Groupe X-Démographie-Économie-Population

Exposé du 26 janvier 2005

Société et statut de la femme

Par Madame Jeanne-Hélène Kaltenbach

Ancien membre du Haut Conseil à l’intégration

Corédactrice, avec Madame Tribalat, de " La République et l’Islam "

Choc juridique ou choc des religions ?

L’exposé est articulé sur quatre parties : la " confession de notre civilisation ", la question de la polygamie, les " restes chrétiens " du mariage civil et l’offensive des cyber-islamistes réclamant la modification du code civil.

1 ) Confession.

Il ne faut pas remonter bien loin dans notre histoire pour retrouver un machisme solidement enraciné. Certes le fameux " Votre sexe n’est là que pour la dépendance, du côté de la barbe est la toute puissance " de Molière, nous paraît aujourd’hui bien lointain ; mais le devoir d’obéissance de l’épouse a duré jusqu’en 1938, le droit de correction jusqu’en 1958, l’autorité paternelle jusqu’en 1970. Même la supercherie de l’" enfant endormi " qui peut attendre 5 ans dans le sein de sa mère après le départ de son ‘’père’’ , cette " immaculée conception musulmane ", ne devrait pas nous surprendre. En 1653 le Parlement de Paris déclara légitime un enfant né 18 mois après le décès du mari de sa mère.

Souvent les participants du dialogue islamo-chrétien se demandent ce qui les rassemblent ?... Eh bien la " feuille de route " des femmes qui suit les mêmes chemins dans le temps et l’espace. Qu’on en juge : " On veut dépouiller la femme de sa pudeur native, la produire en public, la détourner de la vie et des devoirs domestiques, l’enfler d’une fausse et vaine science, en sorte que, celle qui bien et religieusement élevée, serait semblable à une pure lumière dans sa maison, la gloire de son époux, l’édification de sa famille... gonflée d’orgueil et d’arrogance, dédaignera les soins et les devoirs propres à la femme ". Est-ce une lettre de Pie IX au père Dupanloup en 1867 ou bien une conférence, réservée aux femmes, de Tariq Ramadan à Mulhouse en avril 2000 ?

Les deux civilisations mitoyennes semblent en décalage sur certains points, plus désynchronisées qu’incompatibles. Pas de suffisance donc, d’autant que les femmes turques ont voté avant les Françaises (1944), mais qui contestera les progrès de l’égalité entre les sexes ?

A propos de la diversité culturelle, un débat anime les philosophes américains depuis trente ans. Les " liberals " plaident pour un État " juste " par rapport à toute conception du bien. Et les " communautariens " ( à ne pas confondre avec le communautarisme) plaident pour que l’État reflète un bien commun , avec ses valeurs sociales et morales. Mais en ce qui concerne les immigrants ils sont unanimes : " Ils ont choisi, ils se sont eux-mêmes déracinés, en décidant de se déraciner les immigrants ont volontairement renoncé aux droits liés à leur appartenance nationale initiale ". Et les nouveaux Américains prêtent serment : " Je renonce et j’abjure entièrement et absolument toute allégeance à un quelconque prince, potentat, État ou souverain étranger ".

A Londres : " Le multiculturalisme n’est plus... Sauf que pour mourir il faut avoir vécu et pour cela avoir un cœur et un cerveau. Le multiculturalisme n’avait ni l’un ni l’autre, il n’a toujours été qu’un mot en quête de définition, un drapeau reconnu par aucune nation, ce qui me direz-vous était précisément son but. Nous l’agitions pour dire adieu à une patrie commune ". (The Independent, 4 février 2004). Finie la béatitude multiculturelle, les nouveaux citoyens britanniques doivent, depuis 2002, jurer, ou affirmer leur allégeance, à sa Majesté et à ses héritiers, promettre fidélité au Royaume britannique et à ses libertés démocratiques. En droit international privé, la solution anglaise est celle du territoire –domicile of choice – un mariage célébré en Angleterre, qui exclut la polygamie, doit être monogame.

Au contraire la situation française est fragilisée par les largesses combinées de nos trois credos nationaux et républicains. Notre code de la nationalité : droit du sol automatique à partir de 18 ans, reconnaissance de la double nationalité, absence de serment, absence de déclaration de fidélité à la constitution (comme cela se fait en Allemagne). Notre Droit international privé est personnaliste, certaines questions relatives à l’état et à la capacité des personnes étrangères sont liées à leur loi nationale, ce qui conduit parfois à des situations kafkaïennes : si une Française demande, en France, le divorce d’un mari retourné en Algérie, le juge français doit appliquer la loi algérienne, à cette Française vivant en France avec ses enfants français !

