Réunion du 13 novembre
du Groupe X/DEP
Le système scolaire
français : diagnostic, fausses et vraies solutions
par Philippe Joutard,
professeur émérite, ancien recteur
Les comparaisons internationales mettent en
valeur depuis une décennie, les faiblesses de notre système éducatif qui ne se résument pas à des
résultats d’ensemble très moyens et en recul depuis une quinzaine d’années.
Tout aussi préoccupants sont le manque de confiance de l’élève français, son
absence d’initiative et la mise en valeur d’une seule forme
d’intelligence. La nostalgie d’une école
d’autrefois (le mythique retour à Jules Ferry) est dangereuse, car elle revient
à nier les bouleversements de la société et la révolution culturelle numérique.
Mieux vaudrait savoir sortir de notre enfermement hexagonal, sans pour autant
renier notre originalité.
Sujet suscitant beaucoup d’intérêt à la
fois parce qu’il nous concerne tous,
(retour à l’enfance- projection vers l’avenir pour nos enfants et
petits-enfants), mais aussi passion française pour l’école. Liées à notre
identité…Ce qui rend les choses beaucoup plus difficiles, car nous avons tous
un avis ? Qui est le plus souvent un avis nostalgique sur le passé et
non pas sur le présent…
Le constat
Un instrument d’analyse de l’OCDE, la fameuse
enquête PISA, permet depuis une quinzaine d’années de situer avec un maximum
d’objectivité notre système scolaire par comparaison avec celui des autres pays
de l’OCDE.
La France se situe à 496 points, au 22e
rang, à peine au-dessus de la moyenne de l’OCDE, (493), et ce sont les
inégalités du système qui sont l’une des raisons du classement médiocre de la
France dans les classements
internationaux. La France est en rang correct pour les meilleurs élèves mais en
très mauvais rang pour les plus mauvais. Il faut remarquer à ce propos que les
pays qui obtiennent les meilleurs résultats sont aussi ceux qui sont moins inégalitaires : ainsi, la
Corée et la Finlande qui occupent le haut du tableau (score moyen de 539 et 536) ont un
différentiel de 20 et 19 points d’inégalités en moins que la France à 32 et 31
point d’écart. Le Québec de même langue que nous, ayant aussi une forte
immigration, présente des résultats meilleurs que les nôtres, 522, avec une
inégalité nettement moins forte
comparable à la Finlande.
Nous ne pouvons même plus invoquer en
contrepartie la qualité de notre élite. Certes elle existe. Si nous prenons la
catégorie des 10% d’élèves qui obtiennent
les meilleurs résultats, la France se situe au 9e rang avec
le score de 624, mais elle est encore devancée par les pays déjà cité, la
Finlande, 642 Corée, 634, et même le Québec à 628. Tous les pays ou régions
avant nous sont moins inégaux. En d’autres termes, la qualité de l’élite n’est
pas liée à l’inégalité du système éducatif. Les pays qui jouent la réussite
d’un plus grand nombre, possèdent aussi un groupe supérieur d’excellent niveau.
C’est la meilleure réponse à apporter à ceux qui pensent que la « fabrique
des meilleurs » suppose
l’élimination des moins bons.
Qu’il soit enfant
de 9 ans à la fin de l’école élémentaire, ou
adolescent à la fin du collège, le Français ne prend aucun risque et ne
répond qu’à coup sûr, à plus forte raison dans les questions ouvertes. Son taux
de non réponses est parmi les plus élevés. Par ailleurs, il se sous-estime
toujours. Une enquête de 2001 sur le niveau des
enfants quatre ans après le début de l’apprentissage en lecture, le
situe pour la confiance en ses capacités au trente et unième rang sur
trente-cinq, à douze points au-dessous de la moyenne de tous les pays concernés
; deux ans plus tard, en 2003, une
enquête de l’OCDE sur les résultats scolaires des adolescents en mathématiques
révèle que les Français sont parmi les
élèves les plus angoissés : plus de
la moitié ont peur au moment de répondre, sept fois plus que les
Finlandais qui obtiennent les meilleurs résultats[1].
Nul doute que soit ici
en cause un trait culturel français dépassant
largement l’école et déjà analysé
par Alain Peyrefitte, il y a plus de dix ans lorsqu’il avait évoqué la
société de défiance française s’opposant à la société de confiance
caractéristique de la culture anglo-saxonne (La société de confiance,
Paris Odile Jacob, réed.2005). Cette défiance se manifeste en particulier pour
le domaine scolaire dans le statut de l’erreur et la pratique de l’évaluation.
L’erreur est toujours une faute ; elle traduit l’imperfection fondamentale
de l’élève et non une faiblesse provisoire à corriger. Quant à la notation,
loin d’aider celui-ci à progresser en mettant en valeur le chemin déjà
parcouru, elle le décourage en montrant tout ce qu’il reste à faire, même quand
il a déjà fourni de gros efforts. « Peut mieux faire », chacun
connaît la fortune de cette appréciation dans les bulletins scolaires qui est
le meilleur moyen de décourager et
d’aboutir au résultat inverse. La dérive est complète et l’évaluation devient
le moyen privilégié pour faire perdre confiance à la majorité des élèves et générer leur échec : on connaît en effet le lien étroit entre estime de soi et
réussite. L’enfant et l’adolescent se modèle souvent sur l’image que l’adulte
renvoie de lui : « tu es nul » engendre la nullité, « tu es
bon » donne confiance et permet de
progresser.
