Groupe X-Démographie-Economie-Population
Conférence du 4 Décembre 2001
Etat de la population française et perspectives démographiques
Par Jacques Dupâquier
Membre de l’Institut, fondateur du Laboratoire de démographie historique
et auteur de " Histoire de la population française".
La France métropolitaine est aujourd’hui, avec 60 millions d’habitants, le troisième pays d’Europe après la Russie et l’Allemagne, à égalité avec la Grande-Bretagne et juste devant l’Italie et l’Ukraine. Elle est au vingtième rang dans le monde, mais il faut rappeler qu’il y a trois siècles c’était la nation la plus peuplée d’Europe et la troisième du monde.
Il faut reconnaître que même si le nombre des naissances est encore insuffisant pour assurer le remplacement des générations, il s’en faut de 70 000, l’année 2000 est tout de même nettement meilleure que les précédentes et avec 781 000 naissances elle nous met de peu devant l’Allemagne... Ce qui aurait pu être un argument lors du récent traité de Nice et des discussions sur la part à attribuer à chaque nation – si les hommes politiques français avaient été au courant !
Deux éléments risquent de fausser les appréciations, d’une part depuis la libération le nombre des Français est passé de 40 à 60 millions (mais avec un vieillissement important) d’où les discours des tenants de la pensée unique : tout va très bien ! D’autre part le recensement de 1999 est très mauvais (d’un point de vue professionnel), il est d’ailleurs prévu que les recensements seront remplacés désormais par des études par sondage au cinquième dans les campagnes et à 8% en ville...
Le tableau des naissances et décès depuis 1911 vous est bien connu. L’énorme déficit de trois millions de la guerre de 1914-18 n’est pas compensé par le petit rattrapage des années vingt, tandis que le déficit deux fois plus faible de la seconde guerre mondiale est sur- compensé par le baby-boom des trente années d’après-guerre. Cela explique en partie la raison pour laquelle tant d’hommes politiques se sont laissé surprendre : pourquoi construire des écoles, des facultés, alors qu’après 14-18 le petit baby-boom n’avait pas duré... Les facs super-encombrées sont bien sûr la raison majeure de l’explosion de Mai 68, mais l’on est tout de même étonné de voir que cet aveuglement perdure jusqu’à aujourd’hui et que l’on n’a presque rien fait pour préparer l’arrivée des ‘’baby-boomers’’ à la retraite !
La fin du baby-boom français est plus tardive que celle des autres pays européens. Pour ceux-ci on constate le retournement de la natalité en 1965 dans douze pays simultanément, tandis qu’en France il faut attendre les années 70 et la loi Veil (1975) pour que le nombre annuel de naissances baisse de 150 000 en quelques années, malgré un nombre plus élevé de femmes en âge d’avoir des enfants.
Le gain sur la mortalité est spectaculaire : de 1911 à 1996 l’espérance de vie est passée de 50 à 80 ans pour les Françaises et de 46 à 73 ans pour les Français. Aucune autre période de l’histoire n’avait connu un phénomène d’une pareille ampleur. Le décalage homme-femme a augmenté pour diverses causes dont l’une est souvent méconnue : les examens médicaux de maternité (au dix-neuvième siècle le pourcentage de décès de la mère lors des accouchements était couramment de plusieurs pour-cent dans les meilleurs hôpitaux du monde...).
Je ne m’étendrai pas sur la différence entre la " descendance moyenne finale " et l’indice de fécondité du moment (ou indice conjoncturel de fécondité, ou indice synthétique de fécondité ou " nombre moyen d’enfants par femme ") vous connaissez cette différence aussi bien que moi. Quand la natalité baisse le premier indice est supérieur au second et c’est l’inverse quand la natalité monte... Ces deux indices sont très utiles aux démographes à condition bien sûr de les utiliser scientifiquement. C’est pourquoi je déplore leur récente utilisation dans la controverse a-scientifique menée par un très médiatique " démographe ", le principal effet de cette intoxication a été de fournir au gouvernement des excuses pour ne rien faire...
Contrairement à ce qui se passe chez les trois quarts de nos voisins où le nombre moyen d ‘enfants par femme baisse continuellement (1,3 aujourd’hui en Italie et en Espagne), il est récemment passé en France par des hauts et des bas. Le dernier bas était de 1,65 en 1994 (à comparer avec 3 en 1947), mais depuis l’indice remonte, il atteint 1,91 en 2001.
On peut préférer utiliser l’indice de reproduction (nombre de filles mises au monde par cent femmes). On distingue l’indice brut et l’indice net, ce dernier tenant compte de la mortalité des fillettes, des jeunes filles et des jeunes femmes ; leur différence est devenue aujourd’hui très faible. Ces deux indices passent sous la barre des 100% en 1975 et depuis quinze ans oscillent entre 80 et 90%.
