Groupe X-Démographie-Economie –Population

 

Exposé du Mercredi 18 Janvier 2006

 

Le défi de l'immigration

 

Par M. Tandonnet

Conseiller technique du Ministère de l'Intérieur pour les questions d'asile et d'immigration.

Auteur du livre "Le défi de l'immigration"

 

           

Monsieur Tandonnet commence son exposé par un état des lieux de l'immigration en France.

 

Le phénomène principal est une nette augmentation des flux d'entrée depuis dix ans et pour de nombreuses raisons ; ainsi pour le nombre des titres de séjour de plus d'un an :

       1995                    2000                           2002                        2003

       125 000              188 000                       207 000                  217 000

L'augmentation est de près de 80%... et il ne s'agit là que des entrées régulières d'adultes car, depuis 1985, "on ne compte plus les enfants" (pour des raisons idéologiques, plus que pour des raisons scientifiques : les enfants ne sont-ils pas destinés par nature à devenir des hommes et des femmes ? ). On peut se faire une idée grossière du nombre des enfants si l'on sait qu'avant 1985 leur nombre représentait environ 25% du nombre des adultes. Pour en tenir compte il faut donc majorer d'environ 25% les chiffres ci-dessus... en admettant que les comportements n'aient pas changé.

            Dans ces 217 000 entrées annuelles il faut distinguer 50 000 étudiants, 100 000 entrées d'adultes au titre du regroupement familial (avec environ 50 000 entrées d'enfants qui les accompagnent) ,10 000 réfugiés et le reste de divers.

            En plus de ces entrées tout à fait légales et régulières, il y a les demandeurs d'asile entrés illégalement et pouvant rester aussi longtemps que l'OFPRA n'a pas statué sur leur sort, là aussi leur nombre a beaucoup augmenté : 20 000 adultes en 1997, 82 000 en 2003 (mais 60 000 seulement en 2005).

            A toutes ces entrées qui avoisinent probablement 300 000 par an dans les années 2000-2003 , il faudrait bien sûr ajouter un nombre inconnu de clandestins qui ne demandent pas l'asile, ils utilisent des filières plus ou moins maffieuses ou bien entrent avec un visa de touriste valable trois mois et ne repartent pas. On peut cependant avoir une petite idée de leur nombre quand on sait que chaque année 100 000 d'entre eux sont interpellés par la police (mais pas pour autant expulsés... ).

            Bien entendu le solde migratoire doit aussi tenir compte des départs, mais leur nombre est inconnu et certainement beaucoup plus faible : il y a seulement 1000 départs par an avec "l'aide au retour", les expulsions effectivement faites plafonnent à 20 000 par an et la majorité des étudiants africains ou maghrébins ne repartent pas ! Le "solde migratoire" de 100 000 par an utilisé par l'INSEE est probablement très sous-estimé... même s'il a pendant longtemps servi de base aux estimations et aux décisions.

            Il y a à ce sujet une confusion entre le solde migratoire et les variations du nombre des étrangers sur le sol français. Car les naturalisations expliquent la stabilisation de ce dernier nombre et elles sont de 150 000 par an, soit par décret, soit par mariage, soit par droit du sol.

     A la différence de certains autres pays européens, la régularisation de migrants en situation illégale est quasiment "de droit" au bout d'au plus dix années de présence sur le sol français. On voit même souvent des clandestins présenter leurs dix arrêtés annuels de reconduite à la frontière pour prouver qu'ils ont bien vécu en France pendant toutes ces années, même si c'était au mépris de la loi !

            Ce flux migratoire est encore aujourd'hui constitué à 70% de personnes originaires du Maghreb et d'Afrique de l'Ouest, mais il se diversifie de plus en plus : Turquie, Caucase, Chine, Asie du Sud-Est, Afrique centrale (Zaïre, Ruanda).

