Groupe X-Démographie-Economie –Population

 

Exposé du Mercredi 10 Octobre 2007

 

Conséquences géostratégiques du vieillissement.

 

 Par Guillaume Schlumberger,

Directeur de la Fondation pour la recherche stratégique.

 

Le Camarade Guillaume Schlumberger (X 79) commence son exposé par une présentation personnelle. Après avoir quitté successivement l’X puis l’ENA il fut affecté en 1985 au ministère de la Défense comme administrateur civil.  Membre de la Direction des Affaires Internationales d’abord à la DGA (Délgation Générale pour l’Armement) en 1985-97 puis à la Délégation aux Affaires Stratégiques à partir de 1998, il fut en 1987-88 l’adjoint du conseiller diplomatique du ministre de la Défense, André Giraud. Après diverses expériences comme conseiller en stratégie industrielle, puis contrôleur de gestion à la Snecma, il est depuis juin 2005 Directeur de la Fondation pour la recherche stratégique.

 

« Je dois reconnaître que je ne suis pas un démographe professionnel et que j’ai recueilli mes renseignements et mes analyses un peu partout. Je souligne à ce sujet l’intérêt des journées d’études qui ont eu lieu ces dernières années à la Maison de la Chimie, journée « Afrique et sida », journée « Armées russes », journée « Japon », etc. Dans toutes ces analyses la démographie resurgit de tous les côtés, et ce facteur devient toujours très important à long terme… Mais sa lenteur fait qu’il est très difficile d’attirer l’attention des responsables et l’un des exemples les plus évident est celui de l’hispanisation des Etats-Unis avec notamment l’apparition généralisée des publicités en espagnol».

Dans ce dernier pays la natalité, très forte dans les années 60 puis presque deux fois plus faible dans les années 80, est aujourd’hui remontée quasiment au niveau du remplacement des générations et, aidée par l’immigration et l’allongement de l’espérance de vie, elle entraine un accroissement de population de près de deux millions par an. Le National Population Council estime qu’il n’y aura guère de problème de vieillissement avant 2025. Il s’inquiète plutôt du vieillissement des alliés européens et donc de leur réticences prévisibles à partager les charges de défense.

Il n’en est pas du tout de même en Russie où désormais le problème démographique est tenu pour le problème essentiel avec même une « journée de la natalité ». Les projections envisagent un effondrement avec 20 à 40 millions de Russes en moins en 2050, les points les plus noirs sont une très forte mortalité masculine adulte (alcoolisme,  beaucoup d’accidents et d’actes de violence) et la faiblesse de la natalité avec de très nombreuses femmes au travail et la culture de l’avortement.

Les Russes estiment qu’une armée d’un million d’hommes au moins leur est nécessaire et si le budget de la défense a pu être ramené à un niveau confortable grâce à l’argent du pétrole (objectif : 147 000 professionnels), par contre il y a un grave problème de conscription avec beaucoup d’exemptions et une baisse de près de moitié des classes d’âge d’ici 2015 (classes creuses des années 90).

Pour compléter ce tableau, notons l’arrivée d’un grand nombre de Chinois  venant travailler en Sibérie et les soucis que causent les difficultés des minorités russes dans « l’étranger proche », en particulier dans les pays baltes.

Les problèmes de la Chine sont différents. Sera-t-elle riche avant d’être vieille ou l’inverse ? Il y a là-bas 130 millions de plus de soixante ans soit 10% de la population, mais ce nombre va augmenter jusque vers 400 millions en 2050 et la population active va décroître à partir de 2015. Il est certain que ce pays va connaître de très grandes tensions et l’on peut se demander si son évolution restera pacifique.

Le Japon est un cas extrême avec plus de 20% de plus de 65ans et un nombre de retraités qui actuellement augmente d’un million par an, mais la Corée n’est pas tellement mieux lotie…

Le cas de l’Inde est particulier. On y constate un fort différentiel Nord-Sud avec la plaine du Gange pauvre et surpeuplée tandis que le Deccan (Bangalore, Madras) se développe remarquablement tout en marchant vers l’équilibre démographique. Il n’est pas impensable d’y imaginer le développement de mouvements séparatistes.

