Groupe
X-Démographie-Economie –Population
Exposé
du Mercredi Octobre 2008
Changement climatique et
biodiversité
Par le Pr Paul
Leadley
Laboratoire
d’écologie, systématique et évolution
Université
Paris-Sud 11. Orsay
Mon
exposé s’articule autour de deux idées-forces : 1°) Que peut-on prévoir au
sujet de la biodiversité ? 2°) Qu’est-il possible et qu’est-il souhaitable
de faire ?
Je
voudrais tout d’abord vous faire part d’un constat : le réchauffement
climatique et les conséquences qu’il entraîne sont bien mieux connus du grand
public que les questions relatives à la biodiversité. Il y a eu à ce sujet deux
sondages d’opinion aux Etats-Unis l’un en Avril 2000 et l’autre en Août 2007,
dans le premier les gens « concernés » par le réchauffement
climatique étaient 12% et ceux par les questions de biodiversité 5% , sept ans
plus tard, dans le second sondage, les chiffres correspondants sont 38% et
3% : le réchauffement climatique entre désormais bien plus dans les
consciences, les problèmes de biodiversité continuent de stagner à un très bas
niveau.
Parmi
les raisons de cette situation il y a bien sûr les excellentes campagnes
d’opinion bien argumentées qui ont été menées ces dernières années par des
hommes comme Al Gore ou Nicolas Hulot. Ces campagnes se référaient à des
documents et archives du passé, elles mettaient en comparaison les
« current changes », les modifications actuelles, surtout elles bâtissaient
un modèle de la question et évitaient le piège du dogmatisme (« Voilà ce
qui va arriver ! »), elles donnaient au contraire des estimations
probables avec des bornes supérieures et inférieures, enfin elles soulignaient
les possibilités d’action favorables ou défavorables.
Il
faut cependant aller plus loin et reconnaître les difficultés des différents
modèles. Qu’en est-il vraiment de la fonte de la calotte glaciaire
groenlandaise, des effets sur le gulf-stream, des mesures passées de la
température ?
Deux auditeurs lèvent la main pour souligner
cet effet, d’ailleurs bien connu mais difficile à contrer : l’extension
des villes dénature les comparaisons des températures : au dix-neuvième
siècle le parc Montsouris abritait déjà une station météo, mais il était alors
en pleine campagne !
Nous sommes obligés de tenir
compte de quantité d’effets secondaires, de prendre un maximum de précautions
et d’aller chercher des informations dans toutes les directions. Les ronds de
croissance des arbres donnent des indications très sûres et remontant sans
difficulté jusqu’au moyen âge. Ils permettent, selon les espèces étudiées, de
classer les années en chaudes et froides, en humides et sèches. Les récifs
coralliens sont eux aussi source d’informations pointues et très appréciées.
Tout
ceci ne serait rien si depuis 1990 la quasi-totalité des informations ne
convergeaient vers une évidente déstabilisation : tout grimpe. Parmi les
dix dernières années du vingtième siècle il y a les quatre plus chaudes du
siècle…
Le
rapport Stern et celui du GIEC (Groupe international d’évaluation du climat)
évaluent à environ 85 dollars les dommages dus à chaque tonne de CO2
produite, il y a grand intérêt à agir dès maintenant, d’autant plus qu’existent
maintes possibilités de réduire les émissions pour un coût inférieur à 30
dollars la tonne et l’une des forces de leurs rapports est une excellente
communication avec le public et avec les responsables politiques.
Mais venons-en à
la biodiversité.
On
estime que dans le passé, le taux d’extinction des espèces de mammifères était
de l’ordre d’une extinction tous les mille ou dix-mille ans. On en est à cent
ou mille fois plus aujourd’hui et au train ou vont les choses ce rythme
pourrait bien être dix fois plus rapide à la fin du siècle. Un article publié
dans Nature en 2004 précise que 15 à 35% des espèces de plantes et de vertébrés
disparaîtront d’ici 2050.
Les
menaces sur la biodiversité sont essentiellement de deux sortes :
1 ) La destruction des habitats.
2 ) Les changements climatiques.
Dans
l’Arctique les changements climatiques ont un très fort impact, alors que sous
les tropiques c’est surtout la destruction de l’habitat qui agit. L’exemple des
engrais et celui des déchets sont caractéristiques, généralement ceux-ci
favorisent beaucoup quelques rares espèces mais sont défavorables à nombre
d’entre elles. Le cas des invasions d’algues est bien connu.
