CONFERENCE DU 3 MARS 1998
CROISSANCE, DEMOGRAPHIE, EMPLOI : LE REFUS DE VOIR
Par Michel Godet, titulaire de la chaire de prospective industrielle au Conservatoire national des Arts et Métiers.
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Le professeur Godet commence son exposé en se présentant et en indiquant qu’il sort de chez le Commissaire au Plan, Jean-Michel Charpin qu’il a trouvé " plutôt nataliste ". Il commente ensuite favorablement les ouvrages de prospective de Jacques Lesourme tout en soulignant tout de même que celui-ci a sous-estimé l’importance des questions démographiques.
La prospective a pour objet l’étude des causes techniques, scientifiques, économiques et sociales de l’évolution du monde. Elle permet de caractériser quatre types principaux d’attitude face aux changements : la passivité, la réactivité, la pré-activité et la " pro-activité ". On constate qu’il y a souvent surestimation des changements et sous-estimation des inerties.
" L’essentiel est de poser les vraies questions et de déceler les faux problèmes, les idées reçues,
les mirages collectifs ".L’orateur aborde " cinq vérités sur l’emploi " 1.La mondialisation, dont l’effet lui apparaît moins important qu’on ne l’imagine généralement. 2. Les problèmes de management (organisation, gestion) tout à fait essentiels. 3. Les illusions sur les emplois de demain. 4. La maladie du diplôme et ses ravages, avec quelques exemples caricaturaux. 5. La question de la durée du travail. Dans le monde de demain où la réaction voire l’adaptation rapide aux nouveautés et aux bouleversements sera vitale (d’où l’importance de la prospective) les carcans qu’ils soient issus de la loi, de la coutume ou des idées reçues peuvent être catastrophiques.
L’orateur aborde ensuite " trois leviers pour l’emploi ". 1.Le coût du travail (où intervient évidemment la durée du travail). 2. L’incitation à travailler...pas besoin de commenter la situation actuelle. 3. La croissance de l’offre par l’innovation et de la demande par la population (voir figures 1 et 2, la comparaison de l’Europe des Etats-Unis et du Japon). Une population stagnante et vieillissante crée très peu d’emplois, quand elle n’en perd pas, pourquoi donc les investisseurs y auraient-ils des vues larges ? Quel contraste avec les Etats-Unis où ces vingt dernières années la population augmente de 20% et l’ emploi de 40% !
A l’appui de ces idées l’orateur présente l’évolution de l’emploi total en France où les périodes de plein emploi et de vitalité démographique (1945-1975) alternent avec celles de chômage, de creux démographique et d’appel correspondant à l’immigration (années 30 et après 1975).
L’évolution actuelle de la population par tranche d’âge (figures 3 et 4) conduit à la régression de la demande de premier équipement, la plus importante, et entraine une multitude d’effets pervers dont l’orateur présentent quelques exemples évidents, même si l’on préfère généralement ne pas en parler.
Des arguments dans les discussions avec les écologistes ? En voici : Quand le taux de renouvellement des baleines s’effondre vous écologistes vous alarmez au nom du principe de précaution, vous réclamez des mesures d’aide et de sauvegarde et vous avez tout à fait raison. Eh bien appliquons aussi ce principe aux Basques et aux Lombards qui n’ont même pas un enfant par femme !
L’orateur présente ensuite le cas de la Suède où l’on s’est efforcé, avec succès, de rendre compatible le travail féminin et le désir d’enfant (congé parental, crèches etc...). Mais où le corps électoral, âgé, ayant refusé de continuer à payer les charges correspondantes le nombre moyen d’enfant par femme est retombé de 2 à 1,6 depuis 1995. Ce qui pose avec acuité la question des priorités en démocratie où les citoyens majeurs sont représentés au parlement et les citoyens mineurs ne le sont pas.
Les conclusions de l’orateur sont plutôt pessimistes , il a cependant des arguments positifs et nous déclare : " l’essentiel est de convaincre le " peuple de gauche ", quand celui-ci se sera approprié les idées que nous venons de développer, et qui lui sont en fin de compte parfaitement admissible, les trois-quarts du travail de rénovation seront faits "
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Michel Godet est l’auteur du livre " Le Grand Mensonge " (éditions Fixot) où, sans manquer d’humour, il dénonce les blocages et les tabous de la société française actuelle et propose des solutions pour l’avenir.
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