Groupe X-Démographie-Economie – Population
Exposé du Mardi 19 janvier 2010 Afrique subsaharienne, un bilan.
par Philippe Conrad
Professeur d’Histoire à l’Ecole Supérieure de Commerce de Marne la Vallée et à l’Ecole de journalisme de la FACO, rue N-D des Champs
Christian
Marchal m’a demandé de vous présenter en quelque sorte un bilan du demi-siècle
qui a suivi l’émancipation de l’Afrique noire de la tutelle coloniale — nous y
sommes presque —, à partir des années soixante (1957 pour le Ghana, 1958 pour
la Guinée). Pour les colonies françaises et la plupart des colonies anglaises,
l’indépendance intervient au tournant des années soixante. Quelques régions
jouent les prolongations, à savoir les colonies portugaises jusqu’en 1975 et
l’ancienne Rhodésie du Sud, appelée à devenir le Zimbabwe, jusqu’en 1978.
L’Afrique à peine indépendante, un
certain nombre de spécialistes lancent d’emblée un cri d’alarme. Le plus
célèbre est celui de René Dumont dans un ouvrage qui a fait date, publié aux
éditions du Seuil, dont le titre L’Afrique noire est mal partie est en
lui-même tout un programme.
Que s’est-il passé depuis ? Près
d’un demi-siècle plus tard, de nombreux observateurs confirment largement les
diagnostics formulés à l’époque, notamment Stephen Smith qui a publié en 2003
un ouvrage intitulé Négrologie, pourquoi l’Afrique meurt. Que nous
dit-il ? « Depuis l’indépendance, l’Afrique travaille à la
recolonisation. Du moins, si c’était le but, elle ne s’y prendrait pas
autrement. Seulement, même en cela, le continent échoue. Plus personne n’est
preneur. » C’est un jugement extrêmement sévère. Ce n’est pas le seul.
En 1991, Axelle Kabou intitulait son ouvrage Et si l’Afrique refusait le
développement (L’Harmattan). Les Africains eux-mêmes sont conscients de
l’ampleur des problèmes. Il faut citer ici Bernard Lugan qui vient de publier
une monumentale Histoire de l’Afrique (Ellipses). En octobre 1989, par
exemple, un rédacteur de Jeune Afrique s’exclamait : « Que
de promesses dont presque aucune n’a été tenue. » L’année suivante, un
autre journaliste de Jeune Afrique écrivait à son tour : « Qu’avons-nous
fait ? Pas grand-chose. Trois décennies perdues faites de résolutions
creuses, de vœux pieux, de détournements de légitimité. L’Afrique a traversé
une histoire où la violence a souvent pris le pas sur la raison. Sans réaction,
elle a laissé les économies s’enfoncer. Sans sursaut, elle a vu les déserts
grignoter la vie. La première génération de l’indépendance a échoué,
hypothéquant dans sa chute les chances de la deuxième. Lentement nous prenons
conscience que nous sommes seuls et qu’être assistés en permanence, c’est être
colonisés. » Dans L’aide fatale, publiée en 2009 aux éditions Lattés,
Dombisa Mayo, une Zambienne employée par la Banque mondiale, présente un
tableau tout aussi pessimiste, et dénonce les nomenklaturas parasitaires et
prédatrices qui ruinent plus sûrement le continent que tous
les « néocolonialismes » rêvés par certains. Un tableau qui
apparaît donc bien sombre et qui, malgré quelques progrès ponctuels ou localisés,
s’est largement confirmé depuis. Une seule comparaison est en elle-même
révélatrice : en 1960, le Ghana et la Corée du Sud étaient à peu près au
même niveau de développement ; on imagine ce qu’il en est aujourd’hui.
Dans les années soixante, les gens qui s’inquiétaient pour l’avenir songeaient
surtout à l’Asie. C’est là que l’on imaginait l’extension de grandes famines.
Pensez à des observateurs comme José de Castro qui, à l’époque, prophétisait
une famine terrible en Inde dans les années quatre-vingt. Mais l’Asie a réussi
à sortir d’un certain nombre de spirales fatales au développement. Et c’est
l’Afrique, qui apparaissait au contraire à l’époque comme un continent
prometteur, qui est aujourd’hui plongée dans les difficultés que l’on sait.
On peut établir aisément le bilan de ces difficultés.
