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Groupe X-Démographie-Économie-Population
Exposé du Mercredi 14 Décembre 2005
La paupérisation des jeunes, un cas concret.
Par Stéphane Gourichon
X1995 et docteur en informatique
Ingénieur R&D logiciel
Ancien contributeur au projet « polytechnique.org »
Stéphane Gourichon commence
en rappelant et en prolongeant l’exposé analogue fait il y a six ans par Bernard
Legris, économiste de l’Institut National de la Statistique et des Études
Économiques (INSEE). Il tient à préciser qu'il n'est ni démographe ni économiste
et que sa contribution a surtout valeur de témoignage. L'exposé est structuré
en deux parties : une première où l'orateur reprend des courbes de l'exposé
cité et une seconde où il relate des expériences récentes de personnes de
son âge.
Entamant la première partie, l'orateur présente l’un
des graphiques de cet exposé (fig. 1).
On voit clairement, d’une part une progression
d’ensemble de la plupart des revenus et d’autre part une stagnation puis une
régression des revenus des plus jeunes...
La figure 2 est très démonstrative : dans la
dernière période, la période 1990-1996, les seules catégories voyant leur
revenu fiscal diminuer de manière importante sont celles des moins de trente
ans. Notons cependant que ce mouvement se ralentit nettement dans les années
récentes comme en témoigne la figure 3.
Un auditeur
fait remarquer que 48% des Français ne contribuent pas à l’impôt sur le revenu
et que donc l’enquête risque d’en être biaisée. L’orateur reprend la réponse
qu'avait fait Bernard Legris à la même question : depuis 1990 de très nombreux
citoyens non imposables sont obligés de remplir quand même des déclarations de
revenus.
Les autres graphiques reprenant les mêmes données mais
avec des axes différents (figures 4 à 6) montrent que ceux nés entre 1930 et 1945 ont des revenus
fiscaux par unité de consommation dont la moyenne dépasse tous les autres
(cohortes précédentes et suivantes) en 1990 et 1996. Même si l’ensemble des
niveaux de vie a progressé ces courbes suggèrent l'existence d'une « génération
dorée ». Le revenu fiscal n'est pas la seule mesure et la suite de
l'exposé l'illustrera.
Pour appuyer
ces résultats sur un autre plan, un auditeur fait remarquer qu’en France le
nombre annuel des suicides est monté à 24 000 et que le taux de mortalité des
jeunes de 24 – 25 ans est aujourd’hui plus élevé qu’en 1950.
Un autre
auditeur fait remarquer les grandes difficultés de cette étude liées aux
variations énormes de l’indice des prix au cours du vingtième siècle ;
ceci est vrai bien sûr mais n’affecte pas les études des rapports de revenus
pour une année donnée (figures 7 et 8, et partiellement pour les autres
figures).
Un élément essentiel se dégage de l’exposé :
l’influence énorme sur le niveau de vie des conditions de logement et en particulier
des prix des loyers. On voit couramment aujourd’hui des jeunes couples
consacrer à leur loyer 40% de leur revenu, ou même davantage. Beaucoup de
jeunes reçoivent dans ce domaine une aide de leur famille, par exemple en
habitant à des conditions financières très favorables dans un logement
appartenant à l’un de leurs ascendants.
L'orateur continue avec les deux cas concrets qu’il a préparé, désignés par la suite par « premier cas » et « second cas ». Le premier cas est un enseignant-chercheur scientifique de la promotion de l'orateur dont il a bien étudié le dossier. Un chercheur analogue (docteur en informatique) aux États‑Unis gagnerait de 4000 à 5000 dollars par mois, tandis qu’en France il doit se contenter de 1300 euros par mois, ce qui dans sa situation de couple avec un enfant le place au niveau du seuil de pauvreté.
