Groupe X-Démographie-Economie –Population
Exposé du Mardi 13 Janvier 2004
Immigration
et présence étrangère en France
Par André Lebon
Conseiller technique auprès du Directeur
Ministère de l’emploi et de la solidarité
Direction de la population et des migrations
Mission des Etudes et des Statistiques
Je ne discuterai pas ici essentiellement des chiffres que je vais vous présenter, mais surtout de la manière dont ils sont obtenus.
Chaque année nous devons faire un rapport à l’OCDE sur les stocks et les flux de l’immigration. Le dernier rapport publié est celui relatif à l’année 2001, celui de 2002 est déjà rédigé et va être prochainement publié. Les onze pages que voici en font partie.
Je dois dire qu’un certain nombre d’éléments de ce rapport ont été choisis à priori, mais chacun reconnaît qu’ils ne sont pas sérieux, ainsi les 300 000 immigrants « irréguliers ».
A vrai dire le problème principal est bien souvent un problème de définition. Considérons la question des flux entrants. Parmi toutes les « entrées » nous devons bien sûr compter d’abord les entrées physiques des nouveaux venus sur le territoire, mais il faut aussi compter toutes les régularisations depuis celles de 1981-82 jusqu’à la régularisation Chevènement en 1997, il y a enfin les changements de statut, lesquels se font pratiquement toujours d’un statut précaire à un statut plus assuré.
Notons au passage une particularité de la régularisation Chevènement : le choix de leur nouveau statut fut offert aux 75 000 régularisés et, comme on pouvait s’y attendre, 90% d’entre eux demandèrent une carte de travailleur.
Dans les études françaises, la classification des immigrants se fait en fonction du premier titre reçu. Les visas touristiques de moins de trois mois ne sont pas considérés, les immigrants munis d’une autorisation de séjour comprise entre trois mois et un an sont qualifiés d’immigrants temporaires, enfin au-delà d’un an on parle d’immigrants permanents. Ajoutons qu’il y a un petit nombre d’immigrants saisonniers – 10 000 à 12 000 personnes – et vous comprendrez que toutes ces définitions, qui varient d’un pays à l’autre, rendent bien difficiles les comparaisons internationales.
En France nous n’avons pas de registre de la population. Pour quelles raisons ? Pour des raisons irrationnelles qui tiennent à la peur des mises en fiches et à un « danger pour la démocratie ». Cependant il convient de souligner que ce sont précisément les pays les plus démocratiques qui ont des registres de la population : Pays-Bas, Belgique, Suède, Norvège, Danemark... En conséquence nous sommes obligés de recourir à des moyens détournés et fatalement imprécis. L’Office des Migrations Internationales compte le nombre des visites médicales imposées aux nouveaux arrivants, le Ministère de l’Intérieur compte le nombre des titres de séjour délivrés... mais ceux-ci ne le sont qu’aux plus de dix-huit ans ! Les comparaisons internationales ont longtemps suggéré que l’Allemagne accueillait nettement plus de réfugiés que la France ; mais quand notre OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés Apatrides) se met à compter aussi les moins de dix-huit ans à partir de la mi-2002, le nombre des réfugiés augmente aussitôt de 15%.
Pour ce qui est des migrations à l’intérieur de l’Union Européenne on peut dire que les enfants ont totalement disparu des statistiques, et pour les pays tiers plus de 70% des entrées se font au titre du regroupement familial.
Un élément très intéressant du point de vue économique est le nombre d’immigrants entrant sur le marché du travail. Ce nombre est de l’ordre de 100 000 par an, mais là encore il nous faut distinguer les entrées directes, les entrées indirectes et les entrées différées.
Question :
Vous nous avez dit que 90% des régularisés de la régularisation Chevènement
de 1997 avaient demandé une carte de travail, mais ils ne sont sûrement pas
tous au travail.
Réponse : Effectivement, nous avons estimé que 40 000 d’entre eux, sur 67 ou 68 000, avaient trouvé du travail.
Question :
A l’intérieur d’une même nationalité les immigrants présentent de très
profondes différences culturelles. Il ne suffit pas de les classer par âge,
sexe et nationalité !
Réponse : Bien entendu ! Mais en pratique nous n’avons pas les moyens d’aller si loin dans l’analyse. D’ailleurs il y a des questions que nous n’avons même pas le droit de poser... La maîtrise des hommes politiques sur les réalités est très faible et bien souvent ils ne savent même pas quelles questions il conviendrait de poser !
Il va de soi qu’une étude sérieuse des migrations devrait aussi tenir compte des retours, mais de ce côté les informations sont à peu près inexistantes. On peut seulement dire qu’il y a bon an mal an 18 000 jugements de « reconduite à la frontière »... dont seulement 4000 environ sont exécutés.
Du côté des entrées nous avons quand même des renseignements assez assurés et, avec quelques variations d’une année sur l’autre, on peut dire qu’aujourd’hui pour les immigrants venant d’ailleurs que de l’Union Européenne :
60% viennent d’Afrique avec une décroissance continue de la proportion du Maghreb et une croissance concomitante de celle de l’Afrique Noire.
20% viennent d’Asie, surtout de Turquie, mais aussi de Chine, nous allons en dire quelques mots.
10% viennent des Amériques.
