X-Démographie-Economie Population
Conférence du Mardi 27 Janvier 2015
Histoire d’une névrose, la France et son économie.
Par le camarade Jean Peyrelevade (58)
Auteur des livres : « Histoire d’une névrose, la France et son économie »
« Sarkozy : l’erreur historique » et « France état critique »
J’ai longtemps été témoin des dérives de l’économie française sans en comprendre vraiment les raisons profondes. Pourtant l’archaïsme économique et le déni des réalités qui nous caractérisent sont à la fois intéressants et terrifiants. C’est une singularité française dont j’ai recherché les ressorts dans notre histoire nationale.
De Clovis à Louis XVI notre pays connait un état théocratique et bien souvent absolu – ce qui est arrivé aussi à la Russie – Il fut le théâtre de dures guerres de religion et organisa une chasse massive des protestants. Il a vécu une longue féodalité et pendant des siècles la noblesse – 1% de la population – continue de détenir près de deux cinquièmes des richesses agricoles sans pour autant déroger (c'est-à-dire sans travailler), et sans payer d’impôts. Bien entendu la Révolution va être essentiellement orientée contre ces injustices et va placer dans le peuple la source de toute légitimité : Pas de corps intermédiaires entre l’Etat et le citoyen ! ils pourraient être tenté de s’emparer de la légitimité nationale – ou au moins de la grignoter – « Quiconque essaiera de s’emparer de la souveraineté du peuple doit être mis à mort ! » et c’est ainsi que notre philosophie de l’Etat nous fait soumettre toutes les entreprises à la volonté discrétionnaire du politique.
Reconnaissons aussi que nous avons été le peuple européen le plus guerrier, mû par une politique de puissance et non de production, échange et consommation. L’exemple le plus évident est celui de Colbert : il faut le plus d’or possible dans notre pays (nerf de la guerre) d’où la lutte contre les importations et la création de manufactures nationales bien protégées contre la concurrence étrangère (Gobelins, etc...). La France de ce temps est la première puissance politique, guerrière, culturelle, mais non économique au contraire des Pays-Bas.
Il y a tout de même une parenthèse au dix-neuvième siècle avec plusieurs économistes (avant Schumpeter) et des observateurs judicieux : Benjamin Constant, Jean-Baptiste Say, Saint-Simon et Alexis de Tocqueville. Benjamin Constant écrit contre la Terreur. Jean-Baptiste Say va à Londres, lit « Richesse des nations » d’Adam Smith et se familiarise avec des courants de pensée bien différents de nos habitudes, il devient membre du Tribunat (1799-1804) et publie son « Traité d’économie politique » en 1803. Mais Napoléon, qui a besoin d’argent pour ses campagnes militaires, lui demande de réécrire son chapitre traitant des questions fiscales, il refuse et est exclu du Tribunat. Il se consacre alors à la gestion d’une filature de coton dans la Pas-de-Calais (1807-1813) et en 1815 la réédition de son traité connaît un immense succès ce qui le conduit à la première chaire d’économie au Collège de France.Il est le premier économiste français a avoir reconnu l’utilité des entrepreneurs. Mais l’influence de Saint-Simon, plus philosophe, créatif et doctrinaire mais moins rigoureux, sera plus grande encore et de 1830 à 1870 la France connaît un vague d’entrepreneurs et un développement remarquable et même (en 1860) un traité de libre-échange avec la Grande-Bretagne. Alexis de Tocqueville observera avec acuité ces transformations et parlera de la « nouvelle aristocratie » qui n’a pas encore subi l’opprobre marxiste.
Cependant après 1871 et la Commune, le marxisme monopolise le débat, or pour Karl Marx les entrepreneurs et les chefs d’entreprises ne sont que des exploiteurs inutiles. Le capitalisme c’est « l’exploitation de l’homme par l’homme » que seule à ses yeux la propriété collective des moyens de production pourra empêcher. Jean Jaurès résume parfaitement ce point de vue quand il proclame : « L’humanité est passée de l’anthropophagie à l’esclavage, puis de l’esclavage au servage, puis du servage au salariat, enfin le régime collectiviste ou communiste succédera au salariat ». Plus tard Léon Blum, brillant normalien mais peu versé en économie, verra le monde avec des lunettes exclusivement marxistes : « Le chef d’entreprise est un pur exploiteur, il ne sert à rien ». L’importance de l’innovation (scientifique, technique ou commerciale) et de la judicieuse prise de risque ne sont même pas envisagées.
En conséquence, pour protéger les salariés, nous avons une police du travail spécialisée et un code du travail de près de 4000 articles, sans équivalent dans les autres pays développés.
Quelle différence avec les Etats-Unis d’Amérique ! Là-bas la guerre de l’indépendance s’est faite elle aussi contre les abus, surtout fiscaux, d’un pouvoir lointain et indifférent contre lequel les recours légaux étaient inefficaces. Mais la philosophie que les Américains en ont tirée est très différente de la nôtre. Ils considèrent que le pouvoir central peut facilement devenir une source d’oppression et qu’il est tout à fait nécessaire que chaque pouvoir soit contrôlé, encadré et contrebalancé par un autre pouvoir disposant des moyens nécessaires et aux compétences bien définies, c’est la philosophie des « check and balance » qui multiplie les pouvoirs intermédiaires ainsi les cinquante états de l’Union et la Cour Suprême sont considérés comme autant de protections contre les éventuels débordements et abus du pouvoir fédéral.
