Groupe X-Démographie-Economie –Population

 

Exposé du Mercredi 11 Octobre 2006

 

Les conséquences d’une fécondité insuffisante.

 

Par Monsieur Gérard Lafay

Professeur d’économie à l’Université Paris 2

 

            Comme vous le savez tous ici, le vieillissement de la société française est dû essentiellement à deux facteurs : d’une part bien sûr l’accroissement de l’espérance de vie, et d’autre part la baisse de la fécondité bien au-dessous du niveau de remplacement depuis près de trente ans.

            Certes la France est « moins malade » que les autres pays d’Europe (Irlande, Islande et Albanie exceptées), mais avec en moyenne 1,9 enfant par femme, au lieu de 2,1, elle n’est certes pas en bonne santé : il manque près de 80 000 naissances chaque année pour le simple renouvellement des générations ; n’oublions pas non plus que notre pays a récemment connu plusieurs années successives avec un taux de 1,7.

            Bien entendu nous devons aussi prendre en compte la situation de nos voisins immédiats, avec lesquels nous sommes liés par toutes sortes de liens dont la monnaie commune n’est pas le moindre. Les taux italiens et espagnols sont proches de 1,3 seulement ! taux que voisinent aussi la Grèce et l’Allemagne… La moyenne européenne s’établit à 1,45, c’est assez dire la gravité de la situation. Par comparaison, si la moyenne mondiale n’est plus guère au-delà du taux de 2,5 enfants par femme, et continue de descendre, l’Afrique Noire reste encore au-dessus de 4.

            Les effets, tant économiques que sociaux, deviennent peu à peu évidents à tous, même si bien sûr on ne compte plus les démographes et les économistes clairvoyants qui les ont prévus de longue date… sans malheureusement être écoutés !

 

            Commençons par les effets économiques.

 

            La baisse de la fécondité entraîne un ralentissement du moteur de la croissance, aussi bien par la baisse du nombre des actifs que par leur vieillissement qui les rend moins aptes aux innovations et aux gains de productivité, éléments essentiels de compétitivité. L’Allemagne voit déjà baisser le nombre de ses actifs, pour la France cela se produira à partir de 2006.

En longue période, une croissance harmonieuse et équilibrée est obtenue lorsque l’offre et la demande progressent simultanément. D’un côté, les gains de productivité, qui correspondent à un accroissement de la production par personne active, sont déversés sur l’ensemble des ménages sous forme de revenus additionnels, et les gains de pouvoir d’achat stimulent la consommation. De l’autre, les bénéfices des entreprises et l’épargne des ménages permettent de financer les investissements nécessaires à un rythme régulier et soutenu de croissance de l’offre, en combinant les investissements de productivité et les investissements de capacité. Ces derniers sont très créateurs d'emplois, mais bien sûr on les décide plus aisément là où la population est croissante que là où la population est stagnante, voire en régression.

            Un autre élément, passé longtemps inaperçu, est l’influence du vieillissement lui-même sur la nature des investissements : une population en régression investit moins dans le logement et l’éducation, davantage dans les loisirs et les soins de santé. N’oublions pas que les dépenses de santé d’un septuagénaire sont trois à quatre fois plus élevées que celles d’un jeune entre vingt et trente ans, et bien sûr cette disproportion ne fait que croître et embellir avec l’âge. 

            L’idéal de la croissance est lorsqu’il y a simultanéité de la croissance de la population, - sans toutefois explosion démographique - et des investissements productifs : l’emploi ne demande alors qu’à suivre. Nous connaissons aussi bien des exemples positifs (« trente glorieuses ») que négatifs (crise des années trente, crise actuelle). Il serait d’ailleurs faux de s’imaginer que la relation est à sens unique, la corrélation joue dans les deux sens et il y là un cercle vicieux : parce que la fécondité baisse les besoins diminuent (en particulier ceux des jeunes enfants, très producteurs d’emplois) et cela entraîne le chômage.

            En 1973 la croissance du PIB (produit intérieur brut) subit une chute brutale due à la conjonction d’une série d’erreurs économiques et du premier choc pétrolier. Puis la période de crise va se prolonger pour diverses raisons comme le deuxième choc pétrolier, la difficile réunification allemande et les erreurs de gestion de l’Euro. Notons d’ailleurs que ces dernières viennent bien de la situation démographique : la Banque Centrale Européenne a pour seule référence une lutte excessive contre l’inflation, même au détriment de l’emploi ; c’est là le point de vue conservateur d’une société vieillie, car l’inflation est défavorable surtout aux personnes âgées. La Banque Centrale Américaine n’est pas comme la BCE, elle a l’emploi pour référence essentielle, la lutte contre l’inflation vient après. Après 1958 et avant mai 1968, la France connut une croissance forte sans que l'inflation ne fut devenue excessive.

 

            Venons en maintenant aux conséquences sociales.