Il y a des retards économiques flagrants. C’est ce que retient surtout
l’opinion occidentale. Elle a de l’Afrique une image de misère qui l’incite à
une compassion sans doute excessive. On retient trop de l’Afrique les camps de
réfugiés, la famine, les épidémies, comme on a longtemps vu l’Inde
exclusivement à travers les bidonvilles de Calcutta. Une telle vision est
certainement trop réductrice mais les retards économiques sont bel et bien
considérables.
Il faut ajouter la faiblesse des États nés de la
décolonisation et les conflits ethniques multiples qui font partie du paysage
africain depuis des dizaines d’années. Cette situation a été dans une certaine
mesure gelée durant l’époque de la guerre froide – dont les protagonistes
étaient avant tout attachés à la stabilité du continent – et les jeunes Etats
africains n’ont souvent pas effectué, de ce fait, les virages nécessaires.
Enfin, il convient d’insister sur le défi que
représente l’explosion démographique de l’Afrique et sur les échecs enregistrés
par les tentatives d’union inspirées par le panafricanisme.
Comment aborder tous ces sujets ?
Je m’arrêterai d’abord sur l’échec des États, puis je présenterai la question démographique,
les retards dans le domaine économique et les échecs sociétaux majeurs que
connaît le continent. J’évoquerai aussi les conflits qui le divisent de manière
quasiment perpétuelle depuis des décennies. Enfin, j’aborderai l’échec des
diverses tentatives panafricaines avant d’essayer d’établir en conclusion un
bilan permettant de voir par quelles voies l’Afrique pourrait éventuellement
sortir de cette spirale de l’échec.
L’échec des États
Ces États sont les héritiers, dans leurs frontières,
de la colonisation. Dans la plupart des cas – et c’est évident dans le cas de
la France - leurs leaders ont été à l’origine mis en place par
l’ex-colonisateur. Il faut rappeler ici que la colonisation a été un phénomène
extrêmement court à l’échelle de la longue durée africaine. La véritable colonisation
de l’Afrique s’étend approximativement de 1890 à 1960. Certes, il y avait une
présence au Sénégal avant cette période, Les Français s’établirent sur la Côte
des Somalis dès le Second Empire, mais l’organisation territoriale des empires
coloniaux commence dans les années 1880 et elle n’est pleinement mise en œuvre
qu’à partir de 1890. C’est seulement en 1900, par exemple, que les Français
réussissent à établir la liaison entre leurs possessions du Soudan en Afrique
occidentale, leurs territoires algériens et sahariens et leurs possessions du
Congo et d’Afrique centrale.
Cette colonisation a eu pour conséquence une fixation
des frontières dont les grands principes ont été établis lors de la conférence
de Berlin de 1885. On connaît le procès, en partie justifié, qui a été fait aux
colonisateurs à ce propos. Des lignes ont été tracées sur la carte sans tenir
compte des réalités humaines et historiques locales. On s’en est tenu à des
limites géographiques physiques élémentaires qui, parfois, amenaient à couper
en deux, voire en trois, certaines populations. C’est le cas des populations
Bakongos partagées entre Congo français, Congo belge et Angola portugais. Ce
problème est hérité du début de la période coloniale. Mais, lors de la
conférence d’Addis-Abeba en 1963, qui a fondé l’Organisation de l’unité
africaine, les États africains devenus indépendants ont admis, par crainte
d’une balkanisation du continent, que l’on maintiendrait ces frontières issues
de la colonisation. Jusqu’à maintenant, la seule véritable exception opposée à
ce principe a été la naissance de l’Érythrée en 1993.
Ce découpage frontalier, en contradiction avec
l’héritage historique et les réalités ethniques, a constitué, selon le grand
africaniste Hubert Deschamps, disparu en 1979, « le péché originel »
de cette nouvelle phase de l’histoire africaine née des indépendances. En
effet, la notion même de frontières telle que nous la concevons en Europe est
tout à fait étrangère au continent africain. Le géopoliticien Michel Foucher
l’a montré il y a déjà un certain nombre d’années. En Afrique, les frontières
sont en fait de vastes zones tampons, intermédiaires, caractérisées par une
grande fluidité dans le temps et dans l’espace, ce qui donnait une certaine
souplesse aux rapports entre les diverses communautés concernées. Au bout du
compte, la volonté de cohérence administrative et territoriale que l’on a voulu
mettre en œuvre au moment des indépendances s’est trouvée et se trouve toujours
en contradiction avec les réalités du terrain. Dans ces conditions, la
construction de l’État-nation s’est avérée difficile. L’illusion
« jacobine », selon laquelle ces jeunes États allaient se construire,
quelles que soient leurs diverses composantes ou leur histoire particulière,
s’est très vite dissipée. En Europe, on a mis soixante-dix ans pour comprendre
que la Tchécoslovaquie ou la Yougoslavie n’existaient pas. En Afrique, on s’est
rendu compte beaucoup plus vite du caractère artificiel de certains Etats.