Dans ces conditions la liberté d’entreprendre est une évidence et la liberté contractuelle va de soi. L’Etat n’a pas à se mêler des affaires et des conventions consenties librement entre les citoyens ; il est à leur service et ne leur est pas supérieur !
L’exemple allemand est lui aussi éloquent. Tout d’abord l’Allemagne est une République Fédérale, comme les Etats-Unis, et cela diminue bien sûr les possibilités d’abus du pouvoir central, mais surtout le parti socialiste allemand a fait l’abandon du marxisme au congrès de Bad Godesberg en 1959, il y a plus de cinquante ans ! Ce fut la base de l’Etat social et de la cogestion. En conséquence l’Allemagne connait de temps à autre des périodes de « grande coalition » entre chrétiens-démocrates et sociaux démocrates, entre la droite et la gauche, ce qui reste impensable en France.
Peut-on avoir chez nous quelques espoirs d’amélioration ? Verrat-on l’emprise consciente ou inconsciente du marxisme décliner ? Les sociaux-démocrates depuis toujours minoritaires à gauche, pourraient-ils ne plus l’être (Macron ,Valls) ? Cela suffira-t-il ? La liberté d’entreprendre et la liberté contractuelle seront-elles reconnues comme parties intégrantes de notre constitution ? Il faut sans cesse avoir à l’esprit que le mal profond dont souffre l’économie française, dans toutes ses composantes publiques comme privées, tient au coût trop élevé du travail par unité produite : depuis quinze ans les rémunérations progressent plus vite que la productivité, ce qui a détruit notre compétitivité et notre croissance et entraîné la désindustrialisation. La réduction de la durée du travail à salaire inchangé n’est pas étrangère au phénomène, mais beaucoup d’hommes de gauche croient encore que « partager le travail » aide à lutter contre le chômage alors que cette diminution de la compétitivité contribue au contraire à l’étendre ! (La diminution de la durée du travail, 35 heures, retraite à 60 ans, crée des emplois… en Chine ! )
Il nous faudra bien un jour inscrire dans notre constitution ce qui devrait être une évidence :
De l’entreprise
Article 1. La liberté d’entreprendre est l’un des droits de l’homme. Tout citoyen peut se livrer à l’activité de son choix.
Article 2. L’entreprise est une structure juridique, propriété d’un ou plusieurs citoyens, à laquelle ceux-ci confient librement leurs intérêts.
La création d’entreprise est libre.
Article 3. Les entreprises exercent librement leurs activités. Elles jouissent elles-mêmes de la liberté d’entreprendre.
Article 4. La liberté contractuelle de l’entreprise dans ses relations avec ses clients et ses fournisseurs est partie intégrante de la liberté d’entreprendre.
Cette liberté contractuelle s’applique également aux accords entre l’entreprise et ses salariés.
Article 5. La loi apporte à la liberté d’entreprendre et à la liberté contractuelle des limitations justifiées par des exigences constitutionnelles ou des motifs d’intérêt général. Les limitations doivent rester en proportion des objectifs poursuivis.
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Questions
Aurais-tu écris ce livre au temps de Pierre Mauroy ?
La gauche réformiste, Pierre Mauroy, Jacques Delors était certes minoritaire, mais on pouvait espérer que les choses évolueraient favorablement. Le tournant de la rigueur est de 1983. Malheureusement ce ne fut qu’une parenthèse et certes l’abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans a été une erreur.
Comment peut-on faire évoluer les choses ?
D’abord en parler car c’est une névrose. En parler dans tous les milieux à commencer par le patronat. Souligner que l’on ne peut contester l’utilité du chef d’entreprise qui recherche l’innovation performante dans tous les domaines et fait le tri entre les risques judicieux et ceux déraisonnables.
Le changement peut-il être brutal ou doit-il être progressif ?
C’est une grave question. Personnellement j’aurai tendance à penser que la méthode progressive est sans issue, mais qu’après quelques années de préparation des esprits une présentation complète et cohérente aurait des chances de succès. Il nous faut changer les textes fondateurs.
Quid du contexte européen et de l’Euro ?
Nous n’échapperont pas à une réforme profonde de l’Euro car les économies des pays d’Europe sont trop divergentes.
Faut-il promouvoir l’éducation économique ?
Oh ! Tout à fait. Dans ce domaine nous sommes les derniers en Europe !
A droite qui verrais-tu ?
Sûrement pas Sarkozy, à gauche seul Valls me semble être une possibilité de vrai changement.
Que penses-tu de la situation économique et sociale de la Grande-Bretagne.
Les Britanniques n’ont pas de Constitution écrite (sauf un texte de 1815) et fonctionnent en vertu de la tradition et des coutumes. Ils ont une grande tradition de liberté, y compris la libre entreprise, ils sont très pragmatiques et n’ont pas ce déni des réalités trop commun chez nous. Cela dit ils ont aussi leurs problèmes.
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Ouvrages principaux de Jean Peyrelevade
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