 

            Le malthusianisme est un véritable cercle vicieux social. Le déficit de plus en plus prononcé des régimes sociaux, dû aux dépenses beaucoup plus importantes pour la santé des personnes âgées, entraîne des charges de plus en plus lourdes lesquelles sont facteur de chômage et d’exclusion des jeunes. L’exclusion des jeunes entraîne de la délinquance, de la perte de confiance dans l’avenir, l’expatriation des plus compétents et la baisse de la fécondité de ceux qui restent… La boucle est bouclée !

            Il y a menace de démantèlement de la Sécurité Sociale. Certes des remèdes sont proposés. On discute sur les régimes de retraite par répartition ou par capitalisation sans voir que, si ce dernier régime offre plus d’indépendance,  le problème économique est exactement le même.

            Il faut savoir que dans l’Union Européenne le nombre des plus de soixante cinq ans augmente de 9,3 millions de 1998 à 2010 (dont 3,5 millions d’Allemands) alors que le nombre des actifs n’augmente que de 1,6 millions pendant la même période.

            Le rapport Charpin souligne qu’à âge de la retraite inchangé le rapport : nombre d’actifs / nombre de retraités va, en France, baisser de 2,5 en 1995 à environ 1,5 en 2050…

           

            En troisième et dernier lieu je voudrais discuter des possibilités de sursaut.

 

            Bien entendu le rapport Charpin est clair : il va falloir élever l’âge de la retraite, comme l’ont d’ailleurs déjà commencé la plupart de nos voisins. On ne peut garder les règles de 1900 (espérance de vie : 48 ans) dans une société où l’espérance de vie atteint 80 ans… et où la santé et les capacités des sexagénaires sont bien meilleures qu’autrefois et même que naguère.

            Parmi les autres « remèdes » les plus couramment proposés, il convient de bien faire des distinctions.

            A ) La mobilité internationale du capital (mobilité financière).

            La mobilité du capital, pour par exemple faire face aux futures dépenses des retraites, ne peut avoir que des effets limités. La capitalisation externe est encore plus risquée que la capitalisation interne ; souvenons nous des emprunts russes ! Le monde moderne est beaucoup trop instable pour que cette solution puisse sérieusement être utilisée à grande échelle.

            B ) La mobilité internationale du travail (mobilité humaine).

Cette solution doit être considérée avec précaution.

Certes l’on voit aujourd’hui de très nombreux Africains se presser aux portes de l’Europe, mais cela ne résout ni les problèmes de l’Afrique ni ceux de l’Europe, car il faut tenir compte de quantités de questions annexes qui finissent par prendre plus d’importance que le phénomène principal.

Le regroupement familial pratiqué depuis la présidence de Giscard d’Estaing conduit à une seconde génération de déracinés peu ou même pas du tout intégrés. Il y a vraiment urgence pour résoudre cette question difficile comme l’ont montré les émeutes de novembre 2005, émeutes qu’il faut bien qualifier d’émeutes ethniques et surtout pas d’émeutes sociales.

         Il y a déjà un surcoût ( pas seulement financier !) qui est subi passivement, découlant du fait que l'immigration n'a été ni contrôlée ni maîtrisée, et que l'intégration des populations correspondantes s'est faite de plus en plus mal. Ce surcoût a été estimé à environ 24 milliards d’Euros par an. Pour celles des populations issues de l'immigration qui sont déjà présentes en France, la nécessité de réussir l'intégration exige d'y ajouter 12 milliards supplémentaires dans chacune des quinze années qui viennent.

            Il y a aussi un autre élément. L’INSEE a reconnu cet été avoir largement sous-estimé le flux des immigrants. Ce flux serait de l’ordre de 220 000 immigrés par an pour les seuls immigrés réguliers et la seule France métropolitaine. On doit donc compter de l’ordre de 300 000 immigrés par an au total, et peut-être même davantage. C’est un nombre très élevé qui contrarie beaucoup les possibilités d’intégration : il faut sans cesse tout recommencer à zéro. Constamment entouré de cousins nouvellement arrivés qui en toutes occasions les obligent à parler leur langue natale, l’immigré de longue date et ses enfants ont bien du mal à faire des progrès en français ! Ajoutons que ces arrivées massives posent un problème aigu de logement. Non seulement quantité d’immigrés sont logés dans des conditions déplorables, mais, l’industrie du bâtiment ayant les plus grandes peines du monde à suivre un tel rythme, la tension générale est telle que les loyers sont très élevés et dévorent les revenus des jeunes.

            Il apparaît donc nécessaire d'amoindrir le flux migratoire actuel. La politique d’immigration « choisie », chère à Juppé et à Sarkozy, est cependant contre-productive, car elle a l’inconvénient majeur de prendre aux pays du Sud leurs éléments les plus compétents et les plus essentiels pour le développement, ce qui ne fait que les appauvrir davantage et accroître encore le flux des personnes non qualifiées. En clair, il faudrait au contraire que les étudiants repartent dans leur pays d’origine à la fin de leurs études, tout en repensant totalement les méthodes d'aide au développement des pays africains.

