X –Démographie-Economie-Population
Conférence du Mardi 16 Octobre 2012
« Les facteurs de conflits potentiels en Asie Centrale »
Par le
professeur Geoffroy Saint Grégoire
de
l’Institut Catholique
Responsable
pédagogique
Master de
Géoéconomie-Intelligence Economique
Je
définirai le « Grand Centre Asiatique » comme étant la traditionnelle
Asie Centrale (du Kazakhstan à l’Afghanistan) augmentée du sous-continent
indien, de la Chine et de la partie la plus continentale de l’Asie du Sud-Est
(Birmanie, Thaïlande).
Cette
région compte presque 50% de la population mondiale et affronte des problèmes
gigantesques. Elle est généralement en voie d’industrialisation rapide avec de
nombreux nœuds industriels, mais son développement agricole est très inégal.
Elle souffre enfin d’un grave stress hydrique, malgré l’importance des pluies
de mousson, stress illustré par ces deux chiffres : il faut
Depuis
les années 1970, la Chine est pratiquement autosuffisante en matière agricole,
elle n’importe que 2% de ce qui lui est nécessaire et il n’y a plus de grande
famine. Sa politique d’achat et de culture de centaines de milliers d’hectares
de terres agricoles africaines va certainement la rendre exportatrice malgré
ses presque 1400 millions d’habitants.
L’Inde,
1250 millions d’habitants, est pratiquement dans la même situation agricole,
avec entre 1 et 2% d’importations (surtout du sucre et du blé). Mais les autres
pays de la région sont lourdement déficitaires, ainsi le Kazakhstan (17
millions) importe 60% de sa nourriture et l’Ouzbékistan (29 millions) 80%...
C’est
la Russie (142 millions) qui est le grand grenier à blé de cette région, mais
elle est dans une situation démographique difficile avec 1,5 enfant par femme
seulement, un vieillissement rapide et un excès des décès sur les naissances
qui est encore de 150 000 par an (après avoir été très important pendant
les vingt dernières années jusqu’à 900 000 par an avec 1,1 enfant par
femme seulement). Conscient de cette situation le gouvernement russe fait de
grands efforts et a mis en place d’une politique familiale très incitative.
Depuis
juillet 2010 la Russie, la Biélorussie et le Kazakhstan se sont associés dans
une union douanière.
La
politique démographique de la Chine a connu de fortes évolutions. La vieille
politique de l’enfant unique a été assouplie. Les populations rurales ont droit
à un deuxième enfant depuis 1994 et même un troisième enfant depuis 1996.
Depuis l’an 2002 les citadins ont le droit de demander à avoir un
deuxième enfant…mais cela est le plus souvent refusé !
La
Chine est traditionnellement divisée en trois grandes parts :
A )Au Nord, sur environ
B ) Plus au sud une bande longue mais étroite,
essentiellement le long de la vallée du fleuve jaune : la Chine jaune
admirablement cultivée et avec la plupart des terres arables.
C ) Enfin le reste de la Chine, avec Pékin, c’est la
Chine bleue dont les grandes villes sont le but de tous les paysans partant
pour l’exode rural.
En
principe tout chinois adulte doit être muni de son « rocou », son permis
de résidence et de travail, sans lui pas d’embauche, pas de logement, pas de
soins…Mais on estime que 250 à 300 millions de chinois vivent en clandestins
dans les grandes villes sans leur rocou !
Depuis
2002 la situation des clandestins a connu quelques améliorations légales dues
au pragmatisme des chinois. Il y a même depuis 2005 des syndicats
non-gouvernementaux autorisés.
On estime
à 150 ou 200 euros par mois ce que coûte en moyenne un ouvrier, salaires et
frais compris, à une entreprise industrielle chinoise, cela a nettement
augmenté ces dernières années... et c’est un problème pour les chinois car les
pays d’Asie du Sud-Est, Vietnam, Cambodge, Laos, Thaïlande sont désormais des
concurrents redoutables avec des salaires deux ou trois fois plus faibles.
l’Inde est presque autosuffisante pour sa nourriture, mais
elle importe 80% de son énergie. Avec son taux de 2,6 enfants par femme, même
lentement décroissant, on estime qu’elle aura 1400 millions d’habitants en
2030. Sa croissance est rapide : 7% par an, mais elle compte encore 60% de
paysans qui ne contribuent qu’à 17% du PIB. Son système de caste a une
conséquence inattendue : l’exode rural est bien plus faible qu’en Chine,
car il est de courte durée et est le plus souvent suivi d’un retour au village
d’origine.