Dans ces conditions, la création des Etats
contemporaine des indépendances ne pouvait s’effectuer que dans un cadre
autoritaire, ce qui n’avait rien de très choquant en Afrique où les pouvoirs
traditionnels de l’Afrique précoloniale étaient monocratiques et sacrés. Ces
régimes autoritaires étaient fondés sur un parti unique qui reflétait en fait
les clientélismes établis par les pouvoirs en place. De manière générale, si
l’on excepte certains pays comme le Sénégal ou, pendant longtemps, la
Côte-d’Ivoire — mais ce n’était déjà plus vrai dans ce dernier cas à partir des
années quatre-vingt-dix —, l’Afrique a été la championne toutes catégories des
coups d’État. Elle a remplacé l’Amérique du Sud dans cette spécialité bien
particulière. C’est une situation qui a perduré jusqu’à une époque récente.
Dans la seule année 1999, par exemple, le président du Niger est assassiné, des
rebelles prennent le pouvoir par la force en Sierra Leone, un coup d’État a
lieu aux Comores et le général Guéï remplace Konan Bédié au pouvoir à
Yamoussoukro en Côte-d’Ivoire. Coups d’État, régimes fondés sur la force,
régimes autoritaires, régimes qui reflètent souvent la supériorité d’une ethnie
traditionnellement dominante ou au contraire la revanche d’une majorité qui
était antérieurement opprimée ou qui se percevait comme telle, autant de situations
génératrices d’instabilité ou d’arbitraire. Au Tchad, le pouvoir est ainsi
arrivé entre les mains des populations du sud au moment de l’indépendance, ce
qui ne correspondait pas tout à fait à la réalité historique du pays, fondée
sur la domination des nomades du nord sur les paysans sédentaires du sud. Les
choses sont depuis rentrées dans un certain « ordre »et les
« nordistes » ont pris largement leur revanche. Il faut donc tenir
compte de données de ce type pour analyser et juger les régimes africains.
La guerre froide a renforcé la tendance à
l’instauration de régimes autoritaires. On avait alors besoin d’une Afrique
stable dans la confrontation qui se développait entre l’Est et l’Ouest, surtout
à partir des années soixante-dix quand l’Union soviétique a marqué un certain
nombre d’ambitions nouvelles sur le continent noir, à la faveur de la
décolonisation portugaise ou de la disparition du Négus éthiopien. On a donc vu
alors certains régimes dont l’incapacité était notoire, se maintenir pour longtemps,
ainsi celui du maréchal Mobutu au Zaïre, l’ancien Congo belge, demeuré en place
pendant toute la durée de la guerre froide parce qu’il constituait une solution
de « moindre mal » finalement satisfaisante. Ce contexte
international a ainsi contribué au maintien de pouvoirs incapables ou
corrompus. De manière générale, cette construction de l’État que j’évoquais il
y a un instant a été rapidement compromise par la réalité, c’est-à-dire la
diversité qui caractérisait les sociétés concernées. On pourrait évoquer à ce
sujet le Tchad et l’opposition entre les Toubous du nord et les populations
animistes ou chrétiennes du sud. Le cas du Soudan est exemplaire : à peine
le pays devenu indépendant, la guerre civile a commencé et a duré quarante ans,
entre le nord musulman et le sud animiste ou chrétien. Il faudrait évoquer dans
l’espace du Sahel l’opposition entre les sédentaires de la vallée du Niger et
les populations touarègues sahariennes. En Angola, au moment de son
indépendance, Bakongos et Ovimbundus s’affrontent pendant des années. Au
Nigeria, en 1967, éclate la guerre particulièrement meurtrière du Biafra. La
caricature du tableau est évidemment l’ancien Congo belge, l’actuelle
République démocratique du Congo, territoire totalement artificiel, grand comme
quatre fois la France, mêlant l’eau et le feu, l’Afrique de la forêt tournée
vers l’Atlantique, et celle des hauts plateaux et des savanes qui appartiennent
en fait au monde de l’Afrique orientale.
