La situation agricole et alimentaire mondiale :

causes, conséquences, perspectives

Marcel MAZOYER

Professeur, AgroParisTech

Janvier 2007

 

 

 Si pour être durable, le développement doit à la fois subvenir aux besoins présents de toute  l’humanité et créer les conditions, écologiques, économiques, sociales, culturelles et politiques, nécessaires pour subvenir à ses besoins futurs, alors il est clair que le développement agricole des dernières décennies, qui ne subvient pas aux besoins alimentaires présents de toute l’humanité, sans pour autant créer les conditions nécessaires pour subvenir à ses besoins futurs, ne peut être considéré comme durable.

A cet égard, les Objectifs du millénaire pour le développement, adoptés en l’an 2000, par la quasi-totalité des chefs d’État et de gouvernement, qui visent à réduire de moitié la pauvreté et la sous-alimentation dans le monde, pour 2015 au plus tard, témoignent d’une prise de conscience universelle et salutaire du caractère inacceptable de la situation agricole et alimentaire mondiale actuelle.    .

Mais on sait déjà, dans les institutions concernées, que cet objectif sera loin d’être atteint en 2015. Et il parait convenu de considérer cet échec comme un  simple retard, qui serait dû au fait que les moyens engagés pour y remédier ont été inférieurs aux moyens prévus et assez mal utilisés, et d’en conclure qu’il suffirait de les accroître et de les mieux gérer, pour atteindre ultérieurement cet objectif. Nombreuses, cependant, sont les personnes qui, à l’intérieur de ces institutions ou en dehors d’elles, ne partagent pas cette vision, qui se veut rassurante, des choses.

Nous pensons que la gravité de la situation a été, au fond, sous-estimée, que ses véritables causes n’ont pas été clairement reconnues et que les remèdes conventionnels, prévus pour atténuer la pauvreté et la sous-alimentation, qui ne sont pas de nature à en réduire les causes, seront toujours insuffisants.

 

Pour atteindre les objectifs déclarés il faut en effet commencer par répondre aux questions suivantes : Quelle est l’étendue des insuffisances agricoles et alimentaires présentes ? Quelles en sont les causes? Les conséquences ? Les perspectives ? Quelles propositions de politiques peut-on faire pour y remédier durablement ?

 

1. Quelle est l’étendue des insuffisances agricoles et alimentaires présentes ?

La production agricole s’accroît un peu plus vite que la population  

De 1 milliard d’êtres humains en 1800, la population mondiale est passée à 2 milliards en 1925, à 4 milliards en 1975, à 6 milliards en 2000, et elle approcherait  les 9 milliards en 2050, pour plafonner autour de 9,5 milliards en 2075-2080 : l’explosion démographique qui s’est propagée dans le monde depuis deux siècles, se ralentit de proche en proche, et elle s’arrêtera probablement avant la fin du 21e siècle. Mais si cette croissance exponentielle de la population a pu avoir lieu, c’est que, contrairement aux prévisions de Malthus, la production agricole a finalement  augmenté au moins aussi vite que la population. Au cours de la seconde moitié du 20e siècle, la population mondiale a été multipliée par 2,4. Dans le même temps, la production agricole et alimentaire mondiale a été multipliée par 2,6. Au plus fort de l’explosion démographique, la production agricole a donc progressé un peu plus vite que la population et davantage en cinquante ans qu’elle ne l’avait fait auparavant, en 10 000 ans d’histoire agraire.

Pour 77%, cette croissance de la production est due à l’augmentation des rendements : le rendement moyen mondial des cultures a été multiplié par plus de deux en un demi siècle. Du fait de l’utilisation des semences sélectionnées à haut rendement potentiel, des engrais minéraux et des pesticides, ainsi qu’à l’irrigation qui a été étendue de 80 millions d’hectares en 1950 à 240 millions en 2 000, le rendement moyen a beaucoup plus que doublé dans la plupart des régions des pays industrialisés, dans beaucoup de régions des pays émergents et dans quelques régions des autres pays en développement. Dans quelques régions il a même décuplé, pour atteindre 10 tonnes d’équivalent-céréales par hectare et se rapprocher ainsi du maximum possible. Par contre, dans d’autres régions des pays en développement et en particulier dans la plupart des régions des  pays les moins avancés (expression désignant les 50 pays les plus pauvres du monde), le rendement moyen n’a que peu ou pas augmenté.

Pour 13%, cette augmentation de la production provient de l’extension des terres arables. Et pour les 10% restant, elle provient de la réduction des périodes de jachère ou de friche entre les cultures, de l’accroissement du nombre de récoltes par an, ainsi que du développement impressionnant, dans quelques régions très peuplées du monde, d’écosystèmes cultivés superposant un ou plusieurs étages d’arboriculture, dominant des associations denses de cultures vivrières et fourragères, ainsi que des élevages d’herbivores, de porcs ou de volailles, et parfois même des bassins de pisciculture : des écosystèmes complexes, construits par les paysans, capables de produire, sans engrais minéraux ni pesticides,  autant de produits végétaux et animaux que des cultures et des élevages conventionnels pourraient en produire sur la même surface.