Il faut comprendre la situation du premier cas :
marié, un enfant de 3 ans et un autre qui va naître, un loyer de 750 euros par
mois (plus de la moitié de son revenu...) pour un logement de 80 m2
dans la banlieue de Nantes, après avoir vécu dans un peu moins de quarante
mètres carrés en région parisienne pour le même loyer et après être revenu
(difficilement) d’un post-doc en Allemagne. Le couple est malgré son niveau
toujours dépendant d'une aide parentale régulière. La recherche en France offre
si peu de postes permanents pour de nombreux candidats brillants et favorisant
les candidats étrangers, la situation pour un jeune chercheur français est
comparable au choix récent de Paris ou Londres pour les prochains Jeux
Olympiques : est-ce bien le mérite qui détermine l'obtention d'un poste ?
L'alternative se réduit alors à abandonner la recherche ou émigrer aux
États-Unis.
L'orateur aborde le second cas, un autre membre de sa
promotion lui aussi docteur en informatique. Pour sa thèse, grâce à son père il
a bénéficié sans frais d'une chambre de 9 m2 dans le 15ème
arrondissement de Paris. Il avait alors, pendant ces années 1999-2003, une
bourse DGA (Délégation générale pour l’armement) de 8900 F par mois.
Marié en 2003 il devient père en 2004 et entre dans
une entreprise d’informatique où il travaille encore aujourd’hui. Le couple ne
pouvant plus vivre correctement dans le 2 pièces conjugal de 38m2 achète en 2005 un
appartement de 84 m2 à 6km au sud de la porte d'Orléans, mais à quel
prix ! Un emprunt de 265 000 euros qui le contraint à des remboursements
de 2000 euros par mois (700 pour les intérêts et 1300 pour le remboursement du
capital). Le couple est conscient d'être dans le haut des salaires pour sa
tranche d'âge (3200 pour Monsieur, 1400 pour Madame à temps partiel pour avoir
le temps d'élever leur enfant) et pourtant doit se contenter d'un train de vie
minimal. Bien entendu le « crédit à taux zéro » ne lui est pas accessible :
il y faut un revenu de moins de 30 000 euros par an. Le couple s'interroge :
comment ceux qui n'ont pas eu la chance d'accéder à des études similaires et à
un poste de cadre en entreprise peuvent-ils s'en sortir en région parisienne ?
Question d’un
auditeur : « Qu'en est-il des opportunités pour aller aux États‑Unis ?
Cela a été envisagé mais une
opportunité intéressante en France a primé sur la recherche d'une solution à
l'étranger tout en étant conscient que les salaires étaient beaucoup plus
intéressants aux États-Unis même en tenant compte des prix plus élevés.
Jules Leveugle tente alors
une comparaison avec sa propre situation au même âge : « J’étais à la Compagnie française des pétroles, il est vrai compagnie très
riche et à l’époque avec assez peu de personnel, avec un salaire mensuel que j’ai estimé équivalent à 3300 euros
d’aujourd’hui (indice des prix du ministère des finances avec un coefficient 11
entre 1957 et 2004), mais quatre ans plus tôt je n’étais qu’un fonctionnaire
mal payé qui ne gagnait qu’un peu plus du tiers de cette somme (environ 800 000
anciens francs par mois). Ajoutons, pour améliorer la comparaison, que dans les
années cinquante le prélèvement social était bien plus faible
qu’aujourd’hui : seulement 3% ».
Pour résumer son exposé et en souligner les points
essentiels, l'orateur reprend les points suivants :
A) Importance décisive de l'immobilier. Sans cette charge le quotidien serait beaucoup plus facile. L'orateur connaît plusieurs proches qui se sont endettés sur 20 ans voire 25 ans même en vendant leur logement précédent (dont le crédit n'était pas terminé) pour limiter la dette. Le coût grandissant du logement n'est pas pris en compte dans le revenu fiscal, l'effet s'ajoute donc à ceux mis en évidence dans les courbes présentées.
