Groupe
X-Démographie-Economie-Population
L’Europe face à la pression
démographique africaine.
Par Monsieur Gérard Lafay,
Ancien Directeur de l’Institut de Recherches sur la Géostratégie économique internationale.
Pour simplifier les choses tout en gardant une grande efficacité d’analyse je diviserai le monde en dix régions présentant chacune une assez grande homogénéité :
1) L’Amérique du Nord (Etats-Unis et Canada)
2) L’Amérique latine
3) La Chine
4) L’Inde
5) L’Europe (Union Européenne, Suisse, Norvège, Islande, ex-Yougoslavie)
6) L’Afrique du Nord et le Moyen-Orient
7) L’Afrique subsaharienne
8) Les confins eurasiatiques (Russie, Russie blanche, Ukraine, Turquie, Asie centrale)
9) Les confins Asie-Pacifique (Japon, Corée, Philippines, Indochine, Australie et Océanie).
10) L’Asie du Sud, de l’Afghanistan à l’Indonésie (mais sans l’Inde)
Je vais vous présenter maintenant deux scénarios, l’un que j’appelle « tendanciel », qui est celui des tendances actuelles et qui est couramment présenté par les démographes officiels, l’autre que j’appel « optimal » et qui pourrait très bien être le bon, à quelques conditions dont nous parlerons plus loin. Bien entendu ces deux scénarios ont quand même beaucoup en commun.
Les évolutions des populations sont à peu près les mêmes dans les deux scénarios, mais les migrations et la natalité y sont différentes.
De 1950 à 2050 les éléments essentiels sont les suivants :
A ) La Chine : 22% de l’humanité en 1950 et encore 21% en 2000, mais seulement 16% en 2050. Elle sera cependant encore dans le groupe de tête qui comprendra aussi l’Inde et l’Afrique subsaharienne (16 à 17% chacune).
B ) La proportion de l’Inde a légèrement progressé de 1950 à 2000 (de 14% à 16%) et restera à peu près stable d’ici à 2050.
C ) La proportion de l’Afrique subsaharienne augmente spectaculairement : 7% en 1950, 11% en 2000 et 16 ou 17% en 2050, tandis que dans le même temps celle de l’Europe s’effondre : 16% , puis 9% et enfin 7%.
D ) Les autres régions ont des évolutions moins contrastées. Notons tout de même la baisse relative de l’Amérique du Nord (de 7 à 5%) et celle du Japon, la progression de l’Asie du Sud (de 8 à 14%) et celle de la région Afrique du Nord et Moyen-Orient (de 3 à 7%).
On notera que ces pourcentages sont à peu
près indépendants des divers modèles étudiés, les migrations plus ou moins
importantes jouant le rôle de régulateur, mais le nombre total des êtres
humains en 2050 est fortement dépendant des hypothèses faites : plus de 9
milliards pour les prévisions officielles de l’ONU , mais seulement 7 milliards
pour Jean Bourgeois-Pichat et ses successeurs qui anticipent un fort vieillissement
de la population mondiale - et une diminution de cette population à partir de
2040.
Remarquons que les études prospectives des
compagnies pétrolières utilisent les prévisions de l’Ecole française, celle de
Jean Bourgeois-Pichat.
Il convient d’examiner aussi les évolutions économiques et celles-ci sont clairement différentes selon le scénario étudié. Elles ont des fortes variations dans les deux sens, ce que les évolutions démographiques n’ont pas au même degré.
Monsieur Lafay présente deux graphiques : les parts de chacune des dix régions dans la production économique mondiale (dont le total croît nettement plus vite que la population mondiale). Ces graphiques sont « à PPA », c'est-à-dire à parité de pouvoir d’achat, ce qui impose des taux de change plus réalistes que les taux artificiels souvent pratiqués.