Mais, si en un demi siècle, la croissance de la production agricole a bien été supérieure d’environ 8% à celle de la population, force est de reconnaître qu’elle fut néanmoins insuffisante et trop inégale pour subvenir convenablement aux besoins de toute l’humanité. 

 

Pauvreté et malnutrition

Sur les 6,5 milliards d’habitants de la planète, on en compte en effet plus de trois  milliards qui disposent de moins de 3 dollars par jour et qui se privent plus ou moins de nourriture. Parmi ceux-ci, il s’en trouve plus de deux milliards qui disposent de moins de 2 dollars et qui se privent assez pour souffrir de graves malnutritions dues à des carences alimentaires en micronutriments (Fer, Iode… vitamines A, C…). Nombre d’entre eux souffrent aussi de carence en protéines, trop chères pour eux, et parfois d’obésité, due aux sucres et aux graisses, bon marché, qu’ils consomment en excès pour arriver à satiété.

 

Pauvreté extrême et sous-alimentation chronique

On compte enfin plus de 1 milliard de personnes qui disposent de moins de 1 dollar par jour, parmi lesquelles il s’en trouve 854 millions (moyenne 2001-2003, dernier chiffre connu) qui souffrent de sous-alimentation chronique, autrement dit qui ont faim une partie de l’année, car ils ne disposent pas tous les jours des 2150 à 2400 kilocalories alimentaires nécessaires pour maintenir leur poids et pour s’activer normalement.

Sur ces 854 millions de personnes souffrant de la faim,  212 millions se trouvent en Inde, 206 millions en Afrique sub-saharienne, 162 millions en Asie et Pacifique…150 millions en Chine, 52 millions en Amérique latine et Caraïbes, 38 millions en Afrique du Nord et Proche-Orient, 25 millions dans les pays en transition et 9 millions dans les pays industrialisés.

Enfin, on le sait, depuis que les chefs d’Etat et de gouvernement, réunis à Rome à l’occasion du Sommet mondial de l’alimentation de 1996, se sont donné comme objectif de réduire de moitié le nombre de personnes souffrant de la faim, pour 2015 au plus tard, ce nombre n’a pas diminué. Bien au contraire, il est passé 827 millions en 1996, à 854 millions en 2002.  

 

La famine et la mort

Dans les régions écartées, où prévalent déjà durement la pauvreté et la faim, le moindre accident climatique, biologique, économique ou politique provoque parfois une raréfaction et une augmentation des prix des denrées vivrières telles, que les plus pauvres ne pouvant plus guère se procurer de nourriture et que les plus sous-alimentés ne pouvant pas supporter de privations supplémentaires, les plus vulnérables d’entre eux en meurent. Et si du fait des conflits, fréquents en ce genre d’occasion, les secours n’arrivent pas, la faim s’aiguise encore et tourne à la famine, qui tue de plus en plus de gens. Selon la FAO, 9 millions de ces pauvres sous-alimentés, dont les deux tiers sont des enfants, meurent effectivement de faim chaque année. Conclusion : trois milliards de pauvres se privent plus ou moins de nourriture ; deux milliards souffrent de malnutrition ; 854 millions souffrent de la faim ; 9 millions d’entre eux meurent de faim chaque année. 

 

Pauvreté et exode  rural

Selon la FAO toujours, les trois quarts de ces pauvres, sous-alimentés, sont des ruraux, parmi lesquels on trouve une très grande majorité de paysans mal outillés, mal situés et mal lotis, et d’ouvriers agricoles très peu payés. Quant aux autres, beaucoup d’entre eux sont d’ex-ruraux récemment poussés à l’exode par la pauvreté et par la faim vers les camps de réfugiés et les bidonvilles sous-équipés et sous industrialisés, où règnent le chômage, les bas salaires et bien d’autres misères matérielles et morales.

Enfin, il faut souligner que, malgré un exode rural de plus de 50 millions de personnes par an, le nombre des pauvres sous-alimentés des campagnes ne diminue pas, ce qui signifie qu’un nombre au moins égal de nouveaux pauvres  sous-alimentés se forme chaque année dans les campagnes du monde. Certes, il paraît surprenant qu’après plusieurs décennies de révolution agricole contemporaine et de révolution verte, la pauvreté et la sous-alimentation rurale soient toujours aussi massivement répandues. Mais c’est oublier le caractère incroyablement inégal de cet extraordinaire développement.

 

La fracture agricole mondiale

Malgré cet exode rural massif, la population rurale, qui s’élève à 3,34 milliards de personnes (soit 53 % de la population mondiale) n’a jamais été si nombreuse. Quant à la population agricole totale (population agricole active et non active) qui s’élève à 2,6 milliards de personnes, elle représente 41% de la population mondiale. Alors que la population agricole active, qui s’élève à 1,34 milliard de personnes, représente 43% de la population active du monde.