Enfin, contrairement aux habitudes anglaises, la colonisation française n’a que très peu touché au statut personnel algérien, même si, à l’époque, la cour d’Alger profitait de " l’option de droit " pour empêcher quelques mariages forcés d’impubères conformes au droit malékite. Les collisions juridiques actuelles se produisent avec des codes de statut personnels d’inspiration malékite, tandis que les incompréhensions sont liées aux injonctions d’inspiration wahhabites de nos " cyber prédicants ".

2. La polygamie.

En ce domaine, comme en quelques autres, nos chiffres sont aussi indigents qu’incertains (n.d.l.r. : Les évaluations vont de 8000 à 80 000 polygames sur le sol français, mais n’oublions pas qu’il faut multiplier par cinq ou dix pour tenir compte des femmes et des enfants).

Selon Ghaleb Bencheikh : " La polygamie est une survivance d’une pratique antéislamique dont l’anarchie fut réglée par le Coran... Eu égard aux sept cents femmes de Salomon par exemple, la réduire à quatre femmes fut un progrès spectaculaire ! ". Mais il ne s’agit pas de marchander à la baisse le nombre d’épouses, et ce n’est pas à un musulman qu’il faut expliquer ce que signifie L’Unique. Mon amour n’a rien à voir avec mes amours, pas plus que le Prophète avec les prophètes. Tariq Ramadan le sait parfaitement. Dans son bulletin Présence musulmane, très influent parmi les jeunes, il évoque avec suavité " Mohammed, si attentif, si doux, si patient. Avant d’être La Mère de ses enfants, son épouse était Une Femme, Sa Femme " Euphémique emploi du singulier !

En 1980 le conseil d’État a cassé la décision d’un préfet qui avait interdit le séjour de la seconde femme de Mr Montcho par un arrêt ainsi commenté : " La vie familiale normale d’un musulman consiste à respecter les obligations d’entretien et surtout d’équité entre ses femmes, comme le prescrit la Sourate des Femmes ". On s’étonne, que le Conseil d’État cite le Coran et surtout nimbe d’une auréole d’équité une institution inique et discriminatoire par essence. C’est un véritable oxymore juridique ( oxymore : avec une contradiction dans les termes, ainsi " l’obscure clarté qui tombe des étoiles ").

Avant 1993 un décret laconique stipulait " Le conjoint et les enfants mineurs d’un ressortissant étranger qui veulent s’établir auprès de ce dernier ne peuvent se voir refuser l’accès au territoire français ". Voilà la thèse, pour reprendre la terminologie de Monseigneur Dupanloup. Et voici les hypothèses : Qu’est-ce qu’un conjoint ? Qu’est-ce qu’un mariage ? Qu’est-ce qu’un divorce de polygame ? Qu’est-ce qu’un adultère dans un mariage de polygame ?. L’enfant mineur, est-il mineur selon le droit étranger ou selon le droit français ? Il a fallut dix ans pour que la Cour de Cassation marque enfin un arrêt face à l’indulgence

croissante que le droit international privé témoignait à la polygamie. En 1990 elle fut déclarée

" contraire à l’ordre public " et en 1993, une loi sur la condition des étrangers supprima le regroupement familial, le titre de séjour et l’octroi de la nationalité française pour un époux polygame, tout en gardant les polygames présents sur le territoire et en acceptant qu’une situation polygamique valablement crée à l’étranger permette à une seconde épouse restée là-bas de faire valoir ses droits successoraux, ou l’ouverture de certaines prestations sociales.

Que dit cependant le talentueux sociologue Alain Touraine en 1996 ? " Je ne vois pas pourquoi la polygamie doit être interdite, même si je reconnais qu’elle rend plus difficile l’intégration sociale des femmes africaines... " toutefois il s’oppose à l’excision au nom d’une conception universelle des droits de l’homme ! Lors d’un colloque de l’Institut National d’Études Démographiques, en 1997, un professeur a fustigé " la défense hystérique du mariage occidental... qui ne doit pas être considéré comme un progrès par rapport à la polygamie "*. En 2001 une journaliste de " Elle " interroge des adolescentes, élèves du fameux Institut Européen de Sciences Humaines (institut musulman financé par la Koweït) " Elles ont choisi l’Islam pour s’épanouir, le Recteur prend gentiment le temps de leur expliquer l’importance que les femmes ont eues dans la vie du Prophète... " écrit-elle avec une affligeante légèreté.  

