Groupe X-Démographie-Economie-Population

 

Exposé du mardi 8 novembre 2011

 

 

par le Général Vincent Desportes

auteur de nombreux ouvrages sur les récents conflits.

 

           

Démographie et affrontement, le visage changeant de la guerre

      

Les conflits en cours nous montrent toute la difficulté de la force à produire de l’efficacité politique. Il faut donc redonner son utilité à la force

Car la compréhension des mutations de la conflictualité est une obligation, tant pour les hauts responsables civils que pour hauts les responsables militaires.

C’est indispensable :

  1. pour que les projets d’intervention du pouvoir politique soient adaptés aux nouveaux contextes
  2. pour que les armées soient capables de réaliser leurs missions, c’est-à-dire pour qu’elles évoluent, matériellement et mentalement, au même rythme que la conflictualité, pour qu’elles évoluent il y a un devoir de compréhension de l’évolution des formes de guerre.

I - L’évolution du cadre général des opérations


Comme les exemples de l’Irak, l’Afghanistan, de la Libye ou de la Côte d’Ivoire le démontrent de manière éclatante,
nous devons être en mesure de faire face à une guerre profondément transformée.

Nous avons préparé depuis presque deux siècles une guerre totale mais ponctuelle ; nous menons dès aujourd’hui, et nous allons mener, de plus en plus, des guerres limitées mais permanentes.

 

Nous allons nous engager dans des guerres réelles aux enjeux limités au regard des guerres du 20e siècle, dans lesquelles nous engagerons à chaque fois des moyens limités, et dans lesquelles nous devrons accepter la perspective de succès limités, même si la possibilité de montée aux extrêmes reste présente.

Adapter en permanence les paramètres de cette équation politico-militaire nécessite une profonde rénovation de notre façon de concevoir la guerre.

La question est de savoir comment allons nous nous adapter au 4 « D » qui marque l’évolution des opérations, Durée, Durcissement, Diversification, Dispersion ?

La durée d’abord.

 

Elle s’exprime suivant plusieurs modalités.

D’abord, les opérations que nous conduisons sont toujours des opérations longues.

Ensuite, ces opérations ne produisent leurs effets que dans la durée.

Notre détermination est donc mise à l’épreuve de façon permanente.

·         Cette détermination s’exprime bien sûr en termes d’efforts financiers à consentir.

·          Il faudra entretenir le soutien constant de l’opinion publique qui est, nous le savons, la force et la faiblesse des démocraties.

 

Le durcissement des crises.

Ce durcissement se produit sous l’effet conjugué de plusieurs facteurs :

·         la dissémination des armes conventionnelles sophistiquées et puissantes, couplée à la disponibilité sur les marchés civils de nombreuses technologies duales,

·         la détermination croissante de nombre de nos adversaires potentiels.

Ce durcissement ne fait d’ailleurs que manifester le retour de la dialectique de la guerre : après une décennie d’opérations sans véritable incertitude quant à leur issue, nous retrouvons des situations dans lesquelles « chaque adversaire fait la loi de l’autre », selon l’expression de Clausewitz

 

La diversité des opérations ensuite.

Cette diversité est aussi celle de nos adversaires : ils vont des organisations militaires étatiques aux bandes armées à la grande mobilité et aux actes fortement médiatisés ;

Ils utilisent aussi bien la menace des armes de destruction massive que les engins explosifs improvisés, et conjuguent souvent ces moyens d’une extrême variété dans des temps et des lieux très resserrés.

C’est pourquoi la capacité à faire face à nos adversaires demandera avant tout une extrême réactivité, au niveau stratégique comme au niveau tactique.

 

Enfin, la dispersion des zones de crise.

Cette dispersion, s’annonce comme un défi particulièrement ardu.

Elle est synonyme d’élongation logistique, de duplication des chaînes de commandement et de soutien, de multiplication des cadres juridiques, de répartition toujours difficile des efforts entre les différents théâtres sur lesquels nous intervenons.