Or, pour ces 1,34 milliard d’actifs agricoles, on ne compte dans le monde que 28 millions de tracteurs et 250 millions d’animaux de travail  (soit respectivement 2,1 % et 18,6% du nombre total des actifs agricoles). Cela signifie que plus de 1 milliard d’actifs agricoles travaillent uniquement avec des outils manuels (houe, bêche, bâton fouisseur, faucille…). D’un autre côté, près des deux tiers de ces 1,34 milliards d’actifs agricoles utilisent couramment des semences sélectionnées, des engrais minéraux et des pesticides. Mais il reste que 500 millions d’actifs agricoles n’utilisent ni tracteur, ni animal de travail, ni semences sélectionnées achetées, ni engrais minéraux, ni pesticides.

 Encore faut-il ajouter que dans de nombreux pays ex-coloniaux ou ex-communistes n’ayant pas connu de réforme agraire récente, la majorité de ces paysans sous-équipés sont encore privés de terre par les grands domaines de plusieurs milliers ou dizaines de milliers d’hectares, de sorte qu’ils ne disposent que d’une superficie très inférieure à celle qu’ils pourraient cultiver et qui leur serait nécessaire pour nourrir leur famille. Ces paysans sont donc obligés d’aller chercher du travail au jour le jour dans les grands domaines, contre des salaires de 1/4 à 3 dollars la journée selon les pays, les régions et les saisons.

Conclusion : dans ces conditions, on comprend pourquoi, dans presque tous les pays du monde, le revenu moyen des paysans est non seulement très inférieur à celui des citadins, mais encore nettement inférieur au salaire de la main d’œuvre non qualifiée.

 

2. Comment a-t-on pu en arriver là ? 

Un écart de productivité de 1 à 10

Au début du 20e siècle, la plupart des paysans du monde utilisaient exclusivement des outils manuels, et leur productivité du travail ne dépassait pas 1 tonne de céréales ou d’équivalent-céréales[1] par travailleur et par an (1 hectare/travailleur x 1 tonne/hectare). En Europe, dans les colonies de peuplement européennes et dans certains deltas d’Asie, beaucoup utilisaient cependant des animaux de travail et des matériels tractés, de fabrication artisanale (araire ou charrue, herse, rouleau, charrette, chariot …). Et déjà, aux États-unis et en Europe notamment,  quelques uns d’entre eux utilisaient même les nouvelles machines à traction animale, récemment produites par l’industrie (charrues brabants, semoirs, faucheuses, faneuses,  moissonneuses-lieuses…), grâce auxquelles ils arrivaient à produire jusqu’à 10 tonnes de grain par travailleur et par an (10 ha/tr x 1 t/ha). A l’époque donc, toutes les agricultures du monde s’inscrivaient dans un écart de productivité de l’ordre de 1 à 10.

 

La révolution agricole contemporaine

Depuis lors, principalement au cours de la seconde moitié du 20e siècle, la révolution agricole contemporaine s’est étendue dans les pays développés et dans quelques secteurs limités des pays en développement.

Dans les pays développés, un nombre toujours plus réduit d’exploitations familiales a réussi à franchir toutes les étapes de cette révolution agricole. En céréaliculture par exemple, la puissance des tracteurs et la superficie maximum cultivable par un travailleur ont presque doublé tous les dix ans, pour dépasser aujourd’hui les 200 hectares par travailleur. Dans le même temps, grâce aux semences sélectionnées, aux engrais et aux pesticides, les rendements ont augmenté de plus de 1 tonne par hectare tous les dix ans, pour approcher aujourd’hui les 10 tonnes par hectare dans certaines régions. C’est ainsi que les agriculteurs les mieux équipés et les plus productifs du monde peuvent aujourd’hui produire jusqu’à 2 000 tonnes d’équivalent céréales par travailleur et par an (200 ha/tr x 10 t/ha).

Voir figure 1

La révolution verte

D’un autre coté, à partir des années 1960, les agriculteurs des pays en développement qui en avaient les moyens, et qui furent soutenus par des politiques publiques favorables, se sont lancés dans la révolution verte, une variante de la révolution agricole contemporaine généralement dépourvue de grande motorisation-mécanisation. C’est ainsi que dans beaucoup de pays d’Asie, le rendement du riz, qui dépassait rarement 2 tonnes par hectare il y a 40 ans, peut atteindre aujourd’hui 10 tonnes par hectare en une seule récolte, et que la production par hectare et par an peut même approcher les 20 ou 30 tonnes quand les aménagements hydrauliques permettent de faire deux ou trois récoltes dans l’année. En conséquence, un riziculteur cultivant à la main un demi hectare et qui produisait 1 tonne de paddy (riz non décortiqué) en 1960 peut en produire selon le cas 5, 10 ou même 15 tonnes aujourd’hui.

 

 

 

 

Fig 1

 

 

 

 

 

Le transfert de la révolution agricole dans les pays de grands domaines et  à bas salaires

De plus, à partir du milieu des années 1970, des investisseurs de toutes sortes (entrepreneurs, grands propriétaires, agroindustrie, agrodistribution, fonds d’investissement…) ont tiré parti de l’expérience de la révolution agricole et de la révolution verte et des hauts prix agricoles du moment (Voir figure 2) pour se lancer dans la modernisation d’anciens grands domaines agricoles coloniaux dans les pays à bas salaires d’Amérique latine (Argentine, Brésil…), d’Afrique (Afrique du Sud, Zimbabwe…) et d’Asie (Inde, Philippines…). Enfin, depuis les années 1990, de tels investisseurs se sont également engagés dans la modernisation des grands domaines d’État ou collectifs d’anciens pays communistes d’Europe (Ukraine, Russie…). Et les uns et les autres ont rapidement obtenus des niveaux de productivité comparables à ceux des agriculteurs nord-américains et ouest-européens les plus performants.