10% viennent des pays d’Europe situés hors de l’espace économique européen.
Les chiffres sur le droit d’asile sont bons, mais il convient d’abord de préciser que depuis 1998 il y a un second type d’asile, l’asile territorial que l’on demande dans les préfectures et qui est distinct de l’asile conventionnel accordé par l’OFPRA.
.
Nombres annuels des demandeurs d’asile (adultes) en France.
Année |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
Asile conventionnel |
21 416 |
22 375 |
30 907 |
38 747 |
47 291 |
Asile territorial |
|
1339 |
8151 |
13 843 |
28 953 |
De même l’estimation du nombre des étudiants étrangers arrivant chaque année dans notre pays est certainement très proche de la réalité.
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Nombres annuels des étrangers venant faire des études en France
Année |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
Etudiants de l’E E E * |
17 199 |
18 565 |
18 358 |
14 900 |
11 712 |
Pays tiers |
19 180 |
23 502 |
25 066 |
36 140 |
38 983 |
* E E E : espace économique européen
En regard de ces nombres relativement assurés, combien de domaines où règne le flou le plus complet ! En France le nombre des immigrants chinois dûment recensés est de l’ordre de 25 000 mais leur nombre total est évalué à environ 500 000...
Il faut aussi incriminer la qualité du recensement de 1999. Ainsi les contrôles à posteriori du recensement de 1990 ont conduit à réévaluer de 1,1% la population totale et de 4% la population d’origine maghrébine (+ 100 000), mais ces contrôles à posteriori n’ont pas été faits pour le recensement de 1999...
Il y a de plus un problème de déclaration de nationalité. Bien souvent les enquêtés ne savent, de bonne foi, pas trop quoi répondre et les déclarations contradictoires sont nombreuses.
Quel est donc le nombre « officiel » des étrangers en France ?
Il y a d’abord les chiffres bruts, puis les chiffres corrigés après diverses critiques et analyses.
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Nombre des étrangers en France
Recensement |
1982 |
1990 |
1999 |
Nombres bruts |
3 700 000 |
3 600 000 |
3 250 000 |
Nombres corrigés |
3 600 000 |
3 600 000 |
3 650 000 |
Il y a donc une certaine stabilité des nombres corrigés, contrairement à la décroissance des nombres bruts ; mais cela est évidemment dû à l’ampleur du nombre des naturalisations, lesquelles compensent grosso-modo le nombre des arrivées d’ immigrants.
Il y a trois sortes de naturalisations : par décret (dont certains à effet collectif), par déclaration, par exemple lors d’un mariage et enfin sans formalité, lorsqu’un jeune né en France de parents étrangers atteint dix-huit ans. Selon la loi actuelle, si le jeune en question ne veut pas être français c’est lui qui doit en faire la demande.
Voici les nombres des naturalisations pour les années 1990-2001 :
Année |
1990 |
1991 |
1992 |
1993 |
1994 |
1995 |
Nombre de naturalisations |
88 476 |
95 713 |
95 295 |
95 664 |
126 337 |
92 410 |
|
|
|
|
|
|
|
Année |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
Nombre de naturalisations |
109 823 |
116 194 |
122 261 |
145 435 |
150 025 |
127 551 |
Les naturalisés sont pour 10 à 15% des étrangers venus de l’Union Européenne et pour 60% des Africains, près de 50% sont des jeunes de dix-huit ans ou moins.
Je terminerai par quelques histoires d’inconscience, de manœuvres et de fraude, qui donnent une petite idée de l’univers mental de certains immigrants. Ainsi ce polygame qui a fait opérer sa seconde épouse (en situation irrégulière) sous l’identité de la première, manquant ainsi la tuer car elles n’avaient pas le même groupe sanguin... Ou bien cette pratique qui consiste à demander des papiers d’identité juste avant de retourner au pays. Quand les papiers arrivent, par les voies officielles, la gendarmerie locale envoie une convocation... et l’immigrant de retour en France peut prétendre au statut de réfugié : n’est-il pas persécuté et convoqué par la gendarmerie ?
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Questions
Les numéros d’immatriculation de la Sécurité sociale ne pourraient-ils pas renseigner sur l’origine des assurés sociaux ?
En théorie cela pourrait effectivement donner un certain nombre de renseignements. Cependant c‘est d’un usage difficile car à ce compte le Président Giscard d’Estaing serait classé Allemand, il est en effet né à Coblence.
Le
ministère de l’éducation nationale voit passer à un moment ou à un autre la
plupart des jeunes français et des jeunes vivant en France. Cela ne pourrait-il
pas être une source d’information ?
Là encore c’est d’une utilisation très difficile. Tout d’abord certaines de ces informations sont confidentielles et nous n’y avons pas accès. D’autre part si certains chefs d’établissement répondent avec empressement dans les domaines où ils y sont autorisés, d’autres s’y refusent absolument et il en résulte des biais difficiles à apprécier, enfin les informations disponibles sont rarement celles qui nous intéressent.
Avez-vous
eu l’occasion de faire le même exposé à des journalistes, des hommes
politiques, des membres d’une commission parlementaire ?
Vous rêvez. C’est d’ailleurs là la question principale : les Français, hommes politiques, journalistes ou public ordinaire veulent-ils vraiment savoir ou préfèrent-ils ne pas savoir ?
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