Au niveau de chaque théâtre, elle implique un équilibre difficile à trouver entre la dilution des forces pour contrôler des zones étendues et leur concentration sur des points clés.

A la question de notre adaptation au « 4D » de nos opérations – durée, durcissement, diversité, dispersion – , il n’y a pas de réponse évidente, mais il y a une certitude qui constitue la condition sine qua non d’une adaptation réussie.

Ú Pour répondre aux enjeux des opérations militaires d’aujourd’hui, nous avons besoin d’une approche élargie, qui intègre la totalité des dimensions d’une action militaire.

 

Cela se traduit par trois exigences.

 

 

Première exigence: nous devons pouvoir agir sur tout le spectre des opérations.

Ce point est important, car il va contre une illusion, celle du choix de nos engagements et donc de leur prévisibilité.

Selon cette illusion, il y aurait des opérations de différents types, étroitement cloisonnées entre elles et substantiellement différentes, entre lesquelles nous pourrions choisir.

·         En réalité, nous ne choisissons pas : nous agissons le plus souvent par nécessité et en réaction ;

·         En réalité, quelles que soient les opérations dans lesquelles nous nous engageons, le déploiement d’une force militaire implique toujours d’envisager l’épreuve de force avec les autres acteurs armés ou civils au service d’un objectif politique.

 

Deuxième exigence: être très attentifs aux leçons du terrain.

Ceci signifie qu’il est indispensable de garantir la continuité entre l’emploi des forces et la préparation des capacités.

·         Trop longtemps, nous avons cru que la technologie était supposée rendre invincible sur n’importe quel champ de bataille, en face de n’importe quel adversaire.

Cette illusion méconnaît la première loi de la guerre, celle du contournement, et la nature du processus de constitution des capacités militaires.

Non seulement les orientations politiques sont vouées à s’adapter plus vite qu’à l’époque de la guerre froide, mais surtout la menace adverse est à la fois plus diverse et plus évolutive.

Nous devons pouvoir comprendre l’évolution de nos adversaires, faire basculer très vite les efforts, en fonction des enseignements de nos engagements opérationnels les plus récents.

II – Les impacts directs sur les armées

21 – Des engagements ou l’effet politique se produit au sol

La puissance ne s’exprime plus aujourd’hui dans les mêmes termes qu’auparavant.

Au paradigme de la guerre classique, affrontement d’armées régulières « continuant par d’autres moyens la politique des Etats », s’est substitué pour partie celui d’affrontements entre acteurs dé-étatisés.

La guerre a changé de visage. Les guerres dans la durée et au milieu des populations sont désormais notre horizon visible, comme aujourd’hui en Irak et en Afghanistan.

La guerre conventionnelle, institutionnelle et symétrique est toujours possible, mais elle est improbable à court et moyen terme, pour de nombreuses raisons.

Devant ce constat de rupture, de passage d’une ère dominée par l’omniscience de la menace conventionnelle à une autre caractérisée par la généralisation des guerres au milieu des populations, la question se pose de savoir si notre modèle de force correspond au besoin.

Les modèles actuels sont le fruit d’un héritage, le produit d’une conception aujourd’hui partiellement erronée de l’emploi de la force.

·         En effet, nous sommes restés, dans une approche quantitative des rapports de puissance tendant à privilégier l’acte de destruction et à ignorer les dimensions immatérielles.

·         Sous l’impulsion américaine, l’apport de la technologie a laissé penser qu’il était possible et même souhaitable de substituer des effectifs au contact par des équipements d’acquisition et de frappe.

·         C’est le raisonnement qui a prévalu en Irak et en Afghanistan pendant la phase d’intervention, donnant la primauté aux capacités de frappe dans la profondeur.

Ce mode d’action est opérant face à un adversaire régulier qui joue le jeu suicidaire d’affronter notre puissance en terrain ouvert.

