Groupe X-Démographie-Economie –Population

 

Exposé du Mercredi 1er  mars 2006

 

Vers une rénovation des politiques d’intégration

 

Par Eugène-Henri Moré, adjoint au maire de La Courneuve

 

 

 

Je suis un citoyen Français, né en France, de parents camerounais (son père était diplomate). Il a été élu à son fonction de conseiller municipal à La Courneuve (Adjoint au maire délégué a la vie associative, a la jeunesse, aux sports et aux ressources humaines) lors des dernières élections municipales de 2001. La commune de La Courneuve en Seine-Saint-Denis compte 37 000 habitants de 89 nationalités différentes.

Les idées des Français sur l’intégration remontent à loin, elles se sont longtemps articulées sur la notion d’assimilation. Dès le 18ème siècle les Juifs, qui n’ont reçu l’égalité citoyenne qu’au temps de Louis XVI, avaient remarqué dans la Thora l’importance des idées de Liberté, Égalité, Fraternité et pour dépasser les discriminations dont ils étaient victimes,  l’assimilation était conçue comme la marche vers la plus grande identité culturelle possible.

Les années de développement de l’immigration accompagnent la révolution industrielle et les besoins de main d’œuvre. Au 19ème siècle et au début du vingtième siècle les immigrés sont Belges, Allemands, Italiens, Polonais, Espagnols, Portugais... l’intégration économique (emploi) favorisant l’intégration sociale, les immigrés d’alors n’ont pas eu peine à accepter la politique d’intégration basé sur l’assimilation.

Ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale que se développe l’immigration venue du Maghreb puis d’Afrique subsaharienne. Au début il s’agit de venir travailler et gagner sa vie, puis repartir, mais avec les années 70 et l’instauration du regroupement familial un changement fondamental se produit : on émigre et on va rester, même si de très nombreux immigrés continuent longtemps à rêver d’un retour au pays natal, rêve que leurs enfants ne font pratiquement jamais.

L’intégration sociale et économique est rendue difficile du fait du chômage et de l’exclusion, de plus l’intégration culturelle est non systématique : seuls les volontaires vont aux cours d’alphabétisation, l’intégration citoyenne est rendue inefficace par la montée des logements ghettos et du communautarisme.

Les désillusions les plus importantes se succèdent à partir de 2001. En octobre le match de football France-Algérie où, devant le Premier ministre Lionel Jospin, la « Marseillaise » fut sifflée par les jeunes spectateurs venus des banlieues pauvres voisines. En avril 2002 Jean Marie Le Pen devance Lionel Jospin au premier tour de l’élection présidentielle et se retrouve face à Jacques Chirac pour le second tour. En novembre 2005 le malaise des banlieues entraîne des « révoltes » ou « émeutes » que la presse qualifie un peu rapidement d’émeutes ethniques tandis qu’il s’agit de mon point de vue de « révoltes » sociales...

Il faut mesurer la difficulté de la situation et la largeur du fossé culturel. Le drame de la France est de parler de politique d’intégration de ces enfants comme si elle parlait d’immigrés. Depuis 1905 il y a en France séparation de l’Église et de l’État, mais cet idéal laïc n’existe pas dans bien des pays dont les pays musulmans ce qui a motivé bien des incompréhensions dont l’histoire du foulard « islamique » n’est qu’un exemple. Beaucoup de Français « blancs » se refusent de voir les enfants ou petits enfants d’immigrés Nord Africains ou d’Afrique noire comme des Français à part entière tandis qu’ils le sont bel et bien Français. On les qualifie souvent d’immigrés, les renvoyant ainsi dans des constructions d’identité ne prenant pas en compte la singularité laïque de la France. Nous arrivons au moment décisif où les idées se remettent en question et où les choix nouveaux doivent être faits. Personnellement je suis pour renforcer le socle du pacte républicain et je n’approuve pas la notion de « discrimination positive » porté par quelques hommes politique.

