Groupe
X-Démographie-Economie-Population
Exposé du mardi 18 octobre 2011
Le face à face russo-chinois.
Le vide sibérien face au
« trop-plein » chinois.
Par Monsieur Marc
Rousset,
chercheur, écrivain, docteur es-sciences
économiques.
Monsieur Rousset commence en se
présentant et en rappelant quelques souvenirs de Louis Armand dont il fut
l’étudiant enthousiaste et qui a profondément influencé sa formation
intellectuelle.
Avant de parler du face à face
russo-chinois, je tiens à rappeler que la Chine et la Russie œuvrent en commun
dans l’Organisation de Coopération de Shangaï dont le but principal est de
maintenir les Etats-Unis et l’OTAN le plus possible hors de l’Asie centrale.
Cela n’empêche pas bien sûr la Russie de participer à l’encadrement international
de la puissance chinoise, d’autant plus que les richesses minières et
naturelles de la Sibérie seront un élément fondamental du 21ème
siècle.
La Chine d’aujourd’hui compte 1,341
milliard d’habitants et même 1,370 milliard si l’on y inclut Hong-Kong, Macao
et Taïwan ; elle n’a plus en moyenne que 1,41 enfant par femme (contre
plus de 5 en 1950) mais cela n’empêche pas la population de progresser encore
puissamment, essentiellement grâce aux progrès remarquables de l’espérance de
vie. Elle est tiraillée entre deux maux : la surpopulation et le
vieillissement.
En face de cette puissance
formidable en expansion, la Russie est en déclin depuis l’arrivée de Gorbatchev
en 1985. Elle comptait 149 millions
d’habitants en 1988 et seulement 141 millions en 2001, elle a perdu certaines
années jusqu’à 800 000 habitants compensés partiellement par l’arrivée
d’environ 400 000 Russes chaque année pendant 12 ans. Ces immigrants
venaient de « l’étranger proche », c'est-à-dire des anciennes républiques
soviétiques (essentiellement des pays baltes, de l’Ukraine, de l’Asie centrale)
mais bien entendu cette source se tarit peu à peu, même si, encore aujourd’hui,
le Nord-Kazakhstan est majoritairement peuplé de Russes.
Il y a aussi désormais 9 millions de non-Russes en Russie, et une grande
part de ces immigrants (Kazakhs, Ouzbeks, Caucasiens, etc.) sont russophones.
Malgré cela l’opinion publique est généralement hostile à ces non-Russes
Il convient aussi de noter que la
Russie abrite depuis des siècles des millions de musulmans russes (Tatarstan,
Caucase, etc.) et que cette cohabitation est entrée les mœurs et pose beaucoup
moins de problèmes qu’en Occident si l’on met de côté le cas particulier de la
Tchétchénie. N’oublions pas que les Russes furent sous le joug Tartaro-Mongol pendant les 13ème et 14ème
siècles et que ce n’est qu’à partir de 1380 (victoire de Koulikovo)
qu’ils cessèrent de payer le tribut annuel qui les avait en partie libérés de
la présence de ces envahisseurs.
En Juillet 2000, dans son discours
sur l’état de la Russie, Vladimir Poutine a dit « Le problème le plus
grave est le problème démographique » et son gouvernement a pris un
certain nombre de mesures pour améliorer la situation. Parmi ces mesures,
l’équivalent de 9000 euros (capital maternel) à partir du 2ème
enfant et même un « congé de grand-maternité » de 14 mois pour les
babouchka qui gardent leurs petits-enfants.
Ces mesures sont-elles
efficace ? On note un certain retour aux valeurs traditionnelles et
l’annuelle « Gay Pride » de Moscou a été
abandonnée (comme elle l’a été à Berlin et à Duisbourg), mais, ainsi que l’a
dit Hélène Carrère d’Encausse,
la Russie « reste entre deux mondes » et l’influence de la culture de
mort de l’Occident reste très forte (hédonisme, avortement, contraception,
homosexualité…).
Que cela donne-t-il en termes
démographiques ? Le nombre moyen d’enfants par femme qui avait connu un
minimum de 1,1 en l’an 2000 est remonté à 1,53 ce qui est certes insuffisant
mais davantage que la Chine ou la moyenne européenne ( France :
1,7 pour les « Françaises de souche » et 3,4 pour la population
d’origine immigrée récente). Mais la pyramide des âges de la Russie,
particulièrement tourmentée, n’est pas favorable et les prévisions du
« World Population Prospect », organisme officiel de l’ONU, donnent
pour la Russie de 2050 une fourchette entre 88 et 130 millions seulement. On
notera qu’à la même époque la population turque aura dépassé les cent millions
d’habitants.
