu’il est très lié au phénomène El Niño, phénomène plus ou moins périodique et pendant lequel les tempêtes sont beaucoup moins nombreuses et beaucoup moins violentes, or ce phénomène est récent : il ne commence, modestement, qu’il y a 5000 ans.

            La culture Lapita est fondamentale pour l’Océanie et j’ai pu travailler sur deux sites Lapita, l’un en Nouvelle-Calédonie et l’autre près d’un lac du Vanuatu où une équipe australienne (associée à des chercheurs français et ni vanuvatais) a exhumé de nombreux restes humains ainsi que des tessons de poteries Lapita.

 

            D’une manière générale mon travail exige une grande pluridisciplinarité et une méticulosité sans faille, mais cela en vaut la peine : le rideau se lève sur le passé de l’humanité. Les phénomènes climatiques y ont joué un rôle fondamental et les catastrophes ont été fréquentes, mais visiblement l’homme a toujours profité de toutes les opportunités pour relever la tête et étendre son domaine au plus loin qu’il le pouvait.

            La prochaine étape, c’est le cosmos.

 

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Questions

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            Y a-t-il une parenté entre les Canaques et les Papous ?

            Oui, ce sont deux groupes mélanésiens cousins.

 

            Quelles différences y a-t-il entre les Homo erectus et les Homo sapiens ?

            Le crâne des Homo erectus est bien plus aplati et leurs arcades sourcilières bien plus prononcées. On s’accorde à penser qu’il s’agit de deux espèces différentes, les Homo erectus ne seraient pas nos ancêtres.

 

            Combien a t’on trouvé d’Homo erectus ?

            Plusieurs centaines.

 

            Croyez-vous qu’il soit possible que l’Homo erectus ait survécu jusqu’à aujourd’hui ?

            Cela se pourrait, dans les zones encore inexplorées de la Nouvelle-Guinée. Mais c’est tout de même très peu probable.

 

            Pourquoi y a-t-il une telle différence entre le peuplement de l’Australie – 50 000 ans – et celui de la Polynésie – 3500 ans seulement ?

            C’est essentiellement une question d’accessibilité pendant la dernière glaciation : l’Australie était accessible, sinon à pied sec, du moins en franchissant quelques petits détroits. La grande migration austronésienne, celle là même qui a peuplé la Polynésie,  a au contraire  exigé d’excellents marins. C’est d’ailleurs cette même migration qui a peuplé Madagascar, car le peuplement de cette grande ile n’est pas africain.

 

            Et pour la Nouvelle-Zélande ?

            Le peuplement de la Nouvelle-Zélande est très récent, les Maoris arrivent dans l’ile du nord au quatorzième siècle et un peu plus tard dans l’ile du sud…

 

            Que pense-t-on aujourd’hui du polycentrisme ?

            C’est une théorie abandonnée, de même que les recherches du « chainon manquant ».

 

            Y a-t-il des études des évolutions génétiques ?

            C’est là une question très difficile et les paléoanthropologues « naviguent à vue ».

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