X -Démographie-Economie-Population
Conférence du 1er Avril 1998
La mondialisation, ses effets sur l'emploi et les salaires
par Claude Pottier
Chargé de Recherche au CNRS, Université Paris X – Nanterre,
Centre de Recherche sur l'Entreprise Multinationale
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Monsieur Pottier fait d'abord remarquer que si la mondialisation est parfois présentée abusivement comme responsable de tous les problèmes sociaux, la tendance inverse domine dans les milieux politiques, médiatiques et même universitaires, celle qui consiste à minimiser ses effets sur l'emploi et les salaires. Monsieur Pottier pense qu'elle a bel et bien des effets importants. Pour les évaluer, il ne faut pas réduire la mondialisation à l'accroissement du commerce international et, encore moins aux échanges entre les pays industrialisés et les pays en développement.
Par rapport à d'autres périodes de poussée de la mondialisation, notamment la période 1870-1914, le processus actuel peut être caractérisé par 6 traits fondamentaux, assez interdépendants :
1°)Le triomphe du marché. Il se forme des marchés mondiaux des marchandises, du capital et du travail, qui ignorent les frontières nationales. Cela n'est pas le résultat d'une évolution naturelle. Les Etats ont libéralisé les mouvements de travailleurs, de marchandises et de capitaux. Le projet d'accord AMI (Accord Multilatéral sur l'Investissement) est le dernier avatar de ce processus.
2°)Le règne de la finance, puisque l'argent est le bien qui peut circuler le plus facilement.
3°)La mobilité internationale des facteurs de production (capital, technologies, travail) et non pas seulement des marchandises.
4°)L'intensification de la concurrence entre les firmes.
5°)L'organisation mondiale de la production. Il ne s'agit pas seulement, pour les firmes, d'implanter des unités de production à l'étranger, mais aussi de spécialiser ces unités et de décomposer les processus productifs entre différents territoires. D'où l'importance du commerce international intra-firme.
6°)La mise en concurrence des salariés du monde entier. Celle-ci résulte de la mobilité du travail ou, en l'absence de celle-ci, de la mobilité des entreprises (délocalisations).
La mondialisation a donc, pour les pays industrialisés, des conséquences importantes sur l'emploi et les salaires, ces deux variables étant en partie substituables. Alors que les bas salaires ont diminué aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne depuis les années 1980, la relative rigidité salariale en Europe continentale a provoqué une poussée du chômage.
Monsieur Pottier évalue ces conséquences en analysant successivement les trois grandes dimensions de la mondialisation : financière, commerciale et productive.
La mondialisation financière signifie qu'une énorme quantité de capitaux flottants se déplacent dans le monde. Cela crée une grande instabilité macro-économique dont les effets sur l'emploi et les salaires sont très complexes à analyser. Par contre, sur le plan micro-économique, il est facile de voir que le poids croissant des fonds communs de placement et des fonds de pension dans le capital des entreprises pousse celles-ci à rechercher un profit à court terme et, pour cela, à réduire leurs effectifs ("downsizing").
Pour ce qui est du commerce avec les pays en développement, les calculs de contenu en emplois des échanges montrent généralement que l'impact sur l'emploi dans les pays industrialisés est faible et limité au travail peu qualifié. Mais ces calculs n'intègrent pas la réaction des entreprises face à la concurrence : réduction des salaires, précarisation de l'emploi, automatisation qui conduit à l'éviction du travail. L'affirmation selon laquelle le chômage résulte du progrès technique et non de la mondialisation n'a pas grand sens puisque ces deux variables sont liées à l'intensification de la concurrence.
Il ne faut d'ailleurs pas se préoccuper du seul commerce entre les pays industrialisés et les pays en développement. Des études montrent que l'accroissement des échanges entre pays industrialisés a un impact plus important sur l'emploi. Le fond du problème est là : la mondialisation signifie une intensification de la concurrence entre les firmes, y compris la concurrence par les coûts du travail. Les Etats eux-mêmes participent à ce processus par des politiques de désinflation compétitive visant à réduire le coût du travail, et de dumping social (dans les dix dernières années, la Grande-Bretagne a reçu 40 % des investissements directs manufacturiers des firmes extra-européennes dans l'Union Européenne).