Sur ces deux graphiques, un pour chacun des deux scénarios, on peut lire les à-coups économiques du monde. C’est ainsi que l’Europe connait d’abord les trente glorieuses jusqu’en 1974 (elle produit alors 29% du total mondial) puis surviennent les chocs pétroliers, le chômage de masse et le recul démographique, la part européenne s’effondre : 23% en 2000, puis 11% en 2050 dans le scénario tendanciel, mais tout de même 15% dans le scénario optimal. De même les « confins eurasiatiques », c’est à dire surtout l’ancienne URSS, connaissent des chocs encore plus brutaux : 13% en 1970, 5% en 2000, avant de remonter quelque peu. En sens inverse la Chine sortant du maoïsme ne produisait que 3% de la production mondiale, son choix tacite du capitalisme la fait grandir jusque vers 20% en 2025... évolution formidable ! Il faut noter aussi la progression régulière de l’Inde : jusqu’à 15 à 16% en 2050.
Pour 2050 le scénario tendanciel prévoit 16% pour les trois leaders : l’Inde, la Chine et l’Amérique du Nord, tandis que l’Europe ne fait que 11%, le scénario optimal conduit lui à une quasi-égalité vers 15% de ces quatre régions du monde (avec une production totale mondiale nettement plus élevée). Notons que dans le scénario tendanciel l’Afrique subsaharienne ne produit en 2050 que 1,5% de la production mondiale, mais trois fois plus dans le scénario optimal.
La différence entre les deux scénarios est suffisamment importante pour que l’on étudie sérieusement les hypothèses sur lesquelles ils sont fondés.
La principale différence entre les deux scénarios est l’ampleur de la migration africaine vers l’Europe. Pour quelles raisons tant d’Africains viennent-ils donc tenter leur chance au nord de la Méditerranée ? Ils viennent pour fuir la misère et/ou l’oppression politique. Bien entendu cette migration massive d’hommes et de femmes certes courageux et déterminés mais généralement peu adaptés à la production moderne a des effets négatifs des deux côtés. C’est ainsi que l’Institut de Géopolitique des Populations estime à 24 milliards d’Euros par an, pour la seule France, le coût dû à toutes les nécessités d’accueil de cette migration massive (logements, soins, alphabétisation, enseignement, formation professionnelle, police, justice, etc.). Mais de son côté l’Afrique subit elle aussi les effets néfastes du départ de tous ces migrants pour la plupart jeunes et prêts à de grands efforts pour une vie meilleure. Bien entendu une politique d’immigration « choisie » et non subie ne ferait qu’aggraver ces effets.
Inutile de préciser que l’opinion publique, et surtout la classe politique, n’ont qu’une idée confuse de cette situation, il suffit de citer ce livre récent qui proclame : 10 millions de migrants africains en Europe et les « Trente Glorieuses » recommenceront !
Que faut-il donc pour que l’évolution des prochaines années s’oriente vers le scénario optimal ? Il faut essentiellement le développement et la démocratisation des pays africains. Il faut aussi bien sûr que l’Europe se relève de sa langueur démographique (1,4 enfant par femme…) et revienne à des taux plus raisonnables, ce qui exige qu’on en finisse avec la paranoïa du tabou « fasciste » sur les politiques familiales : la quatrième République qui connaissait bien mieux que nous les régimes maudits, on en sortait, n’a pas hésité à faire, tous partis confondus, une politique familiale hardie et généreuse dans un France dévastée, vieillie et ruinée ; cette politique a été à la base des trente glorieuses.
Le développement et la démocratisation des pays africains ne vont pas de soi. Aujourd’hui encore le caractère tribal de la majorité des pays africains est vivace et s’oppose à une démocratisation véritable : il y a dans chaque pays la tribu dominante et … les autres. Il semble que l’élément décisif soit l’instruction et en particulier l’alphabétisation des filles ce qui, l’expérience l’a prouvé partout, conduira d’une part à une plus grande liberté individuelle et donc à un affaiblissement de l’esprit tribal, et d’autre part à une fécondité mieux maîtrisée et plus raisonnable. Ce dernier élément est absolument essentiel car les taux de natalité actuels engloutissent les efforts de développement et la production par tête est souvent décroissante.