Il est inopérant face à un adversaire qui choisit d’évoluer dans les zones où notre puissance technologique ne peut donner sa pleine mesure, clandestin au milieu de la population, en zone urbaine et en terrain difficile. 

Ú La rentabilité des systèmes de force optimisés pour la destruction diminue alors sensiblement en même temps que le nombre des cibles lucratives.

Nous assistons là à une inversion dans le processus de construction de l’efficacité militaire. « L’affrontement des volontés » prend le pas sur « le tribunal de la force ».

·         Ainsi, dans les guerres au milieu des populations, l’action de proximité redevient incontournable pour neutraliser les adversaires, protéger les populations et contrôler le terrain en permanence et dans la durée.

C’est la réalité sur tous nos théâtres d’opération.

Désormais, la puissance ne s’exprime plus exclusivement par les capacités technologiques de frappes dans la profondeur mais par notre crédibilité à l’engagement au combat sur le terrain.

Le constat est connu, mais il mérite d’être réaffirmé avec force : c’est celui de la fin d’un modèle unique fondé sur la primauté exclusive de la puissance de feu en vue de destruction de l’armée adverse.

Nous devons également envisager d’une manière nouvelle notre rapport à la technologie

La technologie en elle-même n’a que rarement décidé de l’issue d’une  confrontation parce qu’elle n’est qu’une des dimensions de l’efficacité stratégique ;

·         Mais surtout, la guerre est d’abord un phénomène social ; l’issue d’une confrontation dépend d’abord des éléments d’environnement – politique, économique, culturel, géostratégique – de chacun des adversaires.

·         Les déséquilibres technologiques sont d’autant moins les facteurs essentiels des échecs ou des succès stratégiques que des choix politiques, stratégiques ou tactiques judicieux permettent le plus souvent de compenser les infériorités techniques.

·         D’ailleurs, dans la guerre probable – donc au sein des populations – notre meilleure technologie est souvent mise en défaut simplement parce qu’elle ne trouve pas à s’appliquer ; l’adversaire, connaissant nos avantages, les contourne et les rend vain.

Ú L'avenir n'est pas la technologie ; l'avenir, c'est l'esprit. La technologie n'en est que le moyen.

 

¢ La supériorité technologique n’est pas une finalité en soi. Elle ne peut suffire, par elle-même, à solder le problème de la guerre.

L’armement doit en effet être pensé en fonction de ses effets militaires, mais pas seulement.

·         Le plus important est sa capacité à participer utilement à la réalisation de l’effet politique recherché.

Ú L’essentiel est redevenu la substance politique de l’armement.

 

III - Un adversaire différent de nous

 

A ce stade de mon intervention, il me paraît indispensable d’évoquer le problème de notre adversaire

La rationalité occidentale nous conduit à « organiser » l’adversaire comme nous le sommes nous mêmes, même s’il n’est plus étatique, donc à le percevoir comme un système et à l’attaquer comme tel.

·         Or, l’intelligence de l’adversaire – ou sa nature – l’a conduit à s’organiser autrement, à adopter des structures réticulaires qui survivent sans grandes difficultés aux coups que l’on cherche à porter à ses centres vitaux qui n’existent pas.

L’autre particularité de l’adversaire est qu’il est rarement unique.

·         Hors l’espace court de la phase initiale de l’intervention au cours de laquelle l’ennemi peut être attaqué comme une entité unique, l’adversaire se constitue très vite de multiples entités indépendantes poursuivant des objectifs différents et rarement elles-mêmes organisées en système.

·         C’est donc une gerbe de plusieurs non-systèmes très vaguement corrélés sur lequel il s’agit le plus souvent d’agir, ce qui exclut d’emblée les solutions simplistes et centralisées.