La dimension productive de la mondialisation est très importante. On peut appeler "délocalisations" les transferts d'activité motivés, au moins en partie, par la recherche d'une main-d'œuvre moins coûteuse et donnant lieu à des flux importants de réimportation dans le pays d'origine. Ce n'est pas le cas de la majorité des investissements directs internationaux, qui sont liés exclusivement à la conquête des marchés. Les délocalisations peuvent prendre la forme d'investissements directs ou de contrats de sous-traitance. Certains économistes affirment que le mouvement de délocalisation est en régression puisque les investissements directs internationaux se concentrent entre les pays industrialisés. Mais les statistiques globales mélangent des logiques très différentes, par exemple les fusions-acquisitions, qui ne se traduisent pas par la création d'unités de production, et les investissements dans les services, qui sont très liés à des contraintes de proximité et, en général, peu propices à une décomposition des processus productifs.
L'examen des investissements directs internationaux dans l'industrie manufacturière montre une nette réorientation vers les pays à bas salaires, à partir de la deuxième moitié des années 1980, notamment sur une base régionale. C'est le cas pour les firmes américaines à partir de 1988. Notamment, la part du Mexique, dans le total de leurs investissements manufacturiers dans le monde est passée de 1,6 % en 1985-1987 à 10,1 % en 1988-1990, et encore 6,5 % en 1994-1996. En même temps, les filiales mexicaines des firmes américaines destinent une part croissante de leurs ventes au marché américain. De même, la part des quatre grands pays de l'ASEAN et de la Chine dans le total de l'investissement manufacturier japonais dans le monde est passée de 6,5 % en 1985-1986 à 35,2 % en 1995. Là encore, les importations du Japon en provenance des unités de production implantées par les firmes japonaises en Asie se sont nettement accrues, à la fois en valeur absolue et par rapport au total des importations japonaises. Enfin, les firmes ouest-européennes utilisent de plus en plus le Maghreb et les pays d'Europe centrale et orientale comme base productive à faible coût du travail, particulièrement par le biais de la sous-traitance dans ces pays.
L'intensification de la concurrence entre les firmes des pays industrialisés les conduit à organiser leur production à l'échelle mondiale et régionale, en s'appuyant de façon croissante sur les pays à bas salaires. Les effets sur l'emploi et les salaires ne peuvent être évalués seulement à partir de l'évolution des échanges puisque la simple menace des délocalisations modifie sensiblement le fonctionnement du marché du travail.
Monsieur Pottier termine son exposé en distribuant une liste d'ouvrages sur la mondialisation (cf. ci-après)
Les questions ont été nombreuses et passionnées, venant de tout l'auditoire et en particulier de Pagès arrivé tout exprès de Bordeaux.
Question : Soit une filiale à l'étranger, sa production est-elle comptée dans le produit national ?
Réponse : L'activité d'une filiale d'une firme étrangère est comptabilisée dans le produit (aussi bien intérieur que national) du pays d'accueil. Ce qu'il faut distinguer ce sont les performances des pays et celles des firmes multinationales qui en sont issues. Ainsi, en 1994, les ventes des filiales de firmes américaines implantées à l'étranger représentent deux fois les exportations des Etats-Unis.
Question : Le bas de gamme n'est-il pas très automatisable et de moins en moins recherché ?
Réponse : Peut-être faudrait-il plutôt parler de production standardisée (de bas de gamme et de moyenne gamme). Elle est de plus en plus automatisée ou délocalisée, ce qui réduit l'emploi dans les pays industrialisés. La spécialisation de ceux-ci dans l'innovation et la fabrication des produits nouveaux ne résout pas le problème.
Question : Les transferts de technologies dans les pays à bas salaires ?
Réponse : Comme le souligne P.-N. Giraud, le rythme de standardisation et de transfert de technologies dans les pays à bas salaires paraît plus rapide que le rythme de l'innovation dans les pays industrialisés.
Question : Importance de la crise en Asie ?
Réponse : La crise financière en Asie est assez étrangère à la logique de délocalisation des entreprises japonaises dans cette région, qui a, pour elle, des effets positifs à long terme sur l'emploi et les salaires.
Question : Les jeunes et la mondialisation ?
Réponse : Les effets négatifs de la mondialisation sur l'emploi et les salaires dans les pays industrialisés concernent surtout les jeunes peu qualifiés.
Question : La mondialisation et la monnaie européenne ?
Réponse : Tout dépend de la politique économique dans laquelle s'intégrera l'Euro. Dans l'immédiat le problème de la crédibilité de l'Euro peut inciter à lui fixer un niveau élevé par rapport aux autres monnaies, ce qui ne sera pas favorable à l'emploi.
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