 

Un écart de productivité de 1 à 2 000

Par contre, dans les pays d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine, des centaines de millions d’agriculteurs, pratiquant des cultures pluviales ou sommairement irriguées, n’ont jamais eu la possibilité d’acquérir ni tracteur, ni animal de travail, ni semences sélectionnées, ni engrais, ni pesticide, et n’ont jamais pu progresser ni en superficie cultivée par travailleur ni en rendement à l’hectare. Ainsi, l’écart de productivité du travail entre les 500 millions de paysans dont la production ne dépasse toujours pas 1 tonne de céréales ou équivalent-céréales par travailleur et par an, et les quelques millions d’agriculteurs qui peuvent produire jusqu’à 2 000 tonnes par travailleur, est aujourd’hui de 1 à 2 000.

 

La baisse tendancielle des prix agricoles internationaux

Des excédents croissants à prix décroissants

Dans les pays où la révolution agricole contemporaine et la révolution verte ont le plus progressé, les gains de productivité agricole ont largement dépassé ceux des autres secteurs de l’économie et, en conséquence, les prix agricoles réels (hors inflation) ont très fortement baissé. De plus, dans certains de ces pays, la production agricole a augmenté plus vite que la consommation intérieure, de sorte qu’ils ont pu dégager des quantités croissantes d’excédents exportables à prix réel décroissant. Des ‘’excédents’’ d’autant plus importants, que dans de nombreux pays exportateurs, la pauvreté et la sous-consommation frappe un pourcentage très élevé de la population.

Dans les pays développés où la révolution agricole a le plus progressé après 1945, les prix réels des matières premières agricoles et alimentaires de base (céréales, oléoprotéagineux, viandes, lait, œufs…) ont été divisés par 4 ou 5 en un demi-siècle. Dans le même temps, la production végétale ayant augmenté beaucoup plus vite que la population, des quantités croissantes de produits végétaux ont été utilisées par les élevages (volailles, porcins, bovins) dont les produits ont baissé en coût et en prix. Ainsi, malgré une consommation croissante en produits animaux, certains de ces pays bien dotés en terre (États-unis, Canada, Australie, Nouvelle-Zélande et, dans une moindre mesure, certains pays d’Europe) ont dégagé des excédents exportables en quantités croissantes et à des prix décroissants.

 

Certains pays du sud deviennent exportateurs

Dans les pays en développement où la révolution verte a le plus progressé, en Asie du sud, du Sud-est et de l’est notamment, même sans grande motorisation, l’augmentation des rendements a entraîné une forte hausse de productivité et une baisse importante des coûts de production et des prix agricoles réels. Et certains de ces pays sont devenus agroexportateurs (Thaïlande, Vietnam), alors même que la sous-alimentation y était très répandue.

Dans les anciens pays coloniaux et communistes où les grandes entreprises agricoles à salariés, récemment modernisées, atteignent aujourd’hui un niveau de productivité aussi élevé que celui des exploitations familiales les mieux équipées des pays développés, les coûts de production sont encore plus bas. Dans ces pays en effet, les salaires ne dépassent pas quelques dizaines de dollars par mois, les machines, les engrais, les pesticides fabriqués sur place sont beaucoup moins chers, les charges fiscales sont très faibles et les monnaies locales sont souvent sous-évaluées. Et comme la pauvreté limite les débouchés intérieurs de ces pays, ils peuvent approvisionner les marchés internationaux à des prix défiant toute concurrence. Ces prix sont d’ailleurs si bas et si rapidement décroissants que même les paysans moyens de ces pays, qui avaient commencé de se moderniser dans les années 1970-80, sont aujourd’hui bloqués dans leur développement, et parfois appauvris au point de rejoindre dans l’exode les millions de petits paysans et d’ouvriers agricoles privés de terre et d’emploi par les grands domaines, qui  continuent de s’équiper et de gagner du terrain et des parts de marché. Voir figure 2

 

La très forte baisse à long terme des prix agricoles internationaux  

Enfin, les denrées agricoles et alimentaires de base ont ceci de particulier que la plus grande partie de leur production étant consommée dans le pays où elle a été produite ne passe aucune frontière. Les échanges internationaux de ces denrées ne portent donc que sur une petite partie de la production et de la consommation mondiale (10% en volume pour l’ensemble de ces denrées). Pour les céréales par exemple, dont le volume d’échange international est d’environ 15% de la production et de la consommation mondiale, le prix international s’établit non pas, comme on le dit parfois, au prix de revient de l’exportateur le plus compétitif (70 dollars la tonne, prix de revient argentin ou ukrainien) mais au prix de revient du quinzième centile des volumes produits dans le monde (100 dollars la tonne, prix de revient australien ou canadien). Ainsi en période d’excédents croissants le prix international des céréales est inférieur au coût de production de 85% des volumes produits dans le monde… Il est donc inférieur au coût de production de la majorité des agriculteurs du monde : inférieur au coût de production des agriculteurs américains (qui dépasse 120 dollars la tonne) qui ne pourraient pas continuer d’exporter massivement et à celui des agriculteurs européens (qui dépasse 150 dollars) qui ne pourraient pas continuer d’approvisionner leur propre marché intérieur s’ils ne recevaient pas, les uns et les autres, des aides publiques  importantes qui leurs permettent de compenser la différence entre leurs coûts de production et le prix international.