Il y a bien entendu des éléments de moindre importance mais qu’il ne faut pas négliger. La police des frontières et le contrôle de l’immigration, autant que possible, sont nécessaires mais insuffisants. L’aide financière ou matérielle au développement est peu efficace tant que la corruption reste largement répandue. Une institution comme le Franc CFA a des avantages (il évite l’hyperinflation) et des inconvénients (il est surévalué). La mondialisation débridée et le libre échange mondial sont absolument désastreux, les activités économiques des pays africains ont besoin d’une certaine protection, celles de l’Europe aussi d’ailleurs.
Si une prise de conscience de ces nécessités se produit, on peut espérer que le scénario optimal sera le bon. Sinon, si la plupart des pays africains restent sous-développés et avec une démographie débordante, la civilisation européenne n’existera plus en 2100.
Les évènements de ces derniers mois, tant dans les pays arabes qu’en Côte d’Ivoire permettent d’espérer que cette prise de conscience est en marche.
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Questions
J’ai entendu dire que la moitié des
étudiants africains venus faire des études en Europe y restaient après la fin
de leurs études. Est-ce vrai ?
Oui, et en particulier si l’étudiant n’appartient pas à la tribu dominante de son pays, il a peu d’espoir de pouvoir y appliquer ses compétences…
Cette question est essentielle : la plupart des étudiants asiatiques retournent dans leur pays à la fin de leurs études car on y a l’intelligence de leur préparer un emploi en rapport avec leurs compétences. Il faut absolument en arriver là pour les étudiants africains.
On pourrait aussi envoyer des professeurs en Afrique au lieu de faire venir des étudiants, mais cela requiers tout un changement de mentalité.
Quand j’ai travaillé au Cameroun, dans les
années cinquante et soixante, j’ai constaté la généralité de ce que
j’appellerai la famille « matriarcale », beaucoup de mères élevaient
seules leurs enfants – nés généralement de pères différents - et dans ces
conditions la tribu tenait lieu de famille. A mon avis la
« détribalisation » sera très difficile.
C’est certain. D’une manière générale passer d’une société analphabète, avec toutes ses hiérarchies, ses habitudes et ses nécessités à une société plus instruite où les élites sont différentes ne va pas sans difficultés souvent très graves. C’est toute l’histoire des révolutions françaises, russes et chinoises, mais l’on peut aussi ajouter la guerre de sécession américaine et les troubles qui secouent aujourd’hui les pays musulmans et bien des pays africains.
Rappelons-nous que l’industrialisation de l’Europe au dix-neuvième siècle a été très dure pour les prolétaires.
J’ai été très étonné de voir qu’il y avait,
avant les récents évènements, des dizaines de milliers de vietnamiens sur les chantiers et
les champs pétrolifères libyens, et encore plus étonné d’apprendre que des
centaines de milliers d’hectares africains sont cultivés par des agriculteurs
chinois… pour en définitive nourrir la Chine ! Considérez-vous tout cela
comme une contribution au développement de l’Afrique ?
Le cas des vietnamiens en Libye est tout à fait classique : des travailleurs venus d’un pays pauvre vont gagner leur vie dans un pays plus riche où on leur abandonne les travaux rebutants, leur nombre est important mais pas exceptionnel, pensez aux émirats du golfe persique où la majorité de la population est étrangère (pakistanais, indiens, philippins… et quelques expatriés occidentaux venus en techniciens du pétrole). Le cas des agriculteurs chinois est différent et je me pose des questions à son sujet, je pense que c’est tout de même positif pour le développement de l’Afrique.
L’Afrique connait aujourd’hui une urbanisation
accélérée, urbanisation souvent anarchique qui multiplie les bidonvilles, cela
est-il favorable au développement ?
La question est complexe et la réponse aussi. Il y a évidemment des éléments favorables, ainsi il est bien plus facile d’alphabétiser des enfants urbains plutôt que des ruraux dispersés, d’autre part les mentalités évoluent bien plus vite en milieu urbain, en particulier les idées en matière de fécondité. Mais il y a aussi des éléments défavorables, insalubrité, insécurité, formation de bandes maffieuses, etc. Au total je penserai que c’est plutôt favorable.
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