L’importance
de la taille de l’habitat a été mesurée depuis longtemps. C’est ainsi que l’ile
de Port Cros compte 20 espèces d’oiseaux,
Il
est bien difficile de prévoir que telle ou telle espèce va disparaître et les
essais dans ce sens se sont révélés hasardeux. Par contre on peut être beaucoup
plus précis en ce qui concerne l’abondance et l’extension d’une espèce, ainsi
le hêtre dans les cartes ci-dessous.
Le
hêtre, très abondant aujourd’hui dans les massifs montagneux humides et
fréquent dans le Nord et l’Est est plus rare près des côtes atlantiques et
absent près de
Le
modèle Arpège ici étudié le voit disparaître au 21ème siècle de près
de la moitié de
Les
autres modèles climatiques montrent des tendances assez voisines.
L’étude
du CO2 atmosphérique conduit à des résultats analogues, il entraîne
l’acidification de l’Océan et rend difficile la construction des coquilles de
corail.
La
concentration de CO2 dans l’atmosphère était de 250 ppm au début du
dix-huitième siècle, elle est de 380 ppm aujourd’hui… Quand elle atteindra 500
ppm, les coraux ne pourront plus fabriquer leurs coquilles, ce qui, entre
autres, générera de grandes pertes économiques, en particulier dans les
Caraïbes où leur importance touristique est considérable.
Pour
l’instant la priorité est à l’amélioration des modèles avec l’étude des
migrations animales et végétales (ainsi le houx remonte partout vers le pôle),
l’étude des causes de mortalité (on ne sait pas pourquoi un arbre meurt ! ), celle des interactions biologiques et des sources de
perturbations et d’imprécision.
Soulignons
aussi l’importance des considérations économiques comparatives, assez négligées
jusqu’à aujourd’hui.
En
conclusion le message que je souhaite vous transmettre est :
A ) Le futur est incertain, il ne faut pas mettre tous nos
œufs dans le même panier.
B ) Plutôt que d’essayer systématiquement de contrer les
évolutions en cours, mieux vaut les étudier soigneusement et s’y adapter :
gestion des forêts, fin de la monoculture dans les zones à risque, recherche
des espèces les plus résistantes, collaboration avec les forestiers et les
agriculteurs…et avec les décideurs politiques.
D’une
manière générale les scientifiques ont du mal à communiquer, mais l’information
du public est essentielle. Il nous faut aussi lutter contre le dogmatisme
scientifique, qui fait des ravages en muselant les oppositions, et contre tous
les lobbies qui privilégient toujours un seul côté des choses.
Nous
avons un énorme travail devant nous.
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Questions.
Y a-t-il création de nouvelles
espèces ?
Oui
il a continuellement création de nouvelles espèces, mais à un rythme qui n’a
rien à voir avec les disparitions actuelles. Les grandes extinctions du passé
ont été suivies de grandes périodes de création, mais à une échelle de temps
d’au moins dix mille ans…
Que pensez-vous de l’Amazonie ?
On constate actuellement une
diminution de la pluviométrie en juin-juillet-août. Notons aussi que le recul
de la forêt entraîne, par lui-même, un recul de la pluviométrie (variation de
l’albédo, de l’humidité, de l’action des vents, etc.). Il existe un réel danger
de désertification.
Et l’Afrique ?
L’Afrique est
moins sensible, même si l’équilibre forêt savane est assez instable, mais elle
est ravagée par les incendies de forêt. On peut en dire autant de l’Australie
et de l’Indonésie.
Y a-t-il des indicateurs
simples ?
La masse
biologique par unité de surface (biomasse) est souvent utilisée. On constate
qu’elle diminue partout pendant les périodes glaciaires.
Certains scientifiques parlent de la
possibilité d’un « hiver nucléaire » en cas de guerre atomique,
est-ce que c’est sérieux ?
Oui
c’est sérieux, mais ce n’est bien sûr pas une alternative valable au
réchauffement.
D’une
manière générale nous avons fragmenté et détruit les habitats, sans même y
penser, et les conséquences sont très lourdes. N’oublions pas qu’il y a eu dans
le passé des périodes de réchauffements importants et très rapides. Les
forçages actuels sont plus de dix fois les forçages naturels, la banquise
arctique fond bien plus vite que prévu et des quantités importantes de méthane
se dégagent du permafrost en réchauffement…
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