 

 

 

Mais ce prix international est surtout très inférieur au coût de production des centaines de millions de paysans, produisant moins de 1 tonne de céréales par an, que l’on peut estimer à 400 dollars la tonne, si on veut bien qu’ils obtiennent un revenu de 1 dollar par jour. Appauvris par la baisse des prix des productions vivrières et par la baisse des prix des productions d’exportation, qui suit de près celle des productions vivrières (voir fig. 3), ces centaines de millions de paysans doivent cesser de produire et prendre le chemin du camp de réfugié, du bidonville ou de l’émigration. 


 

 

L’explosion momentanée des prix agricoles internationaux

Ajoutons que ces longues périodes de baisse de prix, qui poussent à la cessation d’activités des centaines de millions de paysans pauvres, et qui découragent la production de ceux qui restent, finit par réduire les stocks de fin de campagne, au point de provoquer une véritable explosion des prix, comme ce fut le cas en 1972. En quelques semaines, les prix du blé et des autres denrées vivrières ont triplé pour remonter aux niveaux élevés qu’ils avaient atteints au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Ce qui ne manquera pas de se produire, bientôt, de nouveau, si les excédents à bas prix continuent de se déverser sans protection dans les pays à faible revenu et forte dépendance vivrière, et si la demande, solvable celle-là, de biocarburants et de biomatériaux prend de l’importance.

Quand les prix sont bas, ce sont des centaines de millions de petits producteurs vendeurs de produits agricoles qui sont trop appauvris pour manger à leur faim ; quand ils sont hauts, ce sont des centaines de millions de consommateurs acheteurs pauvres qui ont faim à leur tour. Dans les régions agricoles appauvries par la baisse des prix, la production couvre à peine les besoins d’autoconsommation. Les stocks sont très réduits et ils peuvent être épuisés avant la récolte suivante. Les prix peuvent alors remonter très fortement et exclure les acheteurs les plus pauvres de tout accès à la nourriture. Sans régulation des prix, le marché ne peut subvenir aux besoins minima des uns et des autres.

La courbe du prix réel du blé sur le marché de Chicago (voir figure 2) illustre parfaitement ce mode de fonctionnement des marchés internationaux des denrées vivrières de base : les longues périodes de baisses des prix (1948-1972 et depuis 1979) alternent avec de courtes périodes de hauts prix (1945-1948 et 1972-1979).

3. Les conséquences de la baisse des prix agricoles

Dans les pays développés, la forte baisse des prix agricoles réels résultant de la révolution agricole contemporaine a entraîné une baisse de revenu des petites et moyennes exploitations qui n’avaient pas eu les moyens d’investir suffisamment pour en compenser les effets. D’année en année, des exploitations de plus en plus nombreuses se sont retrouvées dans l’incapacité de dégager un revenu familial socialement acceptable et n’ont pas été reprises, lors de la retraite de l’exploitant. Leurs meilleures terres ont alors été partagées entre les exploitations voisines en développement tandis que les moins bonnes passaient à la friche.

 

 

 


Fig 3

 

 

 

 

 

.C’est ainsi que la très grande majorité des exploitations agricoles existant au début du 20e siècle, dans les pays développés, ont cessé d’exister. Mais si, jusqu’aux années 1980, dans les pays développés, les enfants d’agriculteurs quittant la terre ont généralement trouvé du travail, et des salaires croissants, dans l’industrie ou les services, il en va tout autrement pour les dizaines de millions de paysans pauvres acculés chaque année à l’exode dans les pays en développement.

Dans ces pays en effet, les paysans travaillant en culture manuelle, et confrontés à la baisse des prix agricoles, ont d’abord vu leur pouvoir d’achat baisser. La majorité d'entre eux s’est ensuite retrouvée dans l'incapacité d'investir dans un outillage performant et d'acheter des semences sélectionnées, des engrais et des pesticides. Leur développement a donc été bloqué. Puis, la baisse des prix se poursuivant, leur revenu monétaire est devenu insuffisant pour tout à la fois renouveler leur outillage et manger à leur faim. Pour mieux comprendre ce processus, considérons un céréaliculteur soudanien, andin ou himalayen disposant d’un outillage manuel et produisant, sans engrais ni pesticide, 1 tonne de grain net (semences déduites). Il y a une cinquantaine d’années, un tel céréaliculteur recevait l’équivalent de 40 dollars d’aujourd’hui pour 100 kg de grain : il devait alors en vendre 200 kg pour renouveler son outillage, ses vêtements…, il lui en restait donc 800 kg pour nourrir, modestement, 4 personnes ; en se privant un peu, il pouvait même en vendre 100 kg de plus pour acheter quelque outil nouveau plus efficace. Il y a une vingtaine d’années, il ne recevait plus que l’équivalent de 20 dollars d’aujourd’hui pour 100 kg : il devait alors en vendre 400 kg pour renouveler son outillage et les autres biens indispensables, et il ne lui restait que 600 kg pour nourrir, cette fois insuffisamment, 4 personnes ; il ne pouvait donc plus acheter de nouveaux outils. Enfin, aujourd’hui, il ne reçoit plus que 10 dollars pour 100 kg de grain : il devrait donc en vendre plus de 800 kg pour renouveler son matériel et les autres biens indispensables, ce qui est bien sûr impossible puisqu’on ne peut nourrir 4 personnes avec 200 kg de grain. En fait, à ce prix là, il est condamné à l’endettement, puis à l’exode ou à mourir sur place.