Parfois, ces divisions, cette diversité ont pu être surmontées,
ce dont on a pu aussi entretenir l’illusion pendant plusieurs décennies. Le cas
de figure le plus exemplaire est évidemment la Côte-d’Ivoire, en raison du rôle
très particulier qu’y a joué Félix Houphouët-Boigny, investi d’un charisme et
d’une autorité incontestables. Le « sage » de l’Afrique a réussi à
maintenir l’unité du pays pendant tout le temps où il a exercé le pouvoir, ce
que favorisait une situation économique plutôt favorable (un cycle haussier du
cours des matières premières, notamment du cacao ivoirien). À partir des années
quatre-vingt-dix, tout cela a rapidement volé en éclats. On s’est alors rendu
compte que la Côte-d’Ivoire était aussi un État créé sur des bases, notamment
ethniques, tout à fait artificielles, sur les lignes de contact de grandes
zones ethniques historiquement conflictuelles.
On a pu penser que les choses allaient changer dans
les années quatre-vingt-dix. À la fin de la guerre froide, en 1990, le fameux
seizième sommet franco-africain de La Baule, réuni sous l’autorité de François
Mitterrand, résume bien l’évolution de cette période. Une doctrine est formulée
à l’occasion de ce sommet : la guerre froide est terminée, on est en train
de s’engager dans le nouvel ordre mondial dont parle par ailleurs George Bush
père, il faut que l’Afrique suive le mouvement et réalise les réformes devenues
nécessaires pour surmonter les retards et les handicaps qu’elle a accumulés au
fil des décennies précédentes. On décide donc que l’Afrique va désormais se
convertir à la démocratie. Bernard Lugan a parlé de manière assez juste de
« diktat démocratique » à ce sujet. Les dirigeants africains, qui
avaient l’habitude de l’exercice solitaire du pouvoir, n’étaient en effet guère
disposés à créer des systèmes permettant une quelconque alternance. Ils vont
trouver des moyens indirects de s’adapter à cette nouvelle donne en mettant eux-mêmes
en place des oppositions parfaitement sous contrôle. La démocratie, telle que
nous l’entendons en tout cas en Europe, n’a guère progressé depuis. Le palmarès
de la durée au pouvoir des dirigeants africains est à cet égard éloquent, du
Gabonais Omar Bongo au Camerounais Paul Biya, en passant par le Zimbabwéen
Robert Mugabe… En réalité, le transfert du modèle démocratique occidental est
largement inadapté aux sociétés africaines. Des sociétés individualistes,
constituées depuis très longtemps au fil des siècles, ont mis sur pied des
démocraties représentatives, dans lesquelles l’arithmétique électorale
détermine la légitimité du pouvoir. Rien de tout cela n’existe dans l’Afrique
subsaharienne, dans l’Afrique noire, où prévalent des sociétés communautaires,
hiérarchisées, solidaires, où la référence majeure dans les différents États
est l’identité ethnique. Dans cette Afrique, la force et le prestige comptent infiniment
plus que le nombre. Cette Afrique reste encore enracinée dans une histoire
précoloniale dans nombre de ses représentations et dans sa vision générale des
choses. Certains exemples sont bien connus. J’ai évoqué tout à l’heure les
Toubous du Tchad. On pourrait évoquer ce qu’étaient le Rwanda et le Burundi
jadis, avec leurs aristocraties tutsis. Parmi ces minorités dominantes, on peut
citer les Zoulous dans l’espace sud-africain. De manière plus générale, comme
l’a bien montré Bernard Lugan, les éleveurs guerriers se sont toujours trouvés
en position dominante par rapport aux sédentaires souvent plus nombreux et plus
prolifiques. C’est l’origine d’un certain nombre de conflits entre Peuls et
paysans bantous en Afrique occidentale, entre les différentes populations himas
en Afrique orientale - que ce soient les Luos du Kenya, les Tutsis du Rwanda,
les Banyamulenges de la République démocratique du Congo actuelle – et les
paysans sédentaires de ces régions.