L’Europe elle, est riche mais dispose de très peu de marge de manœuvre et les « nouveaux entrants » sont les plus mal placés aussi bien sur le plan du développement que sur celui de la démographie et du vieillissement…

Le Maghreb est dans une parfaite transition avec un développement tout à fait satisfaisant et une évolution démographique rapide, la proportion des moins de 15 ans y a baissé de plus de moitié dans les vingt dernières années et la « pyramide des âges » s’y creuse à la base comme dans la plupart des pays…

Il faudrait aussi parler de l’évolution de l’Afrique noire et de l’Amérique latine, mais vous connaissez cela mieux que moi. Notons tout de même que la fracture n’est plus au niveau de la Méditerranée, les différences de part et d’autre allant en s’estompant, c’est la Sahara qui est désormais la vraie frontière.

 

Abordons maintenant la question des conséquences géostratégiques.

Est-il envisageable de voir prochainement des confrontations directes entre pays pauvres et pays riches ? C’est évidemment possible mais peu probable étant donné la puissance des armements d’aujourd’hui et le coût pharamineux des conflits modernes ou même simplement celui de la constitution d’une armée bien équipée ce qui est évidemment difficile pour un pays pauvre.

Pourra-t-il y avoir des déstabilisations de pays d’accueil ou de pays de transit (Maghreb…), c’est plus probable car l’on constate de très grande difficultés d’adaptation et des replis communautaires ainsi qu’une grande dépendance des diaspora vis-à-vis de leur communauté d’origine. C’est ainsi, exemple extrême et très significatif, que de nombreux militaires britanniques musulmans de retour d’Irak ont été assassinés par des coreligionnaires qui ne leur pardonnaient pas leur « trahison ».  Il faudra être vigilant sur ces questions et ne négliger aucun effort pour faciliter l’intégration et les adaptations.

Bien entendu les conséquences du vieillissement, conservatisme et difficulté d’évolution, ont leur répercussion sur les armées. La compensation de l’homme par la technique a ses limites comme en témoignent les exemples actuels de l’Irak, de la Côte d’Ivoire, du Darfour. Les pays vieillissants auront du mal à prendre des risques et n’accepteront guère autre chose que des interventions proches du concept « zéro mort ». La France pourra-t-elle  longtemps accepter de « pré positionner » des détachements importants en Afrique ? On peut en douter. Le partage des dépenses entre tous les pays européens pourrait être une solution, mais il risque aussi d’inciter chacun à réduire son budget militaire. De toute façon les progrès dans cette direction sont très lents et exigeront sans doute la constitution d’un ministère des affaires étrangères commun à toute l’Europe, ce qui risque de provoquer bien des remous…

Bien entendu nous ne sommes pas non plus à l’abri de surprises. Surprises politiques : la cohésion sociale de tel ou tel grand pays se déchire brutalement et des groupes terroristes s’emparent d’armes de destruction massives (Pakistan…). Surprises technologiques : une arme nouvelle, par exemple à impulsion électromagnétique, réduit à néant la supériorité technologique d’une armée sur ses adversaires (Israël …).  Les années qui viennent risquent fort d’être mouvementées !

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Questions

 

              Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le Viêtnam et l’Indonésie ?

Les voisins de la Chine deviennent de plus en plus soucieux des instincts prédateurs chinois, qu’il s’agisse du partage des eaux du Mékong, de l’exploitation des forêts de Birmanie (assurée par des compagnies chinoises) ou de la propriété des gisements pétrolifères marins de la Mer de Chine méridionale, entre Philippines, Indonésie, Chine et Vietnam. Les Etats-Unis ne n’y sont pas trompés qui font leur retour dans l’Océan Indien et y vendent partout des armes…   

 

Que pensez-vous de l’avenir d’Israël et de ses voisins ?