Le
Pakistan (180 millions, 3,6 enfants par femme) contient encore 80%
d’analphabètes, ce qui freine beaucoup son développement. Il a une
particularité unique dans les pays de la région : il est ethniquement très
homogène.
L’Afghanistan,
le « tombeau des Empires » (33 millions, 6,3 enfants par femme) était
autosuffisant pour sa nourriture jusque vers 1965, mais il n’a que 1% de terre
arables… Aujourd’hui il produit essentiellement de l’opium : 90% de
l’opium du monde ! Comment d’ailleurs en serait-il autrement quand un
agriculteur afghan voit ses revenus multipliés par près de 10 quand il passe du
blé à l’opium ?
Les pays
de l’Asie Centrale traditionnelle ont d’autres problèmes, près de la moitié de
la population du Kazakhstan est russophone (les « slavons »), mais
leur proportion dans la population kazakhe est décroissante et un nouveau
problème de décolonisation se profile à l’horizon. L’Ouzbékistan sort de la
guerre civile, le Kirghizstan, le Tadjikistan et le Turkménistan ne sont guère
mieux lotis.
Pour
conclure je dirai que les problèmes majeurs de cette région essentiellement
continentale que nous venons de survoler ne sont pas des problèmes politiques
(Cachemire, Tibet, Sinkiang, confins russo-chinois, dictatures, islamisme et talibans,
etc...), ce sont des problèmes vitaux : recherche d’une démographie
équilibrée, ni débordante, ni insuffisante ; développement et
alphabétisation ; autosuffisance agricole ou du moins production agricole
suffisante et mettant à l’abri des à-coups et surtout ce problème
essentiel dont on devine chaque jour davantage l’importance : la maitrise
de cette denrée vitale mais très inégalement répartie : l’eau.
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Questions
Pensez-vous qu’il y aura
demain un marché de l’eau, comme il y a aujourd’hui un marché de chaque matière
première ?
Il faut
comprendre que transporter l’eau, par des aqueducs, coûte beaucoup moins cher
que dessaler l’eau de mer et que près de 60% de l’eau douce mondiale se trouvent
dans quatre pays 1) la Russie, 2) le Canada, 3) le Groenland, 4) les USA.
Dans
ces conditions il me semble inévitable que s’établisse un marché mondial de
l’eau quand le stress hydrique, déjà très accentué, deviendra insupportable
pour de nombreux pays.
Que pensez-vous de la situation de la
Mongolie ?
Coincée
entre deux géants et à peine peuplée (3 millions), la Mongolie ne peut que
s’appuyer sur l’un pour ne pas être écrasée par l’autre. Elle a de longue date
choisi l’alliance russe, elle fut la deuxième république soviétique (1922), le
russe est sa langue administrative et elle a fait une demande d’admission
pleine et entière (pour 2014) dans l’Organisation de Coopération de Shanghaï , organisation essentiellement russo-chinoise (mais
où l’Inde est observateur) et qui a pour but de contrebalancer la puissance des
Etats-Unis.
Vous ne pensez vraiment pas que la Sibérie
et ses richesses minérales puissent être une pomme de discorde entre la Russie
et la Chine ?
Il
y a certes 10 chinois pour chaque russe, mais tant que la Russie demeurera
puissante et unie il ne se passera rien. Il y a certes 150 000 chinois en
Sibérie, mais les russes veillent à ce que ce nombre n’augmente pas. Pour la
plupart les immigrants chinois n’aiment pas le climat sibérien et ne pensent
qu’à rentrer au pays une fois fortune faite.
Que pensez-vous des bouleversements apportés
par le gaz de schiste ?
Ce gaz
représente déjà 17% de la consommation mondiale et plus de 600 000 emplois
rien qu’aux Etats-Unis. Il fait l’objet de recherches intenses au Canada, aux
Etats-Unis, en Pologne et en Australie. Nul doute que lorsque seront levés les
tabous écologiques actuels, la France deviendra grande productrice elle aussi.
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