Il est surprenant de voir que ces réalités ont souvent
été niées parce qu’elles dérangeaient le projet idéal que l’on avait imaginé
quant à l’avenir de l’Afrique. Un certain nombre de spécialistes ou
autoproclamés tels, tels que Jean-Pierre Chrétien ou Jean-Loup Amselle, ont
alors expliqué que les ethnies étaient des créations des colonisateurs. Amselle
dit très clairement qu’au Rwanda, les ethnies tutsie et hutue ont été créées
par les Belges — on se demande comment ils ont fait pour créer des géants de
deux mètres à côté de gens de taille moyenne !... À propos du Rwanda, on peut
constater que les vainqueurs de la guerre qui a ravagé ce pays, avec le
génocide des populations tutsies survenu en 1994, ne veulent plus du tout
aujourd’hui entendre parler de Tutsis et de Hutus : il n’y a plus que des
Rwandais. Comme ils ont le pouvoir et qu’ils sont minoritaires, ils n’ont
évidemment pas du tout intérêt à ce que l’on reconnaisse de telles
distinctions
De manière générale, l’échec politique des régimes
africains résulte, sans doute pour une bonne part, de la méconnaissance ou de
l’aveuglement de nos démocraties, ou prétendues telles, qui rêvent d’une
Afrique comme elles voudraient qu’elle fût, mais qu’elle n’est pas en réalité.
La question démographique
La démographie pèse très lourdement dans l’échec des décennies
qui ont suivi la décolonisation. À l’époque précoloniale, l’Afrique était
historiquement une zone de basse pression démographique. En 1900, l’Afrique
noire subsaharienne compte environ 100 millions d’habitants, c’est-à-dire
autant que l’Allemagne et la France réunies à l’époque. À l’orée des années
soixante, elle compte 200 millions d’habitants. La population a doublé en
une soixantaine d’années pour des raisons que l’on sait. La colonisation a
permis un processus de pacification et de sécurisation de régions entières
ravagées notamment par les marchands d’esclaves - les Béhanzin, Samory ou Rabah
- que les troupes coloniales françaises sont allées mettre à la raison.
La révolution médicale et sanitaire qui a suivi - résultat d’un maillage médical
assez serré, avec des dispensaires installés un peu partout, avec des campagnes
de vaccination, avec le développement d’une médecine tropicale - a permis de
faire reculer les grandes endémies, même si celles-ci n’ont pas complètement
disparu.
Le résultat fut une progression spectaculaire de la
population, l’Afrique s’engageant alors, du fait de cette révolution sanitaire,
dans une explosion démographique analogue à celle qu’a connue l’Europe aux
XVIIIe et XIXe siècles. En 1990, il y a 500 millions d’habitants en
Afrique noire, auxquels il faut ajouter, pour toute l’Afrique,
142 millions de Nord-Africains, du Maroc à l’Égypte. En 2005, les chiffres
sont de 760 millions pour l’Afrique noire et, en 2007, de
788 millions. Si on retient un taux de fécondité de 4 enfants par
femme, cela mènerait l’Afrique à 2 milliards d’habitants en 2050, soit
presque 30% de la population mondiale, alors qu’elle n’en représentait que
7,2 % en 1950 et 12,1 % en 1990. Il faut toujours être prudent avec
les statistiques de ce type. On fait des calculs fondés sur des courbes
exponentielles alors que la réalité dément parfois sévèrement les
prévisionnistes. En tout cas, si le taux de fécondité demeurait à
5,5 enfants par femme, on pourrait envisager une Afrique à 3 milliards
d’habitants en 2050. La question se pose du rythme auquel l’Afrique va entrer
dans le processus de transition démographique — c’est ce que l’on peut attendre
ou espérer — qu’ont connu les grands pays industriels et qu’ont commencé à
connaître un certain nombre de pays musulmans ou de pays asiatiques au cours
des dernières décennies. En Algérie, en une génération, le nombre d’enfants par
femme est ainsi tombé de 6 à 2,5. On assiste au même phénomène en Iran. On peut
penser qu’un processus de ce type va s’établir en Afrique, mais, pour le
moment, on ne le distingue pas très clairement. Ces chiffres sont
spectaculaires. Ils ont un sens quand on les confronte avec les chiffres de la
production, notamment agricole. Entre 1960 et 1995, en trente-cinq ans, la
production agricole a augmenté de 1,25 % par an, soit 54 % en
trente-cinq ans, ce qui est loin d’être négligeable. Mais, dans le même temps,
la population augmentait de 3 % par an et donc de 180 % en
trente-cinq ans. Un taux de 3 % annuel entraîne le doublement de la population
tous les vingt trois ans…
Tout cela est porteur de lourds problèmes, notamment
des famines accentuées par les accidents climatiques tels que les sécheresses.