L’une des grandes difficultés de nos guerres probables est qu’elles ne seront des conflits limités que pour nous mêmes ;

·         La valeur des fins politiques en jeu sera sûrement limitée pour nous – et nous adopterons donc une approche « limitée » - alors qu'elle aura le plus souvent une valeur absolue pour l'Autre.

·         L’ampleur des enjeux qui le motivent - religion instrumentalisée ou simple survie dans la guerre des dépossédés – le conduiront à adopter naturellement ce que nous appelons une logique de guerre totale, c’est-à-dire marquée par la radicalité, l’absence de limite entre ce qui est la guerre et ce qui ne l’est pas, absence de limite dans les buts parce qu’ils s’expriment en termes absolus, absence de limite dans les moyens et, in fine, dans le temps.

Contre cet adversaire, notre puissance de feu est vaine, en elle-même, sur la durée.

·         Sa résistance aux pertes est bien supérieure à celle des pays intervenants.

Notre deuxième problème, c’est que, au-delà de son adaptation préalable à l’intervention, l’adversaire s’adapte de plus en plus vite au cours même de cette intervention.

·         Ce qui compte donc, c’est notre souplesse, notre capacité d’adaptation et de réaction à l’évolution des circonstances.

 

IV – Quelle vision globale peut-on avoir ?

Ma perception, c’est que les guerres probables demanderont des réponses politico-militaires intégrées : il n’y a plus, en effet, de solutions militaires simples et décisives aux problèmes du monde.

·         Le succès y est conditionné par l’adoption d’une manœuvre globale.

La force interviendra, par construction, dans les conditions les plus difficiles puisqu’elle ne le fera que lorsque tout le reste aura échoué

·         Dans ces situations toujours difficiles, l’intervention militaire devra être conçue sous l’impérieuse nécessité de la convergence des actions des différents intervenants : interministériels, non gouvernementaux, privés,

·         L’application du principe simple d’unité de but et, si possible, de gestion d’ensemble devient une condition essentielle du succès.

Puisque l’effet recherché est finalement un effet politique, la primauté de la démarche politique sur la démarche purement militaire doit y être la règle.

·         Dans la guerre probable, la violence irrégulière peut être contenue par des outils militaires, mais elle ne peut être défaite que par des moyens politiques

La réalité de la guerre probable nous a progressivement fait revenir à une meilleure perception du vrai rôle de la guerre qui est d’abord un rôle de communication : communication vers un pouvoir adverse, vers une population que l’on veut contrôler, parfois – pour des raisons de politique intérieure - vers sa propre opinion publique etc

·         On peut dire, en quelque sorte, que le passage du paradigme de la guerre industrielle à celui de la guerre au sein des populations à conduit à une inversion fondamentale des rôles : hier on communiquait « sur » la guerre, désormais on communique « par » la guerre.

·         toute opération majeure est désormais d’abord une opération de communication.

ÚLa guerre probable, ce n’est plus vaincre, c’est beaucoup moins contraindre, c’est convaincre. Cela aussi nous oblige à penser autrement.

Je voudrais insister sur cinq idées

 

31 - Première idée : le nouveau continuum des opérations

Puisque la guerre classique est morte, les simples notions de guerre et de paix ne sont plus suffisantes pour décrire les conflits actuels

Les « guerres probables » peuvent se décrire comme la succession dans le temps de trois phases qui s’inscrivent dans un continuum : l’intervention, la stabilisation et la normalisation.

Ces phases n’ont pas de limite précise, elles se recouvrent partiellement et présentent des caractéristiques assez distinctes.

 

L’intervention est une phase indispensable.

Elle vise à imposer un ordre temporaire, si nécessaire, en employant la force.

il s’agit de préparer au mieux les conditions POLITIQUES de la phase suivante.

 

La stabilisation devient la phase cruciale

Elle a pour objectif de consolider l’ordre temporaire acquis en diminuant puis en contenant la violence au niveau le plus bas possible. Les forces armées agissent en coordination avec des acteurs non militaires dont l’importance va croissante.

