Groupe X-Démographie-Economie –Population

 

Exposé du Mardi 7 Avril 2009

 

1974-76 Deux années de plomb qui amorcent le déclin.

 

Par Monsieur Yves-Marie Laulan

Economiste et banquier (FMI, Banque mondiale, OTAN)

Professeur à l’Institut d’Etudes Politiques

Président de l’Institut de Géopolitique des Populations

 

            J’ai longuement travaillé avec le Président Giscard d’Estaing puis avec Jacques Chirac quand il était Maire de Paris, j’ai aussi connu Madame Simone Veil par l’intermédiaire du Club Vauban et je vais donc vous parler de ces deux années 1974-76 où Jacques Chirac fut le premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing et pendant lesquelles « il fut difficile de faire pire en aussi peu de temps ». Il faut au moins remonter au roi Jean le Bon pour trouver une suite de décisions aussi désastreuses.

            Parmi toutes les décisions prises pendant ces deux années j’en relève quatre aux conséquences tragiques : La loi Haby fondant le « collège unique » qui a cassé l’enseignement secondaire matrice de la Nation, l’élargissement du droit de saisine du Conseil Constitutionnel, la loi Veil sur l’avortement et le décret du 26 Avril 1975 sur le regroupement familial des immigrés.

 

            Avant la loi Haby, l’enseignement secondaire comportait des filières générales et des filières techniques. Avec la nouvelle loi l’enseignement est uniformisé : « Tous au bac ! », avec bien sûr les difficultés du retour au technique d’élèves plus âgés de trois ou quatre ans, qui se sont ennuyés pendant des années dans des cours qui ne leurs correspondaient pas et qui donc ont pris des habitudes de paresse ou de chahut, quand ce n’est pas pire… Ajoutons-y la fin des redoublements et des punitions : pourquoi se donner du mal quand de toute façon cela ne change rien ?

 

            Une auditrice, ancien professeur de l’enseignement secondaire, renchérit en disant : «Jusqu’en 1985 la plupart des garçons issus de l’immigration voulaient s’intégrer à la société française et beaucoup travaillaient dur pour y arriver, mais à partir de 1985, et avec l’idéologie et le laxisme ambiants, les efforts se sont relâchés et les élèves se sont laissé vivre… Pour les filles cela a duré plus longtemps, jusque vers 1995… Ce qui est arrivé, pour des raisons essentiellement budgétaires et idéologiques, est un désastre national».

 

            J’ajouterai à ce que dit Madame, que les économies initialement réalisées par la mise en œuvre du collège unique, ont été très rapidement dévorées par tous ses inconvénients. A quoi sert-il de proclamer « Pas de redoublements, car ils coûtent 50 000 francs par élève ! » si l’on ne prend pas en compte le coût d’une éducation ratée ? De fait le budget de « l’Education Nationale » n’a cessé d’augmenter, avec une efficacité de plus en plus faible.

 

            L’élargissement du droit de saisine du Conseil Constitutionnel n’a l’air de rien, mais c’est un changement décisif. Auparavant seules quatre personnes pouvaient saisir le Conseil : le Président de la République, celui du Sénat, celui de l’Assemblée Nationale et le Premier Ministre, cela limitait les recours à une dizaine par an… Mais avec la nouvelle loi plus de soixante députés et sénateurs se voient octroyer cette possibilité : toutes les lois qui déplaisent à l’opposition, c'est-à-dire presque toutes les lois, doivent passer l’épreuve du Conseil Constitutionnel ce qui donne à celui-ci un authentique droit de veto ! Ajoutons, pour « améliorer » les choses, que depuis le 28 juillet dernier tout citoyen peut saisir le Conseil Constitutionnel…  devant lequel aucun recours n’est possible !

            Dans ces conditions la composition du Conseil Constitutionnel devient décisive, il est composé de onze membres parmi lesquels les anciens Présidents de la République siègent de droit, les autres sont non élus mais désignés par divers hauts personnages de la République. Ces onze personnes ne sont nullement des juristes confirmés (comme le sont les membres de la Cour Suprême des Etats-Unis), c’est pourquoi il leur faut l’assistance de nombreux experts. Ce sont bien entendu essentiellement des hommes politiques qui font passer les considérations politiques en premier. Cette situation où un club restreint d’hommes non élus peut bloquer toutes les réformes nécessaires, et ne se prive pas de le faire, est bien entendu tout-à-fait contraire à la démocratie. Il faudra bien, un jour ou l’autre, harnacher le Conseil Constitutionnel par une loi raisonnable qui limitera ses pouvoirs devenus exorbitants.

 

La loi Veil sur l’avortement a été détournée de son but initial. Tout d’abord limitée aux « mères en détresse » et aux avortements thérapeutiques, comme c’est le cas aujourd’hui de la loi américaine, elle a rapidement été étendue sous la pression des mouvements féministes. L’avortement s’est banalisé et est devenu un moyen quasiment ordinaire de contraception, remboursé par la sécurité sociale. On parle désormais d’avortement de confort… D’abord conçu comme un moyen de limiter et de remplacer les avortements clandestins – largement surestimés à 250 000 par an (en fait 50 000 à 100 000) – et donc destiné à améliorer l’environnement sanitaire de cette opération, il a pris de plus en plus d’importance et l’on compte 6 à 8 millions de non-naissances à son passif. On espérait que les progrès de la contraception en limiteraient l’usage, car c’est tout de même un moyen physiquement et psychologiquement plus grave, mais il semble qu’il n’en soit rien et en France il approche aujourd’hui les 300 000 par an.