            Il est essentiel de remarquer que l'accélération du flux migratoire, constatée depuis dix ans est propre à la France. Elle ne frappe ni la Grande-Bretagne, ni l'Allemagne où, même si les étrangers sont nombreux, le nombre des naturalisations reste moins élevé. Ces pays, surtout l'Angleterre, ont durci les conditions d'accueil  et le nombre des demandeurs d'asile y a beaucoup baissé (en Allemagne 100 000 demandes en 1995, 30 000 seulement en 2004). Le résultat : en 2004 la France a été le premier pays au monde pour les demandes d'asile devançant même les États-Unis (65 000 contre 58 000).

            Il est intéressant de voir l'évolution du nombre annuel des "visas Schengen", ces documents qui permettent des visites ou des séjours de trois mois, mais qui ont un taux "d'évaporation" de l'ordre de 10%. Pour les Algériens ce nombre augmente de 48 000 à 277 000 dans l'intervalle 1996 - 2001, et pour les Chinois de 38 000 à 91 000, mais il y a tout de même un net recul ces dernières années.

Lors de la délivrance des visas de tourisme par les consulats, les enquêtes faites pour contrôler la validité des documents présentés ont montré que dans certains pays 80% d'entre eux sont frauduleux.

Autre domaine : les délivrances de titre de séjour après le mariage avec un citoyen français. Après les lois Chevènement de 1997 et 1998 leur nombre annuel a bondi, passant de 20 000 à 60 000 en 2004...

            On peut dire pour résumer, que la France d'aujourd'hui subit une immigration en forte hausse, dérive des années 90, et que cette immigration n'est que très partiellement contrôlée. Pensez donc que la majorité des immigrants ne sont nullement attendus. Rien n'est préparé pour eux, ni logement, ni travail. Dès l'arrivée 40% d'entre eux s'inscrivent à l'ANPE : ils n'ont eux-mêmes rien préparé !  D'où l'importance des squats, 12 000 places d'hôtel louées par l'État, et un taux de chômage de 20% en moyenne et même 40% parmi les adultes Africains !

            Les conséquences néfastes sont nombreuses car cette situation favorise l'exclusion : il y a 630 cités ghettos, souvent zones de non-droit  plus ou moins abandonnées par la police et les services publics, la moitié d'entre elles sont marquées par un repli communautaire, gangrenées par le trafic des stupéfiants et proies d'une économie maffieuse : on a saisi 8 tonnes de stupéfiants en 2005.

            Les difficultés de l'intégration entraînent une montée de l'islamisme radical. Les imams salafistes  sont très nombreux et beaucoup de leurs prêches sont violemment anti-français, le port du voile s'étend  et de nombreux délinquants se reconvertissent dans l'islamisme. Les actes de violence raciste sont de plus en plus nombreux : 800 en 2003, 1500 en 2004...

            Malgré les discours "politiquement corrects", les problèmes d'immigration et d'intégration sont très liés et la France se trouve aujourd'hui face à un défi majeur dont l'évolution va conditionner son avenir d'une manière décisive. Pour agir efficacement il nous faut absolument abandonner nos illusions idéologiques et voir la réalité en face.

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Questions

 

            Pouvez-vous comparer notre situation et celle de l'Espagne ?

            Ces deux situations sont très différentes : l'immigration espagnole est très récente (500 000 étrangers en 2000,  2,7 millions en 2005) et les flux correspondants sont énormes, mais ils viennent pour les deux tiers d'Amérique latine. Il y a un million de régularisations par an.

            En Italie nous avons le même schéma qu'en Espagne, avec toutefois cette différence que les immigrants sont essentiellement Maghrébins, Africains ou Balkaniques.

            Que pouvez-vous dire de la démographie africaine ?

Il y a chaque année 7 millions de naissances en Afrique occidentale et centrale et, malgré une baisse récente et qui se poursuit, encore près de 2 millions de naissances annuelles au Maghreb. Ceci est à comparer avec les 700 000 à 800 000 naissances annuelles en France : le potentiel africain d'immigration est considérable et augmente chaque fois qu'il y a détérioration des conditions africaines (Côte d'Ivoire... ).