Il s’agit, d’une manière générale, de restaurer la stabilité par une maîtrise de la zone et de permettre le retour à la confiance entre les protagonistes.

Cette phase est dorénavant essentielle. Elle permet d’établir les conditions pour la réalisation de l’objectif stratégique.

 

La normalisation est la phase du retour à la paix

Grâce à la stabilité relative obtenue, un système politique, juridique et social peut être rebâti.

Le retrait progressif de la force armée au profit des autorités légitimes, des forces de sécurité locales et des acteurs non militaires marque la réussite définitive de l’opération militaire.

Le challenge s’avère donc, à l’analyse, d’une extrême complexité.

D’un côté, il lui faut maintenir une capacité forte pour pouvoir s’imposer dans une guerre de type conventionnel de plus en plus courte (l’intervention), et de l’autre s’inscrire au quotidien et sur le temps long dans des actions qualifiées, à tort, de « basse intensité ».

Dans ces conflits, le rôle et la place de l’action militaire subit une véritable mutation.

·         L’action militaire ne devient plus qu’une ligne – d’opération - parmi les autres,

·         L’objectif du soldat est bien d’appuyer la reconstruction sécuritaire, économique et politique du pays.

Même s’il a vocation à rendre, aussi rapidement que possible, ces rôles à des personnes bien plus compétentes que lui, il y a néanmoins une période longue pendant laquelle il lui faut bien les assurer.

Ce qu’il faut constater, c’est une évolution profonde dans les proportions.

·         Hier les phases de coercition constituaient l’essentiel des interventions parce qu’il s’agissait de contraindre un Etat et de détruire pour ce faire ses capacités militaires ; les moyens de destruction constituaient donc l’argument majeur de l’efficacité militaire et politique.

·         Aujourd’hui, il s’agira le plus souvent et le plus longuement d’agir non pas contre un adversaire de ce type, mais au contraire d’agir pour restaurer l’Etat et au profit d’une population.

 

Ainsi, nous sommes passés de la prépondérance des conflits symétriques à celle des conflits asymétriques, où il s’agit de construire « une paix durable », c’est-à-dire « qui se soutient d’elle-même »

 

32 - Deuxième idée : Sur les théâtres extérieurs, la phase décisive pour le succès de l’action politique s’est déplacée dans le temps 

Cette phase décisive n’est plus la phase initiale courte d’intervention, mais très clairement la phase de consolidation longue qui la suit.

C’est la phase de stabilisation - de progrès vers la normalisation par une présence au sol, au contact, dans la durée – qui, par l’usage approprié de la force, sera véritablement décisive.

Ainsi, les armées n’ont plus à être conçues seulement pour affronter leurs équivalentes, mais pour être en mesure de rétablir la paix civile, donc autant dans une logique de reconstruction que de destruction.

Cela oblige : dans son action, dans ses manières de guerre, le chef militaire doit constamment garder à l’esprit la perspective de la phase de « normalisation »

Encore plus qu’hier, la tactique et la technique doivent être subordonnés à la stratégie et à la politique

 

33 - Troisième idée : le lieu de la guerre a changé.

·         Hier, elle se conduisait en trois dimensions, dans des espaces ouverts, au milieu des armées.

·         Désormais, elle se conduit au contact, dans des espaces fermés, au milieu des populations

 

331 - Le lieu de la guerre a changé : la population s’impose en acteur et en enjeu majeurs 

Il n’est pas un conflit où la population civile ne se retrouve au cœur des préoccupations militaires des parties en présence.

Les forces militaires sont entrées dans l’ère de la guerre au sein des populations.

Pour être efficace, l’emploi des forces doit veiller à correspondre à un effet politique qui ne peut être dissocié de celui qu’en attendent les populations.

Cette exigence essentielle, impossible à éluder sous peine d’échec, impose de fortes contraintes dans l’emploi des forces et les objectifs à atteindre.