Bien entendu toutes ces naissances refusées ont contribué à diminuer proportionnellement les dépenses de la politique familiale et à entraîner la dégradation de cette politique, ce qui a en retour contribué à augmenter le nombre des avortements par un phénomène d’autocatalyse tout à fait classique.

 

Contrepoint logique de ce déficit : le regroupement familial des immigrés (décret du 26 Avril 1975). Sans doute ceux qui ont pris cette décision assimilaient-ils plus ou moins les enfants des uns et ceux des autres et pensaient ainsi compenser les effets de la Loi Veil. C’était gravement sous-estimer les problèmes d’intégration : les êtres humains ne sont pas interchangeables  même si le nombre des immigrés correspond à peu près aux six à huit millions de naissances manquantes depuis la loi Veil !  Pour corriger cette erreur nous sommes obligés de dépenser jusqu’à 36 milliards d’euros par an pour aider les immigrés (logements, sécurité sociale, allocations diverses, programmes d’intégration, conseillers pédagogiques, « grand frères », etc.) avec un succès très mitigé. Mais la leçon n’a visiblement pas été retenue : tout récemment l’ile de Mayotte a été départementalisée : 187 000 Africains musulmans et dont beaucoup sont polygames vont avoir les droits et allocations de tous les Français sans même que l’on exige en échange la fin de la polygamie, comme pourtant cela avait été convenu : coût 3 milliards d’euros par an… et pourquoi donc les Mahoraises n’ont-elles pas les mêmes droits que les Franciliennes ?

Je vous signale le livre de Jean-Yves Le Gallou : « l’impossible intégration ».

 

Pour vous donner un aperçu de l’ambiance qui régnait au moment où s’est décidé la loi Veil et le regroupement familial, sachez que Michel Poniatowski, alors ministre de l’intérieur, était contre le regroupement familial, mais pour la loi Veil tant il craignait des émeutes de la part des groupes féministes les plus exaltés. Notons aussi que le docteur Pierre Simon, rédacteur de la loi Veil, avait dans son livre « De la vie avant toute chose » défini la vie comme étant « Un rapport privilégié avec l’environnement » ce qui permettait toutes les interprétations…

 

Voilà, j’espère vous avoir fait un tableau convaincant des erreurs de cette sombre période qui marque la fin des « trente glorieuses » et que notre Prix Nobel d’économie Maurice Allais a baptisé « La cassure de 1974 ».

 

 

              Livre de Yves-Marie Laulan :

 

      Le couple Giscard-Chirac. Deux années de plomb qui amorcent le déclin 1974-1976

      Editions François-Xavier de Guibert.

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Questions

 

            Pourquoi donc Madame Veil a-t-elle présenté le nombre de 250 000 avortements clandestins par an, alors que l’on sait maintenant que le nombre véritable n’était que le tiers ou le quart ?

            Il est possible que Madame Veil ait exagéré pour présenter un rapport plus impressionnant, mais je crois plutôt qu’il y a eu une erreur. Certains pensent que le démographe Jean Bourgeois-Pichat chargé de faire une évaluation s’est servi du nombre de décès dans les hopitaux, après avortement, et d’un coefficient de mortalité erroné.

 

            J’ai demandé à un statisticien de l’INSEE pourquoi il avait écrit au début de cette année que le solde migratoire de 2008 était de +76 000. Etait-ce réellement possible alors que celui de 2005 était de 220 000 ? Il m’a répondu que de très nombreux étrangers étaient repartis dans leurs pays en 2008 et que cela expliquait le nombre publié.

            Le solde migratoire dépend : A) Des arrivées d’étrangers. B) Des départs d’étrangers. C) Des départs de Français. D) Des retours de Français. Seul le premier de ces quatre nombres est vraiment compté (et encore on ne compte pas les enfants et on ignore les clandestins), les trois autres ne sont qu’estimés… Le « solde migratoire » serait-il faible parce que beaucoup de jeunes Français partent pour l’Angleterre, le Canada, les Etats-Unis… ?

            Cela dit le retour d’un grand nombre d’étrangers dans leur pays est peu vraisemblable ; les enquêtes montrent que 90% des immigrés prennent leur retraite en France.

            Maxime Tandonnet, le spécialiste de cette question, estime que l’immigration actuelle est d’environ 200 000 par an dont 50 000 étudiants, 10 000 demandeurs d’asile, 50 000 enfants et le reste divers (regroupement familial d’adultes, mariages, etc.). N’oublions pas qu’il y a 150 000 naturalisations chaque année.

 

            Que pensez-vous de la situation démographique du Japon ?

            Je vous livre cette opinion de deux journalistes Américains : « Dans sa situation démographique, le Japon est condamné à une récession récurrente ».

 

            Et pour l’Allemagne ?

            L’Allemagne est dans une situation étrange. Les Allemands n’ignorent pas la gravité de la situation, mais ce n’est que tout récemment qu’ils ont commencé à prendre des mesures (crèches, crédits, congés etc.). Encore aujourd’hui une mère qui prétend avoir une activité professionnelle est mal vue : c’est une « Rabe Mutter », une « mère corbeau » qui, à leurs yeux, ne peut que mal faire son travail.

 

            Comment expliquez-vous que le Canada, qui contrairement au Japon ne manque pas d’espace, n’arrive plus, et de loin, à remplacer ses générations ?

            Il est devenu très facile de ne pas avoir d’enfant alors qu’il est toujours aussi difficile qu’autrefois d’en avoir. En conséquence tout pays dépourvu de politique familiale active se verra fatalement conduit au déficit démographique puis au vieillissement irréversible.

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