Un auditeur ajoute que tout est fait pour protéger les
locataires et le résultat est que l’on construit très insuffisamment, environ
200 000 logements par an seulement. Il en résulte une très forte tension sur
les prix.
B) Dans presque tous les jeunes couples que l'orateur
connaît, les deux doivent travailler, ce qui contraste avec le témoignage de
plusieurs auditeurs nés vers 1930 : au sortir de la guerre de nombreux jeunes
ménages élevaient 3, 4 voire 5 enfants avec un seul salaire. L'orateur confirme
qu'à notre époque la question du nombre d'enfants est soumise à des questions
de capacités financières. Un auditeur ajoute que cette situation explique en
grande partie les problèmes des adolescents trop souvent laissés livrés à
eux-mêmes.
« Je pourrai raconter l’histoire de mon beau-père
qui n’avait pas eu la possibilité de faire beaucoup d’études et a monté toute
l’échelle sociale de son entreprise par sa compétence et son travail. À son
époque un seul salaire suffisait malgré tout. ».
C) Les revenus du second ménage étudié sont environ à
la limite du premier et du second décile. Il ne s'agit donc pas d'un ménage
défavorisé, loin de là.
Un auditeur ajoute que le phénomène le plus important
est un accroissement des inégalités intergénérationnelles au détriment des
jeunes, dans toute l’Europe, depuis 1980. Ce phénomène est bien sûr très lié
avec l’effondrement concomitant de la natalité.
L’une des raisons est l’accroissement impressionnant
du rapport entre le salaire payé par l’employeur et celui effectivement perçu
par le salarié. Cela n’est certes pas très étonnant quand la dette publique
atteint 2000 milliards d’euros, mais l’on peut dire que les « trentes
glorieuses » ont connu une inflation par les salaires au détriment des
rentiers et des capitaux, tandis que c’est l’inverse aujourd’hui.
L'orateur conclut que « être un ménage privilégié en 2005 c'est pouvoir acheter son logement en moins de 20 ans en travaillant tous les deux ».
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Questions
Il y a de
nombreuses questions, chacun voulant faire peu ou prou part de son expérience
personnelle.
Tout en
approuvant les principales conclusions de l’orateur et en le félicitant,
plusieurs auditeurs tiennent à préciser quelques points.
A) Les
statistiques officielles par âge sont rarissimes (USA, Canada, Norvège) et il
convient donc d’apprécier à sa juste valeur le travail présenté.
B) Il faut mettre en garde les hommes politiques
contre les effets pervers de lois, certes bien intentionnées, mais qui
contrarient les lois de l’économie. Les deux exemples suivants sont
particulièrement flagrants.
B.1) Le
blocage des loyers, qui commence partiellement pendant la première guerre
mondiale et se généralise pour des décennies avec la fameuse loi de 1948.
Ce blocage
provoque une semi-paralysie de la construction privée et l’État doit prendre en
main la majeure partie de la reconstruction d’après guerre. Il entraîne surtout
des situations ubuesques où, par exemple, l’on voit des veuves, mères de
famille nombreuse, continuer d’occuper seules jusqu’à leur mort le grand
appartement dans lequel elles ont élevé leurs enfants : elles ne peuvent
pas déménager vers un logement plus petit car le loyer qu’on leur demanderait
alors serait bien plus élevé que celui qu’elles paient... et pendant ce temps
là on manque de surface habitable !
B.2) La sécurité sociale.
La sécurité
sociale, voilà certes une institution d’une très grande utilité ; il
convient cependant de se pencher sur son financement.
Disons, pour
faire court, même si c’est injuste dans le détail, qu’en gros la droite
politique ne voulait pas de la sécurité sociale à cause de son prix et que la
gauche la voulait en exigeant que ce soit surtout « les patrons » qui
paient.
Dans les
secteurs qui ne sont pas ou très peu soumis à la concurrence étrangère, cette
clause n’a pas une importance énorme : les patrons coiffeurs ont tout
simplement augmenté leurs prix et pour eux la concurrence est restée la même.