 

332- Le lieu de la guerre a changé : le milieu humain est, plus que jamais, essentiel

C’est dans le milieu humain que se nouent et se dénouent les crises.

C’est physiquement, au contact des protagonistes, par une présence durable, que l’action engagée porte ses fruits.

Le contrôle de l’environnement forme donc le cœur et l’essence de la phase de stabilisation d’un conflit.

 

333 - Le lieu de la guerre a changé : au cœur du milieu urbain, la ville est devenue la zone emblématique des affrontements

On peut dire que la ville s’impose comme l’espace emblématique à la fois de la complexification du métier militaire et de sa dualité : la ville exige de repenser les conditions de l’efficacité des armées

 

34 - Quatrième idée : elle est  essentielle

Finalement, essentiellement, le fait fondamental que 19 années de post guerre-froide font émerger, c’est que nous assistons à une mutation définitive dans la finalité de l’action militaire

Auparavant, le succès militaire conduisait directement à l’objectif stratégique.

C’est fini

Désormais, le succès militaire conduit simplement à l’établissement des conditions qui, elles, permettront le succès stratégique

Il s’agit d’établir au sein des populations, les conditions qui permettront l’établissement de la paix et la reconstruction du contrat social

 

V -  Conclusion

 

Je voudrais d’abord redire que les formes de guerre ont fondamentalement changé et, avec elles, le rôle et la forme utile de l’appareil militaire

Je voudrais dire ensuite que nous allons vers un monde très différent du monde que nous avions rêvé, un monde forcément belliqueux parce que l’histoire du monde prouve largement que lorsque les ressources vont diminuant et que le nombre de ceux qui les désirent augmentent, il est rare que le verdict de la guerre ne soit pas le juge final des grandes répartitions.

C’est d’autant plus vrai qu’il n’y a plus d’organisation supranationale du monde.

Les institutions issues du 2ème conflit mondial voient en chaque occasion leur efficacité diminuer, en particulier parce que la puissance militaire a perdu une grande partie de son efficacité, comme le prouve hélas les nombreux conflits dans lesquels nous sommes engagés.

La puissance relative du grand gendarme mondial, les Etats-Unis, diminue également tous les jours.

Comme les valeurs ne valent que par la puissance qui les portent, nos valeurs occidentales se trouvent dévalorisées et notre capacité d’influence fortement diminuée.

Dérégulation du monde, montée en puissance de nouveaux acteurs aux appétits puissants, prolifération nucléaire que l’on ne pourra contenir … autant d’évolutions qui devraient pousser les Etats responsables – redevenus des acteurs majeurs du monde d’aujourd’hui – à ne pas trop vite se départir – comme nous le faisons – des outils de défense qui pourraient hélas jouer à nouveau demain un rôle essentiel pour la survie des nations et de leurs populations.

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Questions

 

            Quelle est votre appréciation sur la guerre de Libye contre Kadhafi ?

            Remarquons d’abord que les hommes politiques occidentaux qui se sont lancé dans cette opération ont pris leurs désirs pour des réalités : la guerre n’a pas duré quelques semaines, mais huit mois de mars à octobre 2011. Certes je les approuve d’avoir pris de sérieuses protections nécessaires, une résolution approbatrice de l’ONU, la décision de n’envoyer aucune force au sol ce qui limitait la casse et mettait les insurgés devant leurs responsabilités et enfin la recherche de l’appui de leurs oppositions nationales respectives ce qui interdisait à Kadhafi de jouer sur les divisions occidentales.

