X- Démographie-Economie-Population

Conférence du Mardi 19 Janvier 1999

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Activité, emploi et politique familiale.

Par Gérard-François Dumont, disciple d’Alfred Sauvy, ancien recteur de l’Académie de Nice, professeur à l’Université de Paris-Sorbonne et auteur de nombreux livres et études (Les migrations internationales, L’aménagement du territoire, Le festin de Kronos, etc. ), publications dont certaines ont été traduites dans la plupart des langues d’Europe et même dans plusieurs langues d’Extrême Orient.

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Monsieur Dumont commence son exposé par quelques anecdotes sur ses travaux et ses livres avec le grand démographe Alfred Sauvy dont l’une des qualités principale était la lucidité : " Il faut voir les faits en face " aimait-il à répéter. Ainsi le passage des 40 aux 39 heures fût par lui prévu comme n’améliorant pas l’emploi, tout au contraire il anticipa une détérioration de la sécurité consécutive à la baisse des effectifs de la police au travail, ce qui ne manqua effectivement pas de se produire. Il est malheureusement probable que le passage aux 35 heures va avoir les mêmes effets.

Autre fait qu’il faut regarder en face : même si démographiquement l’année 1998 apporte un léger mieux, 15000 naissances de plus qu’en 97, il manque néanmoins dans notre pays depuis 25 ans de 100 000 à 120 000 naissances chaque année rien que pour assurer le simple remplacement des générations.

L’exposé s’articule en trois parties :

1) La toile de fond de l’emploi.

2) La politique familiale " en  miroir brisé " pousse au chômage.

3) Quelle politique familiale pour l’avenir de l’emploi?

La toile de fond de l’emploi.

La remarque essentielle que l’on doit faire est que la manière française de calculer le chômage conduit à des appréciations déformées.

Tout d’abord l’importance du " traitement social ". Il concerne au moins 1,5 million de personnes directement et l’on voit IBM mettre de nombreux cadres en " préretraite " à 53 ans tandis que les " emplois-jeunes " sont financés à au moins 80% par l’impôt. Ce traitement conduit à minimiser le chômage réel : on l’imagine vers 12 ou 13% alors qu’il tourne autour de 17 à 18%.

Il y a aussi ceci dont on tient rarement compte dans les comparaisons internationales : l’importance tout à fait particulière d’un secteur avec garantie de l’emploi . Non seulement les fonctionnaires français ne sont pas personnellement menacés par le chômage, mais en plus ils sont proportionnellement nettement plus nombreux que dans la plupart des autres nations industrielles. En conséquence le taux réel de chômage, hors secteur protégé, dépasse les 20%... C’est l’une de ces réalités désagréables qu’il faut avoir le courage de voir en face.

Comment en sommes nous arrivés là ?

On peut distinguer plusieurs causes, que j’appellerai des " erreurs nationales ".

A) Dans l’enseignement il y a ce consensus idiot qui veut que la hiérarchie soit : 1°) l’enseignement général, 2°) l’ enseignement technique et 3°) l’enseignement professionnel. C’est stupide car en réalité c’est souvent dans l’ordre inverse que l’on trouve le plus facilement des emplois ; avec une exception toutefois en ce qui concerne les filles issues de l’immigration lesquelles sont trop souvent gênées par des insuffisances de mobilité géographiques.

B) De même il y a, ou tout au moins il y a eu longtemps, l’illusion que c’était les grandes entreprises qui créaient de l’emploi. Ce consensus faisait dire vers 1960 : En 1990 il n’y aura plus que trois banques en France (en fait 350). Il en résulte qu’il y a peu de moyennes entreprises et tous les " seuils sociaux " s’y opposent : telle ou telle obligation administrative ou syndicale si vous dépassez 10 ou 50 salariés...

C) Le " taux d’activité ", c’est à dire le pourcentage du nombre d’actifs dans la population totale, est une variable économique essentielle pratiquement ignorée par les décideurs français (elle éviterait de pousser aux préretraites...). Il en résulte que ce taux est très faible en France : presque 10% de moins qu’aux Etats-Unis !

D) Il faut enfin citer le malthusianisme foncier et quasi-inconscient de la plupart de nos hommes politiques, malthusianisme qui leur fait toujours choisir les solutions restrictives : les trente cinq heures uniformes, les emplois-jeunes quasi-exclusivement dans le secteur public, les législations-seuils etc.

La politique familiale en " miroir brisé "

Le miroir est brisé : les Français croient avoir encore une politique familiale alors qu’elle a été saccagée petit à petit.

Comparons le pouvoir d’achat du SMIC à celui des prestations familiales, ces dernières ont vu leur valeur relative être divisée par trois en trente ans !

Parant toujours au plus pressé, sans prendre le recul nécessaire aux vues à long terme, les hommes politiques de tout bords ont pratiqué un véritable pillage des caisses d’allocations familiales accaparant la trésorerie puis les excédents, les affectant ailleurs, imposant des charges indues, supprimant des prestations ou les plaçant " sous condition de ressources ".

On assiste par ailleurs à la montée d’une législation fiscale anti-familiale. Ainsi la contribution sociale généralisée ignore le quotient familial au mépris de l’égalité républicaine qui doit s ’appliquer aussi aux enfants, et l’on voit des familles situés en dessous de la limite d ’exonération fiscale devoir quand même payer la CSG laquelle commence à peser lourdement.

Le sur-coût des déménagements en France et les coûts hypothécaires élevés sont évidemment très défavorables aux familles, en particulier aux familles nombreuses.