La Sibérie a un nom d’origine
turco-mongole (Simbirsk), elle s’étend sur 13,1 millions de km² (60% de la
Russie), mais n’a que 39 millions d’habitants (27% de la Russie) ce qui ne
représente que 3 habitants au km². C’est un immense réservoir de richesses
minières et pétrolières très variées dont plus du quart des réserves mondiales
de diamant. Il est hors de doute que cette région du monde aura au 21ème siècle un rôle de tout premier plan, surtout
si le réchauffement climatique se confirme et si la navigation transpolaire
devient courante.
C’est peut-être pour cette raison
qu’en Juillet 2007 les Russes ont planté
leur drapeau au Pôle Nord, par quatre mille mètres de fond.
Bien entendu, si pour les
Occidentaux l’Oural est une séparation nette entre l’Europe et l’Asie, entre la
Russie d’Europe et la Sibérie, c’est pour les Russes une chaîne de montagnes
très moyennes, bien plus petites que celles du Caucase, une ligne de partage
des eaux qui ne rompt en rien la continuité de leur pays. On ne saurait trop
souligner l’importance de cette continuité car la géographie commande
l’histoire et la présence de la Méditerranée a bien sûr joué un rôle
fondamental dans les sentiments identitaires des Magrébins.
C’est Yermak et ses mille cosaques
qui au seizième siècle commencèrent la conquête de la Sibérie. Les contacts
avec les peuples nomades d’Asie centrale furent souvent guerriers, mais ceux
avec les peuples du Grand Nord, Samoyèdes, Iakoutes, Inuits, furent quasiment
toujours pacifiques. Le peuplement de la Sibérie fut très lent, elle n’avait
encore que cinq millions d’habitants en 1815. La construction du chemin de fer
transsibérien fut bien sûr un élément capital du développement de cette région
particulièrement isolée et en 1914 le nombre des Sibériens dépassait 10
millions.
En 1858 et 1860, pendant et juste
après la deuxième guerre anglo-franco-chinoise de l’opium, les Russes
profitèrent des difficultés de la Chine pour imposer à Aïgoun puis à Pékin les
« traités inégaux » et la frontière de l’Amour-Oussouri. Ils
fondèrent Vladivostok en 1859 (aujourd’hui 600 000 habitants). Le résultat
c’est qu’il y a deux frontières russo-chinoises, de part et d’autre de la
Mongolie Extérieure, celle de l’Ouest n’a que cinquante kilomètres, mais celle
de l’Est en a 4195… Bien entendu tous les petits Chinois apprennent que les
territoires du Nord-Est leur ont été arrachés par la force.
Y a-t-il un danger de
« colonisation rampante » de la Sibérie par les Chinois ? Des
chiffres de plusieurs millions d’immigrés chinois en Sibérie ont circulé, mais
le gouvernement russe a strictement limité leur nombre à 400 000
seulement. D’un autre côté, l’Extrême-Orient russe, où règne un solide climat
d’hostilité antichinois, fait quand même 80% de son commerce avec la Chine, la
Corée, le Japon et seulement 10% avec la Russie d’Europe.
Le point le plus délicat est la
baisse de la population de l’Extrême-Orient russe, surtout par émigration vers
des lieux plus cléments (essentiellement vers la Russie d’Europe) ; c’est
ainsi que depuis vingt ans le Kamtchatka a perdu 20% de sa population, l’ile de
Sakhaline 18% et la province de Magadan (extrême Nord-Est) plus de 55%...
Que nous réserve l’avenir ?
« L’important n’est pas l’intention, mais le potentiel » (Bismarck).
On peut donc craindre qu’après avoir absorbé le Tibet, le Sin-Kiang, Hong-Kong
et Macao, la Chine moderne n’en fasse autant de Taïwan avec laquelle elle est
déjà en symbiose économique. L’étape suivante est toute indiquée : la
Mongolie Extérieure dont « l’indépendance » a été imposée par la
Russie en 1912 seulement et qui survit dans des conditions difficiles avec à
peine 2 millions d’habitants sur 1,5 millions de km². Gengis-Khan est un héros
chinois.