 

            Mais, une fois de plus, on a pu vérifier que la technologie n’ouvre pas toutes les portes et la progression des opérations a suivi seulement l’évolution des affrontements au sol. Les forces pro-Kadhafi ont promptement trouvé les parades à la supériorité technique des occidentaux : leurs forces blindées au lieu d’effectuer de grands raids risqués dans le désert se sont mises dans les villes au milieu de la population civile et donc à l’abri des coups de l’aviation de l’OTAN…

 

            D’autre part les forces de l’insurrection manquent d’unité, il y a au moins trois courants rivaux, celui de Benghazi, celui de Misrata et celui des combattants de l’Ouest, du Djebel Moussa, cela n’augure rien de bon pour l’avenir. Enfin, et surtout, il y a ce résultat qui pourrait bien faire considérer cette guerre comme une catastrophe : 10 000 missiles sol-air des forces de Kadhafi, missiles contenus à grand peine non par des armes françaises ou anglaises mais seulement grâce à l’aide des Américains, ces dix mille missiles ont disparu dans la nature et pourraient demain se retrouver aux mains des terroristes…

 

            Que pensez-vous du service militaire ?

            Je ne pense pas que ce service puisse être rétabli, sauf circonstances tout-à-fait exceptionnelles, mais il faut bien comprendre qu’en envoyant 500 000 soldats en Algérie le gouvernement donnait à l’armée française les moyens de tenir effectivement le terrain : le rapport décisif de un soldat pour vingt civils était atteint. Considérez la bataille d’Alger : cette ville comptait 370 000 habitants et la bataille a pu être gagnée. Aujourd’hui la ville de Kaboul a 3 millions d’habitants et celle de Bagdad 5 millions, on est bien loin des effectifs locaux de 150 000 et 250 000 qui seraient nécessaires ! 

            Ajoutons qu’en dissolvant systématiquement l’armée irakienne et le parti Baas, les Américains ont accéléré l’anarchie en Irak et retardé d’autant l’édification d’une structure étatique suffisamment puissante pour leur permettre de se retirer.

 

            Quelle est votre opinion sur la bombe atomique iranienne ?

            Je fais mienne ces deux réflexions, l’une d’Alain Juppé notre ministre de la défense : « Rien ne serait plus dangereux qu’une intervention militaire » et l’autre du Général Gallois : « L’arme nucléaire rend sage les plus fous ».

 

            Quelles nations ont aujourd’hui une capacité de projection de forces militaires à distance ?

            Il n’y en a que trois : la France, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, mais ces capacités diminuent avec la baisse des budgets militaires occidentaux. L’Allemagne a des restrictions sociologiques importantes et ne peut pas s’y risquer, l’Italie a de grandes difficultés. En face de cela on voit la Chine développer de grandes capacités anti-projection avec des avions ultramodernes, des missiles antinavires et la construction d’un grand porte-avion.

           

            Que pensez-vous d’un éventuel terrorisme nucléaire ?

            Je n’y crois guère car tant de conditions doivent être réunies… On ne met pas en œuvre comme cela une arme atomique et il est difficile de la déplacer clandestinement en terrain hostile. Cela dit si la prolifération prend de l’ampleur, la situation deviendra périlleuse même sans terrorisme.

 

            Etes-vous inquiet de voir que les budgets occidentaux de défense sont décroissants, alors que tant de nations réarment ?

            Effectivement les budgets défense de la Russie, de la Chine, du Pakistan, du Brésil sont actuellement en augmentation d’environ 10% par an, ce qui est énorme, tandis qu’à cause des déficits les budgets occidentaux plafonnent ou décroissent. Cela ne conduit pas obligatoirement à la guerre, mais les relations internationales vont nécessairement être bouleversées et un partage du monde différent est en vue. Les idées et les valeurs de l’Occident vont sans doute reculer, au moins provisoirement.

 

            Pourquoi l’armement français rencontre-t-il tant de difficultés pour se vendre ?

            Le marché français des armements est le quatrième du monde et un avion comme le Rafale est très performant, mais il est très cher et rares sont les pays qui ont réellement besoin de ses hautes performances. Les Sud-Africains l’ont bien compris, qui mettent sur le marché des matériels certes moins performants mais robustes, efficaces et beaucoup moins chers.

 

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