Les prévisions établies actuellement à propos du réchauffement de la planète ne
sont pas davantage encourageantes. Il y a déjà eu de grandes famines dans le
Sahel et la corne de l’Afrique, dont la grande famine éthiopienne de 1972-1973,
qui a joué le rôle que l’on sait dans le renversement du Négus. L’Afrique
australe a connu aussi des famines alors que cette région avait été jusque-là
épargnée par ce genre de phénomènes, comme en Zambie, au Mozambique, au
Zimbabwe, alors que l’ancienne Rhodésie du Sud avait été longtemps un paradis
agricole largement exportateur. Il y a quelques années, du fait de conditions
climatiques difficiles, le Sénégal a été aussi confronté à des difficultés de
ce genre. En 2002, 30 millions d’Africains bénéficiaient d’une aide
alimentaire. En 2008, selon la Banque africaine de développement, ils sont
135 millions à être concernés par cette aide alimentaire.
À côté des famines et des problèmes alimentaires, il
faut aussi tenir compte d’un exode rural entraînant une véritable explosion
urbaine qui prend des dimensions catastrophiques. En témoignent des villes
comme Kinshasa ou Lagos qui comptent 10 millions d’habitants sans avoir du
tout les infrastructures pour accueillir des populations dans de telles
quantités, ce qui signifie l’extension à l’infini de bidonvilles, avec toutes
les conséquences en termes de vie quotidienne, d’hygiène, de situation sociale.
En 2008, à peu près 13 millions d’Africains s’installent en ville. En
2035, la croissance des populations urbaines sera plus rapide que la croissance
des populations rurales. Étant donné ce que sont actuellement les sociétés
africaines, si ce processus continue, on imagine les conséquences, notamment en
termes de pression migratoire — ce qui nous concerne directement.
Cette surpopulation engendre aussi automatiquement des
questions concernant la maîtrise de l’eau et du bois. Le déboisement est en
effet massif. Ce bois est largement gaspillé. Il sert, à 85 %, à faire du
feu. De plus, pour en finir avec cette séquence démographique, il faut
constater que, du fait de ce bilan, de cette situation, le revenu par habitant baisse.
La production globale a augmenté au fil des années, mais le revenu par habitant
baisse. Dans le cas de l’Afrique, les analyses de Malthus, formulées à la fin
du XVIIIe siècle dans son Essai sur le principe de
population, qui ont été infirmées par la croissance industrielle des pays
européens ou asiatiques aujourd’hui, risquent de se vérifier durablement en
Afrique avec toutes les conséquences que l’on peut imaginer.
Le volet économique
Quel bilan tirer de ce demi-siècle des indépendances africaines ? Ces dernières années, la tendance paraissait
relativement plus favorable. La croissance du produit intérieur de l’Afrique
noire était de 4% en 2004, de 4,9 % en 2005, de 5,8 % en 2006 et
6 % étaient espérés en 2008. La crise qui vient d’éclater, l’effondrement
des cours du pétrole et des matières premières font que ce chiffre a été révisé
à la baisse par la Banque mondiale avec une perspective de 3,3 % en 2009,
ce qui est évidemment insuffisant pour permettre le développement satisfaisant
d’une Afrique confrontée notamment à l’explosion démographique que nous
évoquions tout à l’heure.
L’Afrique est touchée et affectée par la pauvreté.
Selon la Banque africaine de développement, alors qu’en 1988, 11 % des
pauvres du monde se trouvaient en Afrique, en 2007, ils étaient 27 % et,
en 2015, ils seront 33 %. Un tiers de la pauvreté mondiale sera concentrée
en Afrique, ce qui est tout à fait impressionnant. En 1995, l’Afrique, pesant 14 % de la population
mondiale, assurait 1 % de la production, si on laisse de côté le cas bien
particulier de la République d’Afrique du Sud. D’autres chiffres sont très
révélateurs. Au milieu des années quatre-vingt-dix, sans compter l’Afrique du
Sud, le produit intérieur de l’Afrique noire était inférieur à celui d’un pays
comme l’Espagne qui ne comptait que 44 millions d’habitants. Cette situation recouvre d’immenses disparités. Les
pays d’Afrique du Nord sont ainsi dans une situation différente. Ils disposent