A cet instant Philippe Bourcier de Carbon intervient et pose une question : Ne croyez vous pas que ces récents évènements confirment la thèse de l’importance du niveau de vie relatif des jeunes par rapport à celui des quarante-soixante ans dans la détermination du taux de natalité ? On voit en effet que le chômage des jeunes a beaucoup baissé ces dernières années et que les jeunes ont pu même obtenir des taux d’intérêt de zéro pour cent. Il est vrai qu’il faut aussi tenir compte d’une immigration, régulière ou clandestine, de l’ordre de 160 000 par an et que les clandestins ont un grand intérêt à mettre un enfant au monde le plus vite possible sur le territoire français : cela les rend inexpulsables.
Réponse : Il y a bien sûr du vrai dans ce que vous dites, cependant je crois quand même qu’il y a une part importante d’irrationnel dans la décision d’avoir un enfant, de toute façon nous allons voir ce que donne la récente remontée du chômage.
Un autre aspect de la situation actuelle est que l’âge moyen des mères à la naissance a beaucoup augmenté : il y désormais plus de naissances après quarante ans qu’avant vingt ans, ce qui ne s’était jamais vu et de très loin. Cela va avec la crise du mariage : en 1972 il y eut 416 000 mariages avec les âges moyens suivants : 22,5 ans pour la jeune mariée et 24,5 pour son mari ; en 1998 seulement 285 000 mariages avec les âges moyens 27,7 et 29,8 ans... ajoutons de plus qu’il y a maintenant un divorce pour trois mariages.
Les naissances hors mariage ont bondi de 5% au début des années 70 à 40% aujourd’hui, il est vrai que certains avantages fiscaux les favorisaient, du moins jusqu’en 1997. Pour terminer ces questions sur une note optimiste je dirai tout de même qu’une grande proportion de ces enfants voient leurs parents se marier et que l’an 2000 a vu, semble t-il, un petit rajeunissement de l’âge moyen des mères lors des naissances, même si bien sûr de nombreuses femmes continuent de vouloir assurer leur carrière avant de procréer... et assiègent les gynécologues à partir de l’âge de 35 ans car on ne joue pas impunément avec la nature.
Les problèmes de la France et du vieillissement de sa population se retrouvent à une échelle encore plus sévère dans les trois quarts des pays d’Europe...
L’étude des futurs possibles doit tenir compte des trois éléments suivants : les projections de la mortalité sont dans l’ensemble très correctes ; celles de la natalité sont moyennes ou même médiocres, elles sont d’ailleurs fonction des politiques démographiques et familiales choisies ; celles des migrations sont franchement mauvaises et sujettes à tous les aléas politiques ainsi qu’à un certain nombre de tabous qui, par exemple en France, interdisent d’analyser les différences d’origine.
Malgré ces difficultés on peut, sauf catastrophe imprévisible, cerner la montée du vieillissement. L’effectif 60-75 ans va en gros passer chez nous de 8 à 11millions d’ici 2050 et celui des plus de 75 ans de 4 à 10 millions. Le seul effet du vieillissement provoque une augmentation annuelle 0,9% des charges de la sécurité sociale car tout un chacun dépense deux fois plus pour sa santé à soixante ans qu’à quarante et encore deux fois plus à quatre-vingt.
Le problème des retraites va immanquablement se poser avec acuité. Comme il est politiquement impensable de reculer d’autorité l’âge de la retraite, il me semble que la seule solution viable sera la retraite " à la carte " en laissant chacun libre de décider de l’âge son départ, par exemple dans la plage 60-65 ans, avec bien évidemment des taux progressifs en fonction de cet âge. Ce qui d’ailleurs n’est que justice. En tout cas les préretraites actuelles sont une catastrophe à la fois sociale et économique.
Quant à compenser le vieillissement par de l’immigration c’est à la fois inefficace et immoral, inefficace s’il s’agit d’immigration non qualifiée, immoral si l’on ne retient que les plus qualifiés car ils vont manquer à leur pays d’origines lesquels en ont bien davantage besoin que nous.
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Questions
Que pensez-vous de la différence entre les Etats-Unis (2,1 enfants par femme) et le Canada (1,4). Est-ce un effet des vagues d’immigration ?
Réponse de Philippe Bourcier de Carbon : Les statistiques américaines sont beaucoup plus riches et variées que les nôtres et l’on peut connaître effectivement l’effet de l’immigration. On observe ainsi que les Américaines classées WASP (white anglo-saxon protestant) ont 1,8 enfant par femme seulement.
Jacques Dupâquier : vous voyez donc qu’il y a quand même une certaine différence. Les Etats-Unis sont plus dynamiques et les effets culturels ont leur importance, c’est ainsi que l’effondrement de la natalité canadienne, et en particulier québécoise, coïncide avec la déchristianisation des années soixante et soixante-dix.
La discussion se termine par des considérations sur l’étroitesse de l’horizon temporel des hommes politiques : à peine plus loin que la prochaine élection ; et sur l’annonce d’une prochaine journée consacrée à l’Afrique Noire à la fondation Singer-Polignac.
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