Pensons enfin à une ambiance culturelle désastreuse illustrée par le malthusianisme de certains imprécateurs ou par le Minitel rose accessible sans abonnement.

Le résultat de cette évolution : 3 millions de moins de vingt cinq ans manquent à l’appel avec de lourdes conséquences économiques : pensez aux excédents agricoles ! Mais il y a aussi bien d’autres conséquences comme la destruction des solidarités familiales ce qui entraîne un alourdissement de la politique sociale avec une efficacité beaucoup moindre car cette dernière est curative et non préventive. Pensons aussi au vieillissement des campagnes, aux écoles fermées ou sous-utilisées avec des frais et des temps de transport importants.

Un exemple caractéristique : Saint-Gobain avoue ne plus faire d’investissements de capacité désormais inutiles et se concentre désormais sur les investissements de productivité. On remarquera au passage que les investissements de capacité sont créateurs d’emplois tandis que les investissement de productivité en sont destructeurs.

Le vieillissement a aussi un effet sur les mentalités, les mesures malthusiennes ne sont même plus combattues.

La politique familiale pour l’avenir de l’emploi.

La politique familiale peut être très créatrice d’emploi comme l’a montré l’exemple de l’allocation de garde d’enfant à domicile (AGED) aujourd’hui mutilée pour financer les emplois-jeunes publics beaucoup moins efficaces.

Il est tout à fait possible de considérer fiscalement chaque famille comme une entreprise en particulier en ce qui concerne les emplois dit " de proximité ".

Une politique familiale du logement devrait conduire à la construction de 200 000 à 300 000 logements par an, avec les emplois correspondants. Ceci est d’autant plus nécessaire que nous sommes en période de déflation, défavorable aux jeunes, et que le simple renouvellement du parc de logements n’est actuellement pas assuré. Au lieu de cela la " pierre " est défavorisée fiscalement tandis que 1500 milliards sont placés dans l’assurance-vie.

Bien entendu un rééquilibrage démographique entraînerait un retour des investissements de capacité créateurs d’emplois et une diminution des coûts sociaux grâce à une reprise des solidarités familiales.

Notons la différence d’affectation entre les salaires et les allocations familiales : ces dernières sont plus favorables à l’emploi et à notre commerce extérieur car elles correspondent à davantage de dépenses internes.

Bien entendu satisfaire les souhaits des Français, lesquels ont moins d’enfants qu’ils n’en souhaitent, aurait aussi l’avantage de pousser à l’activité : motivation pour la formation professionnelle, recherche active d’un emploi plus rémunérateur et d’un logement plus grand, etc.

Toutes ces évidences ne sont même pas contestées, elles sont simplement ignorées car par trop contraires à la pensée unique et je terminerais sur une dernière image de l’actuel paysage intellectuel déplorable de notre pays : quand Michel Roccard était commissaire au plan mon maître Alfred Sauvy lui a proposé de faire un recensement des besoins, et donc des emplois correspondants, afin de définir les bassins d’emplois. Cette enquête, jugée inutile a été refusée.

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Les auditeurs se pressent pour faire des remarques et poser des questions.

Philippe Bonnamy : "La création d’entreprise est essentielle; mais aucune école n’a de prix, fut-il simplement honorifique, pour récompenser les créateurs d’entreprise. Ne faudrait- il pas en créer ? " L’orateur répond qu’à tout le moins sup-élec a un cours sur la création d’entreprise.

H. de Lesquen : " Il ne faut pas confondre natalisme et politique familiale, la différence majeure est dans les arguments moraux. D’autre part il conviendrait de prendre garde avant d’étendre la fiscalité des entreprises aux familles, cela peut avoir des effets défavorables. Enfin je ferai une différence entre malthusianisme et restrictionisme, les moyens préconisés par Malthus n’ont rien à voir avec les moyens modernes ".

Réponse : " Malthus ne propose pas les mêmes moyens mais il prône les mêmes fins pour la même raison : la peur de manquer, le manque de confiance dans les capacités humaines ".

Hubert Lévy-Lambert et Jules Leveugle discutent de divers effets secondaires négatifs : " attention aux mesures sectorielles, les indemnités à verser aux quinquagénaires licenciés font que personne ne veut les embaucher ".

Discussion sur les enquêtes portant sur le nombre d’enfants désirés et sur les variations de ce nombre, J. Leveugle souligne sur cette question l’importance du revenu relatif des jeunes par rapport à leurs anciens. D’autre part il y a aujourd’hui dix fois moins d’enfants non désirés qu’il y a trente ans ainsi qu’en témoigne le nombre des enfants adoptables.

Emmanuel Ransford demande de prendre garde au coût des diverses mesures possibles (coût économique, coût politique etc.) et rappelle que des propositions fussent-elles les plus sensées ne sont acceptées que si aucun de ces différents coûts n’est trop élevé. Il préconise un classement des mesures possibles en fonction de ce critère.

Pour finir Monsieur G.F.Dumont reprend la parole pour donner quelques exemples de l’effet des mesures prises, ainsi la suppression des primes de mariage en Autriche provoque une flambée du nombre des mariages avant la date limite. Plus sérieusement la comparaison du septennat de Giscard avec le premier septennat de Miterrand montre une évolution similaire : une première période (avec à la condition féminine Madame Simone Veil pour le premier et Madame Yvette Roudy pour le second) est défavorable avec de nombreuses mesures négatives et une baisse de la natalité, puis à mi-mandat on change de politique (avec respectivement Madame Monique Pelletier et Madame Georgina Dufoix, laquelle créera l’allocation parentale d’éducation) et peu après, dans les deux cas, la natalité se redresse...

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