Il n’en est pas du tout de même dans les secteurs durement soumis à la
concurrence internationale et où il aurait été plus conforme à la logique
économique que ce soit l’État (le contribuable) qui paie la Sécu. Cette lourde
charge a largement contribué à la disparition de la marine marchande
française...
La raison
principale de ces manques d’analyse est l’absence en France de cette obligation
démocratique qui veut qu’un fonctionnaire élu à un poste politique quelconque
démissionne aussitôt de la fonction publique, comme cela est requis dans la
plupart des démocraties. En France, un fonctionnaire qui n’est pas réélu
retrouve son ancien poste et il lui est
donc dix fois plus facile de faire une carrière politique qu’à un docteur, un
industriel, un agriculteur, un commerçant...
En
conséquence l’égalité devant les carrières politiques n’est qu’un mythe et la
majorité des hommes politiques français sont des fonctionnaires, mais ceux-ci
vivent dans un monde à part où les lois de la concurrence sont très atténuées
et n’ont rien à voir avec celles du monde extérieur. Les fonctionnaires
connaissent donc mal les obligations de la vie économique et les conséquences
désastreuses de cette ignorance ne se font pas attendre.
Les hommes politiques se décident en fonction des nécessités de leur réélection et des exigences, des clameurs, des protestations qui leur parviennent des milieux socio-professionnels. Ils font des promesses et alourdissent la dette publique en mettant toutes ces charges sur le dos des jeunes...
Figure 1. Revenu fiscal moyen par unité de consommation
selon l’âge de la personne
de référence (c’est à dire la personne du foyer
considéré dont les revenus professionnels sont les plus élevés). Cette
étude utilise l’échelle de consommation de l’ INSEE: coefficient 1
pour le premier adulte, 0,5 pour le second et 0,3 pour
chaque enfant.
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Figure 2. Même analyse que pour la figure 1, mais avec
les années 1970-96 en
abscisse et des courbes pour chaque âge. Les courbes des 24 ans et des
29 ans sont décroissantes sur
1990-96 et y sont les plus basses. |
Figure 3. Prolongation des courbes de la figure 2 sur la période 1996-2002. Par rapport aux grands mouvements précédents on note une stabilisation avec une reprise de la croissance. |
Figure
4. Revenu
fiscal moyen par unité de consommation en fonction
de l’âge et de l’année de naissance
( chaque courbe correspond
à un âge fixe). |
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Figure 7. Rapport du
revenu disponible moyen
d’un jeune de
24-39 ans à celui
d’un |
Figure 8. Prolongation de la figure 7 pour
la période 1996-2002 (revenus fiscaux et non plus |
Annexe
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Les changements
monétaires interviennent en 1960 et en 2002. Le tableau ci après donne la
valeur INSEE de l’ancien franc, puis du nouveau franc et enfin de l’euro à
différentes époques, en francs 2001 et en euros 2002.
1°) Valeur de l’ancien franc.
Année 1901-05 1911-14 1921 1931 1941 1951 1959
Valeur en francs 2001 20, 61 17,87 5,826 3,190 1,811 0,128 0,087
Valeur en euros 2002 3,203 2,776 0,9052 0,4957 0,2814 0,0199 0,0136
2°) Valeur du nouveau franc.
Année 1960 1965 1970 1975 1980 1985 1990 1995 2000 2001
en francs 2001 8,433 7,010 5,677 3,645 2,217 1,403 1,205 1,080 1,017 1,000
en euros 2002 1,310 1,089 0,882 0,566 0,391 0,218 0,187 0,167 0,158 0,155
3°) Valeur de l’euro
Année 2002 2003 2004
Valeur en francs 2001 6,436 6,305 6,173
Valeur en euros 2002 1,000 0,980 0,959
Le franc 1996 utilisé pour les figures 1 , 2 et 4-6 vaut 1,367 franc 2001 et 0,2123 euro 2002.
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