            Je terminerai donc en disant qu’il nous faut une politique démographique globale, combinant régulation de l’immigration et mesures propres à faire remonter la natalité au niveau du remplacement, seul moyen de rééquilibrer la Nation et en particulier de consolider valablement nos régimes de retraite.

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Questions et commentaires.

 

 

            Y a-t-il une corrélation entre l’origine ethnique et les études choisies par les étudiants ?

            Oui, mais je ne peux vous répondre qu’avec les statistiques américaines, car en France on s’interdit encore de tels sujets d’étude. Il apparaît que les étudiants originaire d’Asie orientale ou méridionale font volontiers les études les plus dures, physique, chimie, mathématiques, ceux d’origine européenne aiment souvent les difficultés moyennes, les études financières ou commerciales, ceux d’origine africaine se complaisent fréquemment  dans des études plus faciles, même si elles n’ouvrent que peu de perspectives comme par exemple la sociologie du sport. Cela ne fait que renforcer la nécessité de l'orientation des étudiants, en les dirigeant vers les métiers les plus utiles au développement de leurs pays.

 

            Cela est-il lié aux différences de développement que l’on constate entre une Asie dynamique et une Afrique peinant à décoller ?

            Il y a beaucoup à dire à ce sujet, il y a bien entendu des raisons propres aux Africains, mais il ne faut pas oublier qu’ils sont partis d’un niveau d’alphabétisation nettement plus faible et que la coopération a eu bien des ratés. En particulier ce que l’on appelle les « éléphants blancs », grandes entreprises industrielles parfaitement inadaptées aux pays africains et venues en droite ligne de l’idéologie de Lénine, Staline, Mao... Ajoutons-y une « démocratisation » artificiellement imposée de l’extérieur et qui n’a rien arrangé.

 

            Un auditeur fait part de ses contacts à ce sujet avec ses étudiants ; leurs réponses sont très éclairantes. Les étudiants asiatiques (Chinois, Indiens, Vietnamiens, Coréens, Taïwanais...) font fièrement des réponses comme : « Nous voulons que notre pays se développe par ses propres moyens, et nous faisons partie de ces moyens ». La plupart retournent chez eux après leurs études et l’on a l’intelligence de leur y préparer un travail en rapport avec leurs compétences. Pour les étudiants africains, on constate que leurs nations en sont encore le plus souvent au stade tribal : ceux qui ne font pas partie de la tribu dominante de leur pays savent qu’ils n’ont que peu de chance de pouvoir exercer leurs compétences en Afrique, ils préfèrent en général rester en Europe, et tant pis pour le développement... Ceux qui font partie de la tribu dominante font des réponses alambiquées qui veulent dire : « Le développement, oui bien sûr, mais c’est mieux d’être riche dans un pays pauvre que dans un pays riche ! » On peut en effet disposer du travail de nombreux domestiques, fort peu payés... Mais si l’élite africaine elle-même ne désire pas le développement, il ne faut pas s’étonner du résultat !

            Nous avons besoin d’une révolution des mentalités et l’on ne peut, de l’extérieur, développer un pays qui ne fait pas lui-même les efforts nécessaires. 

 

            Un commentaire de Jules Leveugle : Une comparaison de l’émigration italienne des années 1900 et de l’immigration africaine d’aujourd’hui.

            Autour de 1900, 20% des Italiens de vingt ans émigrèrent aux Amériques. Si l’on applique le même pourcentage aux 7 millions de naissances annuelles de la seule Afrique francophone, il faut s’attendre bientôt à l’arrivée de plus d’un million d’immigrants chaque année !

 

            Un exemple de l’importance du milieu local : L’un de nos jeunes auditeurs présente son cas personnel : j’habite à Viroflay, juste avant Versailles, et je travaille à Gennevilliers ; je viens d’avoir mon troisième enfant. A Viroflay on me félicite, on me demande même quand j’aurai mon quatrième. A Gennevilliers on me regarde avec réprobation, c’est folie d’avoir trois enfants dans le monde actuel !

 

            Monsieur Lafay conclut en soulignant que l’effort de la Nation pour la politique familiale a bien diminué et qu’il faut renverser cette tendance : la France ruinée de l’après-guerre consacrait 3% de son produit intérieur brut aux allocations familiales, contre seulement 0,7% aujourd’hui ; il regrette que tant d’économistes considèrent la démographie comme une donnée et non comme un phénomène très lié aux fluctuations de l’économie, et enfin il attire l’attention sur une évolution qui pourrait avoir de graves conséquences si l’on n’y prend garde : la mobilité de plus en plus grande des jeunes, surtout des jeunes diplômés. Si leurs impôts sont trop élevés, si en particulier ils sont atteints par l’impôt sur la fortune (par exemple après un héritage) ils n’hésitent plus à s’expatrier pour vivre dans un pays moins contraignant.

            C’est là que le vieillissement peut devenir irréversible : si les charges mises sur le dos des jeunes sont telles que ceux-ci fuient vers des pays plus accueillants. N’oublions pas que le vieillissement ne peut être que transitoire et un vieillissement irréversible conduit nécessairement, et rapidement, à un effondrement très pénible.

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