* n.d.l.r. : Le machisme, sans doute inconscient, de certains hommes haut placés les empêchent de prendre la mesure de cette injustice faite aux femmes. L’esclavage aussi avait ses défenseurs autrefois, qu’un racisme inconscient aveuglait et qui ne stigmatisaient que " les abus de l’esclavage ".  

3. Aspects chrétiens du mariage civil.

Une remarque pour commencer. L’empêchement religieux au mariage pour la musulmane (une musulmane ne peut épouser qu’un musulman...) heurte à la fois la liberté du mariage et la laïcité, elle est une discrimination manifeste par rapport aux hommes. Cet empêchement est hélas conforme à tous les Statuts personnels maghrébins – tunisien compris - et à la culture de nombreuses familles issues du Maghreb. Le mariage bat de l’aile dit-on et dans ce cas c’est tant mieux puisque le concubinage permet aux jeunes de vivre ensemble malgré tout.

Seconde remarque : " la répudiation de fait à la française " d’un concubin ou d’une concubine ou d’un pacsé, qui abandonnent leur compagnon sans autre forme de procès, devrait nous faire réfléchir. La " répudiation musulmane " est encadrée par la loi de là-bas... et considérée comme contraire à notre ordre public depuis l’an 2000 ! Les autres cultures nous interrogent sur nous-mêmes.

Revenons à notre droit du mariage métissé de droit romain, de coutume, de droit germain et de catholicisme. L’Église primitive a emprunté au droit romain tout ce qui ne choquait pas la morale chrétienne : la monogamie, c’est à dire la fidélité, l’exogamie, la publicité, l’âge minimum. L’exogamie très stricte du droit romain est renforcée par le catholicisme qui proscrit le mariage entre parents jusqu’au 7ème degré. En somme : " Tu quitteras ton père et ta mère et tu n’épouseras pas ton cousin germain ! ". Le mariage est une institution publique, célébrée en public, les bans sont là pour cette raison, les registres de l’Église sont privés, mais consultables par tous. Le code civil a renforcé la supériorité du mariage civil d’une norme d’antériorité, et condamne les ministres du culte qui célèbreraient de façon régulière un mariage religieux avant le mariage civil. En Suisse si un imam célèbre un mariage religieux avant le mariage civil, il peut se voir interdit de séjour.

Le mariage musulman classique, au contraire, est du domaine privé, à la limite du droit rituel et contractuel. Parmi les Turcs d’aujourd’hui, encore 98% des filles et 94% des garçons subissent des unions arrangées, ou forcées pour être plus exact, et qui se terminent parfois dans la violence. Toute cette tradition est en train de bouger là-bas plus qu’ici. Au Maroc, depuis 1993, la jeune fille doit donner son consentement par écrit.

Pour conclure avec l’offensive des cyber-prêcheurs : aurons-nous un jour " dans l’espace de nos différences " un Code de Statut musulman, applicable, cela va de soi, aux Français convertis, ( Ces convertis que le philosophe iranien Schayegan baptise " nouveaux bigots emmitouflés jusqu’aux oreilles dans le refuge des démocraties, à l’abri d’un État laïque, qui préfèrent vivre l’Islam en Europe plutôt que dans un pays musulman " ) code comportant la dévalorisation du témoignage de la femme devant un tribunal, la demi-part d’héritage pour les filles, l’indignité successorale du non-musulman, l’interdit à la femme musulmane d’épouser un non-musulman... La question nous est posée de manière récurrente. Dans le style de Tarik Ramadan cela se dit " œuvrer pour une meilleure harmonie entre la personnalité musulmane et le paysage occidental ". En 2001 à Abidjan il s’exprime plus librement " Il nous faut examiner l’influence du modèle dominant afin de réformer ce qui est contraire à nos principes... Il faut parvenir à l’effectivité de l’état de droit de façon objective, c’est à dire dénuée de toute connotation idéologique occidentale "... Lui et beaucoup d’autres revendiquent haut et fort " le droit des sociétés majoritairement islamiques de rester fidèles à leurs sources et de penser une organisation qui convienne à leur identité " Voilà bien une opinion que nous partageons. Si cela est nécessaire il nous faudra voter, sans écouter ceux qui, à la manière de Louis Veuillot, parlent de la tyrannie majoritaire, quand ils sont minoritaires, et du respect de la majorité là où ils sont majoritaires. On ne peut sacrifier l’avenir des filles au passé des mères.

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Questions

Aux défenseurs de la polygamie - le droit d’un homme à avoir simultanément plusieurs épouses - avez-vous déjà répondu : et pourquoi donc alors une femme n’aurait-elle pas le droit d’avoir simultanément plusieurs maris ?