de rentes de situation, notamment pétrolières pour la Libye, l’Algérie, ce qui fausse
un peu les choses. Si on considère les pays d’Afrique noire qui représentent
les meilleurs candidats au développement, il en reste trois,: l’Afrique du sud,
le Nigéria et le Cameroun 7% de croissance annuelle pendant plusieurs décennies
seraient nécessaires pour combler les retards accumulés, objectif de toute
manière difficile à atteindre avec une croissance démographique se maintenant à
3% par an. Le scénario qu’a connu la Chine au cours des trente dernières années
ne semble donc pas en condition de se réaliser sur le continent noir. Il faut
également tenir compte, au delà d’une
approche « moyenne » d’énormes disparités. Certaines
croissances apparemment spectaculaires ne sont guère significatives (les 12,5%
et les 10% de la Guinée équatoriale et du Tchad sont dus aux effets de la tout
récente rente pétrolière, les 9,5% du Mozambique concernent un pays parti de
si bas que ce chiffre ne fait guère sens). A l’inverse, les pays affectés d’une
croissance négative sont passés de cinq à neuf en 2002, avec des pointes à -9%
pour le Zimbabwe et le Libéria. L’une des solutions pourrait résider dans des
investissements étrangers massifs mais, là aussi, la tendance n’est guère
encourageante. Les investissements étrangers directs (IED), qui étaient destinés
pour 6% d’entre eux à l’Afrique en 1970 ne l’étaient plus qu’à 2% en 2002. Et
ils pourraient, du fait de la crise mondiale, diminuer de 20% en 2009. 40%
de l’épargne locale sont par ailleurs investis hors du continent et on évalue à
400 milliards de dollars la fuite des capitaux depuis 1970, un chiffre à
confronter au montant de la dette du continent, 215 milliards de dollars. Le
journal Jeune Afrique révélait ainsi en 2007 que la fuite des capitaux,
équivalente à 7,6% du PIB annuel, représentait un volume supérieur à celui de
l’aide étrangère… La part du continent dans le commerce mondial s’est
également détériorée, passant de 9,1% en 1960 à 2% en 2002, des résultats
assurés pour l‘essentiel par les exportations de pétrole. Le pays le plus dynamique
en ce domaine, l’Afrique du sud, se situe à la 38ème place des pays
exportateurs et à la 40ème place des pays importateurs. Si l’on
excepte le cas du pétrole qui a connu jusqu’en 2007 les hausses des cours que
l’on sait, les produits traditionnellement exportés (cacao, café, coton, bois,
sucre, cuivre..) ont vu leurs prix s’effondrer de 22% à 38% selon les cas et
les pays africains doivent de plus faire face à des concurrents redoutables.
L’Afrique noire assurait ainsi 73% du marché des huiles végétales en 1960
mais ce chiffre est tombé à 10% en 2002 (60% pour l’arachide en 1960, 18% en
2002). La part de l’Afrique dans le commerce des grandes puissances est
aujourd’hui minime, la France faisant relativement exception (4,3% des
importations, 5,3% des exportations contre respectivement 1% et 2% pour les
USA, malgré l’importance grandissante du pétrole africain.) Faut-il préciser
que la part de l’Afrique du nord équivaut à celle tenue par quarante-deux Etats
de l’Afrique subsaharienne). Le seul point positif réside dans l’augmentation de
la production pétrolière qui assure 50% des exportations africaines en 2005. Le
nombre des pays producteurs est passé de 9 en 1980 à dix sept en 2005 et le
continent noir, qui assurait alors 12% de la production mondiale en assurera
30% en 2010 mais il ne dispose pour le moment que de 9,7% des réserves
prouvées, détenues à 65% par le Nigéria et la Libye. A court terme, il s’agit
cependant d’un atout correspondant à 30% des importations chinoises et 15% (25%
en 2015 ?) des importations américaines. Une rente souvent détournée au
profit des nomenklaturas locales comme c’est le cas en Algérie, en Angola ou au
Gabon… Les perspectives ouvertes par l’irruption en Afrique d’une Chine de
plus en plus conquérante ne sont à terme guère rassurantes puisque le nouveau
géant asiatique importe des matières premières pour vendre des produits
manufacturés à des Etats qui ne pourront de sitôt envisager d’entrer en
concurrence avec elle quelle que soit la faiblesse du coût de leur main d’œuvre.