La polémique lancé par Nicolas Sarkozy sur la « discrimination positive » a le mérite d’une certaine façon de répondre a plus de vingt ans de posture « des Français d’abord » (la fameuse Lepenisation des esprits…) par une posture les « immigrés d’abord »

On constate que les pays voisins, Pays-Bas, Grande-Bretagne, Allemagne, suivent une évolution opposée. Le communautarisme était sinon l’idéal, du moins le but pratique des Pays-Bas et de la Grande-Bretagne, mais depuis l’assassinat de Pim Fortuyn puis celui de Théo Van-Gogh par des personnes perçu comme immigrés marocains, l’idéalisme recule et les contrôles progressent. Les Anglais privilégient la réussite sociale et une marche générale vers une voie médiane. Les Américains ont une politique d’immigration des « cerveaux » utiles à l’Amérique, combinée avec une large entrée des seuls « Chicanos », et avec des moments forts comme l’élection de l’immigré autrichien Schwarzenegger au poste de gouverneur de Californie.

Mais parlons un peu de La Courneuve et de ce que l’on y fait.

Il y a en principe 37 000 habitants à La Courneuve dont 30% d’immigrés, en croisant les listes scolaires il faut sans doute compter 8 à 10% d’habitants supplémentaires, les hébergés. A La Courneuve malgré nos 50% de logements sociaux, nous avons 1800 demandeurs et l’offre annuelle est de 250... ce qui fait que nous avons de très nombreux hébergés dans des conditions souvent insatisfaisantes.  

Malgré la forte politique de logement social à La Courneuve, devant la pénurie de logement sociaux en Ile De France, des marchands de sommeil sévissent sur le territoire proposant des appartements dans des immeubles délabrés offrant des conditions d’hygiène et d’habitat calamiteuse. On y trouve également une concentration de difficultés sociales (monoparentalité, polygamie, chômage, délinquance, etc.). On arrive à une assez bonne estimation de ce supplément par l’intermédiaire de l’École, de l’aide sociale, de l’accueil sportif et de divers autres moyens.

Que faisons-nous pour améliorer l’intégration des immigrés ? Il y a d’abord un accueil avec une présentation des diverses institutions et associations. Nous avons aussi bâtit depuis 2003 un « projet de ville » avec description du passé, du présent et des projets futurs que nous nous efforçons de construire en commun avec les idées de tous.

Un élément très important : les rencontres-débat sur l’immigration, la colonisation, les Antilles, etc. , il faut qu’on se connaisse et que les idées fausses et les idéologies reculent. Ces rencontres-débat sont un grand succès, il n’y a eu ni incident ni polémique. Je donnerai l’exemple de l’histoire réunionnaise présenté par un historien spécialiste. Certains Réunionnais présents dans la salle ont posé la question du séparatisme local, mais l’historien n’a eu aucun mal à prouver qu’il n’existe pas : les Réunionnais savent ce qui s’est passé dans les îles Comores et n’ont aucune envie de se retrouver dans la même situation.

Les jumelages sont très utiles, ils permettent eux aussi d’améliorer la connaissance de la réalité historique.

Un autre exemple : un voyage organisé d’une équipe de jeunes de toutes origines au Burkina-Faso : Là-bas ils étaient tous Français ! Ils ont été très impressionnés par les écoliers burkinabés dont certains faisaient dix kilomètres à pied chaque jour pour aller à l’école...

Il nous faut parler des discriminations mais sachez que la pire est celle à l’encontre des obèses. J’ai personnellement subi une discrimination en voulant louer un logement : tout allait bien jusqu’à ce que l’on me voit, à ce moment tout change : le logement était « déjà pris », mais il ne l’était pas pour la jeune femme (blanche) qui s’est présentée juste après.

Nous avons beaucoup réfléchi aux questions de citoyenneté : celle-ci commence à la maternelle et s’acquiert en particulier par la connaissance de l’Histoire de France. Il y a à ce sujet un problème avec les personnes âgées, elles ne veulent pas se sentir concernées et n’en voient pas l’intérêt. C’est ainsi que lors du « Noël des anciens » un seul Africain est venu alors qu’ils étaient tous étaient invités.  