 

Le blocage du développement

Dans les pays pauvres cependant, la baisse des prix agricoles a d’autres conséquences : en excluant des millions de paysans et en décourageant la production de ceux qui restent, elle limite la production et accroît le déficit alimentaire ; en accélérant l’exode rural, elle amplifie le chômage et fait baisser les salaires en milieu urbain (la hiérarchie des salaires dans les différentes parties du monde suit de très près celle des revenus de la paysannerie). Partant, les revenus de la population, les recettes d’exportation et les recettes budgétaires de ces ‘pays agricoles pauvres’ sont bien trop faibles pour qu’ils puissent se moderniser et attirer des investissements étrangers. D’où l’endettement, le surendettement, puis les politiques de réduction des dépenses, préconisées par les institutions financières internationales, qui débouchent sur la perte de légitimité et sur l’instabilité des gouvernements.

 

 

Ni l’aide, ni le partage, ni les échanges internationaux ne peuvent suffire

Ces processus additionnés contribuent à expliquer que la moitié de l’humanité se retrouve avec un pouvoir d’achat insignifiant : plus de trois milliards de personnes disposent de moins de 3 dollars par jour, plus de deux milliards disposent de moins de 2 dollars, et plus de un milliard dispose de moins de 1 dollar. Ces très bas revenus limitent la consommation alimentaire bien en dessous des besoins minima : à moins de 3 dollars par jour on se prive déjà de nourriture. Le supplément de revenu dont auraient besoin ces personnes pour échapper aux privations alimentaires dépasse les 2 000 milliards de dollars par an. C’est vingt fois plus que l’aide publique au développement qui n’atteint même pas les 100 milliards de dollars par an. La quantité supplémentaire d’aliments,  nécessaire pour supprimer la malnutrition qui frappe 2 milliards de pauvres, et la faim qui en frappe 854 millions, est égale à 30% du volume d’aliments produits et utilisés dans le monde : soit plus de cent fois le volume de l’aide alimentaire ; elle représente plus de la moitié du volume d’aliments utilisés par les 1, 5 milliards de personnes les mieux (ou les plus) nourries du monde, et plus du double du volume des échanges internationaux de produits vivriers. C’est assez dire que ni l’aide alimentaire, ni l’aide publique au développement, ni le partage, ni les échanges internationaux, ne sont à la hauteur du problème. D’ailleurs, le marché n’équilibre pas la production et les besoins, il équilibre la production et la demande solvable. Et comme la demande solvable est inférieure de 30% aux besoins la production l’est aussi.

Plus globalement,  l’insignifiance des revenus de 3 milliards de personnes, dont la majorité sont des paysans, limite beaucoup plus encore la consommation des autres biens et services, et donc les possibilités d’investissements productifs et la croissance globale tous secteurs confondus. L’économie-monde ne manque pas d’épargne, mais de débouchés.

 

4. Perspectives et propositions

En 2050, la Terre comptera vraisemblablement 9 milliards d’humains, pour plafonner autour de 9,5 milliards avant la fin du siècle. Pour nourrir tout juste correctement, sans sous-alimentation ni malnutrition, une telle population, la production végétale destinée à l’alimentation des hommes et des animaux domestiques devra un peu plus que doubler dans l’ensemble du monde. Elle devra plus que tripler dans les pays en développement, plus que quintupler en Afrique, et même décupler dans certains pays de ce continent. Pour subvenir de surcroît aux nouveaux besoins en biocarburants et en biomatériaux, qui commencent à se faire jour, la production agricole devra même augmenter bien davantage.

Pour obtenir une augmentation de production aussi importante, l’activité agricole devra être étendue et intensifiée, durablement, sur toutes les terres exploitables de la terre. Ce qui est tout à fait possible : car les terres aujourd’hui exploitées représentent moins de la moitié des terres exploitables de la planète, et car les techniques connues à ce jour, dûment corrigées de leurs excès pour être durables, sont sous-utilisées dans la plus grande partie du monde. Mais, pour permettre à tous les paysans du monde d’étendre leurs cultures à toutes les terres cultivables et d’y construire des écosystèmes cultivés capables de produire, sans atteinte à l’environnement, un maximum de denrées vivrières de qualité, il faut avant tout garantir à tous ces paysans des prix assez élevés et assez stables pour qu’ils puissent vivre dignement de leur travail, investir et progresser.