Et après ? Le moins que l’on
puisse dire est que la Russie aura de toute évidence le plus grand mal à
résister à l’expansion chinoise. Son point le plus faible est cette peste
blanche : la faiblesse de la natalité. Cette leçon vaut aussi pour
l’Europe en particulier face à une Afrique prolifique. Une union européenne de
Lisbonne à Vladivostok sera sans doute le seul vrai contrepoids à ces déséquilibres.
En conclusion je dirai que la Russie
est « entre deux mondes », mais qu’elle est essentiellement
européenne aussi bien par l’Histoire que par la Géographie, n’oublions pas
Pierre le Grand, l’influence française, les immigrants défricheurs allemands et
le sacrifice du peuple russe qui, avec 22 millions de morts, a scellé la
victoire contre le nazisme.
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Questions
Importance
de l’influence chinoise en Asie centrale ?
Cette influence est essentiellement économique : la majeure partie du
commerce, des oléoducs et des gazoducs, une immense autoroute… Mais les
dirigeants d’Asie centrale ont bien compris que leurs pays sont bien petits et
qu’ils ont besoin du contrepoids russe.
D’une manière générale ces hommes
ainsi bien sûr que les Chinois et les Russes (Vladimir Poutine) sont des
réalistes et font de la Realpolitik. Ils sont bien loin de ces « idiots du
village », dixit Hubert Védrines, que nous connaissons en Occident et qui
rêvent a très court terme dans l’idéologie des droits de l’homme.
Combien
y a-t-il d’Ouïgours au Sin-Kiang ?
Les Ouïgours du Sin-Kiang sont 6,5
millions et sont moins nombreux que les Hans à l’intérieur même du Sin-Kiang.
N’oublions pas que la population Han représente 90% de la Chine entière.
Que
pensez-vous des achats de terre par les Chinois en Afrique ?
Je sais qu’il s’agit là d’une chose très importante, plusieurs centaines de
milliers d’hectares. Mais j’ignore quelles sont les conditions des contrats
ainsi passés et ce qu’en pensent les Africains. C’est certes quelque chose
d’étonnant, mais je n’en sais pas plus que vous à ce sujet.
Que
pensez-vous de la division Russie, Biélorussie, Ukraine ?
Tout d’abord sur le plan linguistique le biélorusse est très proche du
russe, lequel est compréhensible pour un Ukrainien. Sur le plan politique, cette division est
artificielle, Kiev fut pendant des siècles, à l’origine, la capitale de la Russie ; je pense que
cette division n’est pas appelée à durer.
Les
Français sont-ils présents en Russie ?
Ils font des efforts et des progrès, mais beaucoup moins que les Allemands.
Que
pensez-vous du « printemps arabe », croyez-vous que quelque chose
d’analogue puisse se produire dans les dictatures d’Asie centrale ?
Je suis très réticent vis-à-vis du « printemps arabe », souvenez-vous
de ce qui s’est passé en Iran. Les dirigeants d’Asie centrale, Kadirov par exemple en Ouzbékistan, ont parfaitement
compris que l’Islam intégriste était leur plus grand ennemi et n’hésitent pas à
faire ce qu’il faut pour le combattre.
Quelle
est votre opinion vis-à-vis des Américains et de leur présence en Europe et en
Asie centrale ?
Je pense, comme le pensait le Général de Gaulle, qu’il est tout à fait
nécessaire de se libérer du « protectorat » américain. Il y va sans
doute de la survie de la civilisation européenne et pour l’instant l’Union
Européenne est sans frontière définie, sans âme. Pour l’Asie centrale, il n’y
reste plus qu’une base militaire américaine : au Kirghizistan.
Je vous rappelle le livre de
Brezinski (qui fut le conseiller en politique étrangère de plusieurs présidents
américains) il y écrit notamment : « Il faut ramener la Russie à
Stavropol, point de départ de la colonisation russe vers le Caucase et l’Asie
centrale ». Sans
commentaire !
Monsieur Marc Rousset termine la
réunion par un éloge du Général de Gaulle qui, dès 1949, prévoyait les
évolutions de la fin du vingtième siècle et appelait de ses vœux un
rapprochement franco-allemand couronné plus tard par un rapprochement avec une
Russie débarrassée de la dictature communiste.
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Monsieur Marc Rousset a écrit :
La nouvelle Europe
Paris-Berlin-Moscou
Le continent paneuropéen face au choc
des civilisations.
Editions
Godefroy de Bouillon, 2009
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