Bien entendu l’éducation à la citoyenneté doit être stricte, combattre les tendances au backchich et définir les droits et obligations de chacun. Elle doit faire barrage aux idées fausses que chacun se fait sur les autres communautés et aider à la vraie connaissance mutuelle ; elle doit souligner l’importance de l’espace public et de son appropriation par l’ensemble des citoyens : à La Courneuve où les journées de novembre dernier ont dans l’ensemble été calmes, car les adultes étaient dans les rues, nous avons eu une attaque à la voiture bélier juste après les émeutes : chacun était rentré chez soi !

On ne saurait trop souligner l’importance des contacts d’homme à homme : en situation de précarité, ce qui compte, beaucoup plus que les grands principes et les beaux discours, c’est l’homme que l’on a en face de soi. C’est ainsi que ce sont les anciens dealers sortis de prison qui sont les meilleurs pour convaincre les jeunes de ne pas se livrer au trafic de drogue.

Terminons ce panorama par un point essentiel : Beaucoup d’immigrés vivent dans une comparaison perpétuelle avec leur pays d’origine et se soucient peu de connaître les autres communautés sur lesquelles ils ont des idées bien arrêtées (généralement fausses et péjoratives). On entend couramment des réflexions du genre : « ma fille a été chez le kiné », ce qui signifie aux oreilles des cousins restés au pays : « c’est fantastique, il a les moyens d’envoyer sa fille chez le kiné » et c’est bien pour cette raison qu’on leur donne cette information, ainsi que le tarif correspondant... sans leur dire qui paye réellement !

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Questions

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            Est-on démuni vis à vis des marchands de sommeil ?

            Les actions juridiques ou policières contre les marchands de sommeil sont toujours très délicates, il faut un dossier très solide. Les marchands de sommeil spéculent sur la misère et l’exclusion. Tant qu’il y aura déficit ou pénurie de logement sociaux il y aura des marchands de sommeil. Le problème ce sont les moyens de pouvoir racheter l’immeuble et de le réhabiliter.

            Les anciens contribuent-ils à la victimisation des jeunes ?

            Oui, beaucoup trop souvent. Une connaissance partielle, une mémoire sélective destinée, en toute bonne foi, à se réhabiliter à ses propres yeux : les jeunes ne demandent qu’à vous croire, ils choisissent toujours la version qui les valorise le plus. Il est plus confortable de croire que la médiocrité des conditions de vie vient du racisme de la société, plutôt que des insuffisances du travail à l’école... D’où l’importance de la connaissance réelle.

Cela dit il y a aussi des cas ubuesques, des jeunes qui ont beaucoup travaillé pour faire des études, des familles qui se sont saignées aux quatre veines pour les aider, et les emplois qu’ils obtiennent sont souvent lamentables et sans lien avec leurs diplômes... Que peuvent penser des études leurs petits frères et sœurs qui voient le dealer local parader dans sa grosse voiture ?

            Y a t-il une importante différence de mentalité entre les garçons et les filles ?

            Certainement, comme partout il y a des différences entre les filles et les garçons. Pour beaucoup de garçons les filles servent de repoussoir : « Nous sommes supérieurs aux filles ! », en conséquence on se permet du laxisme et de la paresse. Les filles savent tout cela, elles n’ont pas d’échappatoire, sont beaucoup plus motivées que les garçons, et souvent bien meilleures à l’école... Il est probable que beaucoup d’améliorations viendront de leurs actes et de leurs décisions. Pourtant, à La Courneuve l’espace public est très masculin.

           

            Je vous ai livré ma conception de l’intégration, je résume : accueil personnalisé, information, interactivité individu-collectivité, efforts de part et d’autre, égalité des droits, lutte pour la vraie connaissance mutuelle et contre les discriminations : rappelons que la majorité des élèves des grandes écoles viennent de seulement deux cent maternelles et cinquante lycées. Il y a heureusement des exceptions.

            Faute de tout cela on laisse le champ libre à des hommes comme l’acteur Dieudonné qui proclame « Tu n’as pas échoué, on t’a exclu ! » et qui divisent la société française « Eux contre nous ! ».

 

            Que pensez-vous des blancs qui parlent comme Dieudonné ?

            Ils culpabilisent, le « touche pas à mon pote ! » ne m’a jamais plu car il déresponsabilise et paternalise.

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