Récemment, l’OCDE a fait un
classement des pays en fonction de la qualité de vie dans les
classes. La France est 22e sur 25 nations ! De plus, elle
arrive 2e dans le classement des élèves les plus stressés au monde après les
Japonais ! En effet, plus d’un tiers (36%) des élèves de primaire et de collège
déclarent avoir mal au ventre avant d’aller à l’école. Le mal-être scolaire est pointé du doigt par de
nombreuses associons comme étant le principal responsable du décrochage scolaire.
Une seule forme d’intelligence …. ,
le « verbo-conceptuel » avec hiérarchie des disciplines. Les petits
français excellent dans les exercices d’application scolaire, beaucoup moins
dans le domaine de la créativité (expression libre ou résolution des problèmes).
Les fausses solutions
Le mythe Jules Ferry. C’est celui d’un monde
rural et artisanal au temps de l’imprimé-roi avec la double école, celle du
peuple et de l’élite, de l’hexagone. Alors qu’aujourd’hui nous sommes dans un
monde urbain, celui de la mondialisation et de la société de la connaissance,
de la Troisième révolution culturelle après l’écriture et l’imprimerie, le
numérique. Ce n’est pas seulement un problème d’évolution des techniques, mais
également celui de la concurrence des connaissances. Le tout dans un contexte
d’explosion quantitative du nombre des élèves dans le secondaire et le
supérieur. Construire une école secondaire de masse, le collège unique, ce
n’est pas une idéologie, mais une nécessité liée à cette société de la
connaissance. On a cependant construit le collège unique comme un petit lycée
et non comme la suite de l’école fondamentale ; le tout avec la nostalgie
du lycée en particulier dans son savoir du XIXe siècle. Cela s’est traduit par
des choix dans les disciplines enseignées, les moyens financiers accordés et
aujourd’hui il convient d’envisager des transferts vers le primaire…et l’école
fondamentale. La question est difficile car on ne comprend pas une école
différente de celle que nous avons connue. Le fossé est encore plus grave
depuis une vingtaine d’années avec l’introduction du numérique et le gap entre
les générations. Les aînés ont une méfiance fondamentale vis-à-vis de la
culture numérique… Internet c’est comme la langue d’Esope, le meilleur et la
pire des choses, l’imprimé, aussi en moins rapide.
On constate
un grand contraste entre une école qui reste largement avec une transmission
verticale sans participation des élèves à une époque où à l’extérieur ils sont
en pleine autonomie. Il suffit de voir les jeunes face aux serious games, comme
par exemple le jeu Fifa qui mobilise des capacités d’organisation, de
management…. Le rapport à l’écrit est beaucoup plus fort, mais un écrit sous
forme de twitters… Les moteurs de recherche ont démultiplié le décalage entre
les générations dans l’accès à l’information alors que l’enseignant était
fondamentalement un passeur de connaissances.
Que
faire ?
La difficulté réside dans le fait qu’il convient
d’aller à l’encontre de notre culture, construire une école de la confiance et
non de la méfiance…qui n’a pas besoin de classer tout de suite, ou ne pas faire
de classement universel. Qui accepte la diversité des intelligences et
l’articulation des savoirs, autrement dit la complexité du monde. Qui développe
l’autonomie, et l’esprit d’équipe. Le maître mot est la transversalité (sur la
langue). Et, faire glisser les crédits du
lycée, très élevés, vers l’école primaire, sous dotée, en comparaison avec les
autres pays. Les premières années sont fondamentales pour la réussite future.
Le Comment ?
est essentiel. En jouant d’abord sur la formation initiale et continue des
maîtres (non pas formation académique, puis professionnelle mais les deux en
alternance), en construisant une large autonomie des établissements, des
équipes pédagogiques dans le cadre
Faire du ministère une administration de mission
et non pas de gestion. Etablir les limites de l’inacceptable. Importance du
contenu : Priorité à la langue française, mais une langue en
transversalité à travers la totalité des disciplines et jusqu’à la fin de
l’enseignement obligatoire. Se placer au cœur des divers types de langage,
oral, écrit et écrit numérique et divers types d’écrits numériques. Mais
ensuite transversalité partout Math-sciences Histoire-Lettres d’où l’intérêt le
plus longtemps possible d’un enseignement des sciences intégrés Mathématiques, physique, svt et technologie
et d’autres part humanités. En acceptant de construire l’acquisition des
connaissances par le numérique et d’apprendre aux élèves à s’en servir avec
esprit critique. (exemple Wikipedia, de différentes langues….), de développer
les TPE et les itinéraires de découvertes, la diversité des approches
artistiques et sportives… La difficulté est que cela est une révolution
culturelle : cf faire confiance. Il convient de faire de la défiance des enseignants une faute
professionnelle…(le « tu es nul »…).
C’est difficile dans un système très centralisé
mais il convient de garder espoir, et de s’appuyer sur des équipes de terrain
et les possibilités plus nombreuses que l’on veut bien reconnaître de marge de
manœuvre du système. Et puis on n’a pas le choix ; nécessité fait loi.
De très nombreuses questions, dont la réponse
est intégrée dans le corps du texte, ont fait de cette
conférence une discussion interactive. Il convient de souligner, entre
autres :
-
Comment
mieux choisir les enseignants et que faire de ceux qui se sont trompés
d’orientation, qui s’usent avec le temps, et qui n’ont pas de perspectives
autres alors qu’ils bénéficient d’un statut ?
-
Comment
introduire une dimension managériale dans la fonction éducative et la gestion
du système ?
-
Comment
gérer la double hiérarchie des enseignants, celle de l’inspection pédagogique
et celle des chefs d’établissements ?
-
Pourquoi
la France peine à transformer son école alors qu’il y a eu de très nombreux
rapports et que les dirigeants savent bien ce qu’il faut faire ?
-
Que
signifie « mettre l’élève au cœur du système » et comment le
faire ?
-
Faut-il
décentraliser?