            L'Institut Géopolitique des Populations a fait récemment une étude du coût de l'immigration en France. Il arrive à une estimation d'environ 36 milliards d'Euros annuels, soit plus de trois fois et demi le déficit de la Sécurité sociale ; qu'en pensez-vous ?

Cette estimation peut paraître surprenante pour les personnes non informées, mais elle ne m'étonne pas, même si personnellement  je n'ai pas étudié cette question.

            Importance des idées préconçues de nature idéologique ?

            Elles sont tout à fait essentielles  dans ce débat. Beaucoup de Français en sont restés au livre de Bernard Stasi "L'immigration, une chance pour la France" (1985) et craignent avant tout de passer pour des racistes en exprimant tout haut des constatations de simple bon sens. Il y a cependant une grande évolution depuis les émeutes de novembre 2005, y compris dans les journaux de gauche.

            Où les migrants trouvent-ils des ressources pour leur voyage ?

C'est ici l'occasion d'évoquer les filières de passeurs qui vous promettent monts et merveilles puis, pour se rembourser et faire des bénéfices, vous font travailler "au noir" une fois arrivé en France. La situation de ceux qui se laissent prendre dans ce système est terrifiante, c'est un véritable esclavage dont la sanction est la mort en cas de tentative de rébellion ou d'évasion - souvent même la mort de toute la famille ! Rares sont les clandestins qui osent porter plainte contre leurs bourreaux.

            Il m'est arrivé de revenir de bien des destinations étrangères et de constater que les contrôles étaient bien légers ! Certes, mais la police de l'air et des frontières agit surtout sur renseignements, de plus certains pays sensibles sont "ciblés".

            La France est-elle vraiment plus attrayante que les autres pays d'Europe pour les immigrés ?

Cela dépend du point de vue. Si vous cherchez vraiment un emploi, l'Irlande et l'Angleterre sont bien plus attirantes. Mais la France a bien des avantages particuliers, par exemple l'aide médicale d'État y représente 500 millions d'euros par an pour les seuls clandestins !

            Y a t-il vraiment beaucoup de fraudes au mariage ?

Les exemples sont innombrables ! Soit qu'il y ait par derrière un véritable contrat financier, soit même que le conjoint soit dupe. On cite le cas de ce Français de 85 ans qui croyait vraiment être aimé de la jeune marocaine de 30 ans qui lui a tourné le dos dès qu'elle a eu la nationalité française... On voit aussi quantité de jeunes gens épouser des Françaises de trente ou quarante ans plus âgées qu'eux.

            Y a t-il beaucoup de cas de double nationalité ?

Il y en a effectivement beaucoup, mais le problème essentiel réside dans l'automaticité de la naturalisation.

Que faire ? Est-il possible de se montrer aussi sévère que les Anglais ? Est-il possible de se retirer de l' acord-passoire de Schengen ?

En principe non, nous pouvons bien sûr exiger des sanctions contre l'Italie et la Grèce, mais cela repoussera les entrées par la Belgique. Cependant nous ne sommes pas démunis. La première chose à faire est bien sûr de renseigner l'opinion sur la situation réelle. Puis il nous faut nous fixer des objectifs réalistes. La France ne peut évidemment pas accueillir toute la misère du monde, elle s'y ruinerait inefficacement et s'y sous-développerait. Par contre nous pouvons sauver du chômage et de l'exclusion ceux qui sont déjà chez nous, à condition de consentir un gros effort - financier, physique et intellectuel - pour cela, et à condition d'exiger le même effort des immigrés. Bien entendu l'une des conditions est la maîtrise des flux actuels d'immigration, sinon il faut sans cesse tout recommencer à zéro.

Cependant ne nous faisons pas d'illusion : il est bien difficile d'agir, enserré comme nous le sommes dans un carcan juridique très impressionnant. Agir demandera la fin des illusions angélistes et la réunion de toutes les compétences.

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 Monsieur M. Tandonnet est l'auteur du livre essentiel "Le défi de l'immigration" édité chez François-Xavier de Guibert.

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