Pour venir à bout de la sous-production agricole et de la sous-consommation alimentaire dans les pays à faible revenu et forte dépendance vivrière, il n’est donc pas d’autre voie que de protéger les agricultures paysannes pauvres de ces pays de la concurrence des agricultures plus compétitives. Et, dans cette perspective, il nous paraît souhaitable d’instaurer une organisation des échanges agricoles internationaux beaucoup plus équitable et beaucoup plus efficace que celle d’aujourd’hui.

Une nouvelle organisation dont les principes seraient les suivants :

- établir de grands marchés communs agricoles régionaux, regroupant des pays ayant des productivités agricoles du même ordre de grandeur (Afrique de l’ouest, Asie du sud, Asie de l’est, Europe de l’ouest, Amérique du nord…) ;

- protéger ces marchés régionaux contre toute importation d’excédents agricoles à bas prix par des droits de douane variables, garantissant aux paysans pauvres des régions défavorisées des prix assez élevés et assez stables pour leur permettre de vivre et de se développer ;

- négocier, produit par produit, des accords internationaux fixant de manière équitable le prix d’achat et la quantité exportable consentie à chaque pays.

Relever les revenus plutôt que de faire des cadeaux

Ce relèvement des prix agricoles devra être suffisamment progressif pour limiter ses effets négatifs sur les consommateurs-acheteurs pauvres. Malgré cela, il sera sans doute nécessaire d’instaurer pendant quelque temps des politiques alimentaires. Mais, au lieu de fonder ces politiques sur la distribution de produits à bas prix, ce qui entretient la misère paysanne et réduit le marché intérieur, il conviendra de fonder ces politiques sur le soutien du pouvoir d’achat alimentaire des consommateurs-acheteurs pauvres, afin, au contraire, d’élargir le marché intérieur : on pourra par exemple, comme aux États-unis, distribuer aux acheteurs nécessiteux des bons d’achat alimentaires financés par les budgets publics ou par l’aide internationale.

De plus, comme le relèvement des prix agricoles ne suffira pas, à lui seul, pour porter la production à la hauteur des besoins et pour promouvoir un développement agricole équilibré des différentes régions du monde, des politiques de développement agricole seront également nécessaires : accès à la terre et sécurité de la tenure (réforme agraire, statut du fermage, lois anti-cumul, aides à l’installation…) ; accès au crédit, aux intrants et aux équipements productifs ; accès au marché (infrastructures de transport et de commercialisation) ; accès au savoir (recherche, formation, vulgarisation appropriées aux besoins et aux moyens des différentes régions et des différentes catégories de producteurs, à commencer par les plus désavantagées).

 

 

Bibliographie sommaire 

COLLOMB Ph., Une voie étroite pour la sécurité alimentaire, FAO Economica, Paris, 1999. 

FAO, Faostat, CDROM.

FAO, L’état de l’insécurité alimentaire dans le monde, 1999 et 2006.

Griffon M., ‘Révolution verte, Révolution doublement verte’, Mondes en développement, tome 30, Cecoeduc, Bruxelles, 2002, pp. 39-44.

MAZOYER M., ROUDART L., Histoire des agricultures du monde, du Néolithique à la crise contemporaine, Editions du Seuil, Paris, 1997, 1998, 534 p ; nouvelle édition Points Histoire, Seuil, 2002.

 

MAZOTER M., ROUDART L., La fracture agricole et alimentaire mondiale. Nourrir l’humanité aujourd’hui et demain. Universalis, Paris 2 005.

 

Roudart L., ‘L’alimentation dans le monde et les politiques publiques de lutte contre la faim’, Mondes en développement, tome 30, Cecoeduc, Bruxelles, 2002, pp. 9-23.      



[1] L’équivalent-céréales est la quantité de céréales ayant la même valeur calorique que la production agricole considérée.

 

 

Questions

_____

 

            Vous critiquez beaucoup le libre-échange agricole tel qu’on le voit présenté dans les réunions du commerce international. Quels sont vos reproches principaux ?

            Comprenez bien que l’activité agricole est très différente des autres activités : A) La demande y est d’une grande rigidité, tandis que l’offre peut varier dans de grandes proportions en fonction des conditions météorologiques et climatiques. B) Si un client peut, sans trop de dommages, attendre la livraison de sa nouvelle voiture pendant plusieurs mois, par contre il ne saurait attendre sa nourriture pendant la même durée…

            En conséquence le libre-échange agricole est une véritable « machine à tuer ». Les fluctuations de prix qu’il entraîne sont meurtrières : en période de bas prix, comme ces dernières années, les paysans du tiers-monde ont un niveau de vie misérable – rappelons que deux milliards d’êtres humains vivent avec moins de deux dollars par jour, et la moitié d’entre eux avec moins d’un dollar par jour ; plusieurs millions en meurent de faim chaque année. En période de hauts prix, prix qui peuvent très rapidement doubler ou tripler comme cela s’est déjà produit et comme on le craint pour les années qui viennent étant donné le très bas niveau des stocks, ce sont pauvres des bidonvilles, tous les déracinés du gigantesque exode rural mondial actuel, qui ne peuvent plus faire face…

 

            Que pensez-vous des OGM ?