Du point de vue stratégique et démographique il est certain que si la qualité des combattants et des armements est essentielle, on ne peut non plus échapper indéfiniment au nombre… Si la paix ne s’établit pas bientôt l’avenir d’Israël est sombre et la question décisive est certainement celle de la cohésion interne de cette nation … mais les pays arabes ne sont pas non plus à l’abri de bouleversements.

 

Et la cohésion interne des Etats-Unis ?

De grandes transformations sont en cours aux Etats-Unis, la « Sun Belt » est en train de devenir la première puissance économique et la langue espagnole se répand de plus en plus. Cependant ce pays a de grandes capacités de réaction et d’adaptation. Je soulignerai en particulier l’importance des « fondations » qui ont permis, et permettront, des innovations conceptuelles majeures et des transformations dont la rapidité stupéfie les Européens. N’oublions pas que, par exemple, l’informatique et la bureautique sont pour l’essentiel des inventions américaines.

 

Faites-vous une analyse analogue pour le Canada ?

Le Canada est, paradoxalement, dans une situation plus délicate que les Etats-Unis, les minorités y sont beaucoup plus étoffées – en proportion de la population totale – et cela explique divers phénomènes comme par exemple les problèmes de conscience du contingent canadien en Afghanistan. Cela dit, ce pays a des ressources immenses qui lui permettront d’affronter bien des défis.

 

Que pensez-vous du terrorisme et des nouvelles formes de guerre ?

Mais le terrorisme n’est pas nouveau, il est vieux comme le monde ! Ce qui diffère ce sont les moyens, les techniques nouvelles et aussi les buts.

Dans le combat contre le terrorisme l’essentiel est la localisation, d’où l’importance des « sanctuaires », en particulier des zones de non-droit.  Bien entendu toutes les armées sont conviées à s’adapter à ce combat ce qui ne va pas sans de nombreux insuccès et d’énormes difficultés.

 

Entrevoyez-vous des solutions pour l’Irak ?

La cohésion sociale de l’Irak est bien malade, d’où l’idée de diviser le pays en ses trois principales communautés pour éviter la guerre civile. Mais d’un autre côté dans les partages les problèmes de frontière sont toujours très épineux, de plus les voisins de l’Irak, et en particulier la Turquie, sont farouchement hostile à la formation d’un Kurdistan indépendant… Je ne vois vraiment pas de solution logique et j’ai l’impression que personne ne peut diriger les évènements.

Cela dit la cohésion sociale d’un pays comme la France nous donne aussi des soucis, et plus encore pour la Grande-Bretagne.

 

Donnez-nous votre avis sur l’Afrique Noire.

Avec une population sensiblement égale à celle de l’Europe (autour de 700 millions chacune), l’Afrique Noire a quatre fois plus de naissances annuelles (28 millions au lieu de 7). Ce simple fait domine tout. Les problèmes d’organisation sont immenses et la désorganisation est quasi-générale, d’où le fléau de la corruption, les luttes et les trafics d’armes de toutes sortes. Certains pays progressent difficilement, beaucoup sont dans des situations impossibles surtout si, comme le Zimbabwe, ils sont aux mains de dictateurs paranoïaques… Mais considérez que lorsque l’an dernier ce dictateur s’est rendu en visite en Afrique du Sud, il a été acclamé par la population noire.

 

Pour terminer je donnerais un exemple classique de l’interaction de la démographie et de la géostratégie : Après la guerre de 1870, la France stagne démographiquement tandis que l’Allemagne progresse rapidement. Ce fait brutal et menaçant contraint les Français à rechercher l’alliance russe, alliance que, sûr de sa force,  l’Empereur Guillaume II néglige malgré les conseils pressants de Bismarck, lequel est rapidement mis en congé. En 1914, faute d’une victoire décisive à l’Ouest, l’Allemagne se voit contrainte à une épuisante guerre sur deux fronts : le piège démographique s’était refermé.

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            Site web de la fondation pour la recherche stratégique :

              http://www.frstrategie.org, , notez l’absence d’accent.

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