C’est une bonne répartie, je doute qu’ils comprennent, ils en seraient certainement horriblement choqués et ne prendraient pas ma question au sérieux... mais beaucoup d’auditeurs, et d’auditrices, comprendraient. La polyandrie existe certes dans quelques pays, mais elle est très rare.

Importance de la différence d’âge ?

Elle est essentielle : quand un homme de trente ou trente cinq ans épouse une fille de quatorze ans, elle ne peut qu’être dominée par son mari.

A votre avis d’où vient notre faiblesse ?

Il y a bien sûr une part de veulerie et pour certains un complexe de culpabilité résultant de notre histoire coloniale. Il y a surtout les réflexes de nombreux anticléricaux, francs-maçons ou non, qui " bouffent du curé ", y compris certains protestants devenus pour cette raison des toqués de Tarik Ramadan.

Précisons que Madame Kaltenbach est de confession protestante.

 

L’un des assistants présente le cas du lycée Lavoisier de Roubaix où le proviseur est très fier de pouvoir dire qu’il a beaucoup diminué les difficultés et les tensions intercommunautaires en ne servant systématiquement que de la viande hallal à la cantine !

Vous nous avez parlé essentiellement des difficultés des femmes avec la communauté musulmane. Qu’en est-il des autres communautés ?

Chaque communauté a bien sûr ses problèmes, mais au moins la situation des femmes y est sans comparaison avec ce que vivent les musulmanes. Les Indochinois, les immigrés européens et même les Africains non musulmans s’adaptent bien mieux à la société et aux lois françaises.

L’un des assistants rapporte l’anecdote de cette religieuse catholique qui travaille dans la banlieue lyonnaise et avise un jour deux de ses anciennes élèves musulmanes : " ça alors, vous portez le voile maintenant ? " demande-t-elle ; les deux jeunes filles éclatent de rire, puis l’une dit à l’autre " on lui dit tout ? " et elles expliquent " on nous donne cinq euros par semaine pour porter le voile ! ". La réaction de Madame Kaltenbach est caractéristique : " j’ai connu des cas où c’était bien plus de cinq euros par semaine ! "

A propos du voile un assistant précise que, dans les discussions avec ses amis musulmans sur le voile et la liberté, il n’hésite pas à préciser : " Ce n’est pas l’Arabie qui est le pays de la liberté, c’est la France ! La liberté n’est pas le droit de faire n’importe quoi et les Français, qui autrefois ont connu les guerres de religion, savent que certaines choses sont dangereuses. C’est la raison pour laquelle les signes religieux sont interdits à l’école " Ajoutons d’ailleurs que les théologiens musulmans ne sont pas d’accord entre eux sur cette question. Pour les uns le voile est une obligation religieuse, mais pour les autres c’est un simple conseil. Rappelons que voile est interdit dans les universités tunisiennes et turques.

Pour terminer, Madame Kaltenbach cite des exemples navrants, des élèves refusant de faire des additions " parce que la croix (le signe plus) est le signe des chrétiens ", mais elle exprime l’espoir que les choses vont s’améliorer en Europe car il y a une prise de conscience. L’assassinat du cinéaste Théo Van Gogh aux Pays-Bas par un jeune musulman, outré de ses critiques - pourtant évidentes - de l’Islam, fait réfléchir bien plus que la fatwa archaïque lancée contre Salman Rushdie. Il en est de même à propos de la controverse sur la fresque de la cathédrale de Bologne où le prophète Mohammed est représenté au sixième ciel.

Deux participants tirent les conclusions de cet exposé remarquable : 1°) Il faut rendre à nos jeunes la fierté d’être Français , qu’ils soient d’immigration récente ou lointaine (à très long terme nous sommes tous venus d’Afrique orientale ou australe...). La France est l’un des pays les plus positifs dans l’histoire de l’humanité. 2°) Tout comme nos ancêtres les plus éclairés des dix-huitièmes et dix-neuvièmes siècles ont lutté pour l’abolition de l’esclavage, il nous faut lutter pour l’abolition de la polygamie pour exactement les mêmes raisons. N’oublions pas que dans la majorité des pays musulmans la police est chargée de retrouver et de ramener au foyer conjugal, de gré ou de force, une femme maltraitée qui s’en est échappée ; exactement comme cela se passait autrefois pour les esclaves fugitifs.

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Le livre " La République et l’Islam " de Mesdames Kaltenbach et Tribalat (édition Gallimard) a reçu un prix Briguet qui récompense les ouvrages de sociobiologie et philo- sophie ainsi que le prix de l’Institut des Hautes Études de la Défense Nationale (IHEDN).

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