             Je pense que les Organismes Génétiquement Modifiés sont une bonne chose à laquelle de toute façon nous n’échapperont pas car ils se développent dans de très nombreux pays étrangers. Les refuser systématiquement ne peut que porter de graves préjudices à notre pays et à son agriculture. On peut en attendre de grands progrès aussi bien du côté de la productivité que de celui de la sécurité sanitaire, mais j’y mets tout de même deux conditions : A) Que les essais soient plus sérieux et entourés de plus de précautions, il y a des cas où l’on s’est contenté de faire des essais sur des rats pendant trois mois ! Ajoutons tout de même que les dangers sont moins graves et plus contrôlables que les alarmistes ne le claironnent… B) Qu’au moins une partie des efforts de recherche soient orientés vers l’agriculture des pays pauvres.

            Pour l’instant la quasi-totalité des recherches est orientée vers la demande solvable, ceci bien sûr pour d’inévitables questions de rentabilité financière. Ce sont donc les agriculteurs les plus performants qui en profitent, ce qui accroît encore la disparité de la situation mondiale. Il faudrait aussi faire de la recherche OGM pour les besoins du tiers-monde, pour y augmenter la productivité et la protection sanitaire contre tous les agents nocifs. Cela aurait bien sûr des répercussions jusque dans les pays développés, car l’actuelle vague massive et à moitié contrôlée de l’immigration est pour les trois-quarts de l’exode rural, exode évidemment lié au niveau de vie des paysans du tiers-monde.

 

            Pouvez-vous nous donner quelques indications sur la situation agricole de la Chine ?

            La Chine a choisi une politique d’autosuffisance alimentaire et fait les plus grands efforts en ce domaine, elle ne néglige aucune direction de recherche même si bien sûr il ne lui reste que peu de terres marginales. Chacun sait qu’elle a une longue tradition d’excellence dans les travaux agricoles « Les Chinois sont tous de très bons jardiniers, écrivait déjà Marco Polo, et l’Empereur lui-même commence chaque année nouvelle en plantant un arbre fruitier ». Cette politique, aidée par une main d’œuvre innombrable et peu exigeante, répond bien sûr à plusieurs nécessités : nourrir la Nation en recourant au minimum à l’importation, procurer des emplois rémunérateurs aux paysans et donc aux ruraux mais aussi procurer une certaine indépendance nationale vis-à-vis des perturbations extérieures et des pressions qui pourraient s’exercer par ce biais.

            Cette politique agricole rencontre des succès importants en particulier pour les cultures maraichères et florales ainsi que pour la production de lait et l’élevage des lapins, poulets, cochons, etc.

            Notons que la Suisse fait des efforts analogues et suit une politique agricole du même état d’esprit. L’Union Européenne est partagée entre les pays qui veulent se nourrir aux bas prix mondiaux et ceux qui veulent protéger cette ressource inestimable : leur agriculture nationale…

 

            Que pensez-vous des biocarburants ?

            Je suis partagé. D’un côté il est bon de ne pas dépendre entièrement des pays détenteurs de pétrole, de l’autre les terres consacrées à la production des biocarburants sont retirées à la production agricole. Tout ceci doit être pesé et étudié très soigneusement.  

 

            Êtes vous optimiste ou pessimiste pour le 21ème siècle ? en matière agricole bien entendu.

            Je suis plutôt optimiste du moins en ce qui concerne nos possibilités physiques et techniques, il nous faudra certes multiplier par 1,8 à 2 la production actuelle mais nous en avons les moyens. Ce qui m’inquièterait ce sont plutôt les problèmes politiques : aurons-nous la volonté nécessaire ?   

 

            Cependant Malthus était pessimiste et prévoyait des famines généralisées inévitables, qu’en pensez-vous ?

            Malthus s’est trompé tout simplement, il a négligé, ou tout au moins fortement sous estimé le progrès technique et scientifique. En fait la croissance de la production agricole a dépassé celle de la population. Cependant je reconnais que le malthusianisme continue de faire des ravages, en particulier chez les écologistes.

 

            Deux auditeurs ajoutent que la croissance de la population est loin d’être exponentielle et que même la stabilisation future à 9,5 milliards est fortement controversée. Ainsi les études prospectives des compagnies pétrolières, études on ne peut plus sérieuses car elles conditionnent les recherches et les exploitations futures, utilisent la « courbe de Jean Bourgeois-Pichat ». Cette courbe prévoit que, si rien de sérieux n’est fait pour modifier les évolutions actuelles,  l’humanité connaîtra un maximum voisin de 8 milliards aux alentour de 2040, puis, vieillie, s’effondrera jusqu’à moins de 5 milliards en 2100…      

 

            La discussion se termine sur les difficultés du refus du libre échange, les différentes formes de protection, les quotas, les droits de douane, les aides spécifiques, les subventions, les dangers des excédents et ceux des fluctuations de production… Il faudra certes agir avec beaucoup de discernement, mais les méfaits d’une mondialisation trop rapide sont aujourd’hui évidents et très graves.

________