Les échecs sociétaux
La faim continue à concerner deux cents millions
d’Africains subsahariens, soit un tiers de la population. 5% seulement des
terres sont irriguées, malgré les énormes ressources – très inégalement
réparties il est vrai - dont disposent certains pays (les cas d’école sont le
Soudan et la RDC). De plus, les guerres endémiques et leur cortège d’effets
collatéraux (pillages, destructions de récoltes, mobilisation forcée de
travailleurs, insécurité…) ne peuvent qu’avoir des effets catastrophiques,
aisément vérifiables au Soudan, en Sierra Leone, en Somalie, en RDC... La
situation sanitaire est également des plus préoccupantes alors que, au nom
de la « bonne gouvernance » financière imposée par le FMI, les
dépenses publiques consenties en ce domaine sont à la baisse. Le résultat,
c’est une mortalité infantile à 146 pour mille en Afrique contre six pour mille
en Europe. Un enfant de cinq ans sur quatre est mal nourri et l’espérance de
vie moyenne est de quarante-cinq ans… Certaines grandes maladies tropicales
telles que le paludisme font encore plus de ravages que le Sida, qui a été
efficacement combattu dans certains pays, notamment en Ouganda. Il faut
ajouter que 28% des médecins africains noirs sont installés dans les pays riches
et qu’au Bénin, en 2006, 224 médecins exerçaient à l’étranger contre 405 sur
place. . Sur l’ensemble du continent africain (dont l’AFN) on compte 15
médecins pour 10 000 habitants contre 380 en France ; à l’inverse, 100
000 médecins expatriés sur le continent noir dans le cadre de l’action qu’y
mènent les ONG ne sont pas africains… Le tableau n’est guère plus brillant en
termes d’éducation, dont les budgets ont été largement revus à la baisse du
fait des plans de rigueur. L’expatriation des élites locales ne favorise guère
les progrès nécessaires (selon la Banque mondiale, en 2008, quatre millions
d’Africains dotés de diplômes supérieurs sont expatriés et 50% des étudiants
africains parvenus jusqu’au niveau du doctorat en Amérique du nord ne rentrent
pas chez eux…
Les conflits
Trente guerres se sont déroulées sur le continent
depuis 1970 et elles ont engendré une insécurité permanente ou chronique dans
bon nombre d’Etats. Si l’on excepte la guerre d’Algérie et la guerre
d’indépendance de la Guinée portugaise, la décolonisation n’a été marquée que
par des luttes de faible intensité (Angola, Mozambique, insurrection des
Mau-Mau au Kenya). Ce sont les conflits internes aux nouveaux Etats apparus
avec les indépendances qui ont fait sept millions de victimes civiles depuis
les années soixante (Tchad, guerre du Biafra, guerres du Soudan (nord contre
sud, puis conflit du Darfour), Congo-Zaïre, Ouganda, Libéria, Sierra Leone,
Congo Brazzaville, Burundi, Rwanda, Kivu, Ituri, Somalie, Côte d’Ivoire,
République Centrafricaine…) Plus rares, les conflits « classiques »
de type européen opposant deux Etats ont également contribué, à des degrés
divers, aux faiblesses ou aux retards de certaines régions du continent
(Ethiopie-Somalie, puis Ethiopie-Erythrée alors qu’un éphémère conflit entre
Mali et Burkina ou un autre entre Tanzanie et Ouganda n’ont guère revêtu
d’importance.…). Les conflits impliquant plusieurs pays (Tchad-Libye, Sahara
occidental, Angola, Zaïre-RDC), ont également été dévastateurs. Relancés
dans les années 1990, certains conflits ethniques se combinent avec la lutte
pour certaines ressources (ex le coltan de l’est de la RDC ou les diamants de
la Sierra Leone). Ils engendrent une instabilité et une insécurité chroniques,
ce qui explique que, sur vingt-deux millions de réfugiés recensés dans le
monde, il y en ait près de sept en Afrique, auxquels il faut ajouter dix
millions de déplacés temporaires, passés à douze ou quatorze du fait des
événements du Soudan et de Somalie.. La politique de Renforcement des Capacités
Africaines de Maintien de la Paix, encouragée par la France, n’a guère
contribué, notamment au Tchad ou au Darfour, à faire évoluer la situation.
L’échec des tentatives panafricaines
Le continent compte aujourd’hui cinquante trois Etats
(dont la République sahraouie et le Maroc qui a quitté l’OUA en 1984 pour cause
de divergence sur la question sahraouie).. Ces Etats se sont regroupés en 1963,
lors de la conférence fondatrice d’Addis-Abeba, au sein de l’Organisation de
l’Unité Africaine, qui a rejeté les appels au « panafricanisme » du
Ghanéen Nkrumah et les espérances formulées un temps par le Rassemblement
Démocratique Africain formé en Afrique francophone. Après avoir révélé ses
limites l’OUA a disparu en 2001 pour donner naissance, lors des conférences de
Lusaka et de Durban, à l’Union Africaine dont les objectifs se voulaient très
ambitieux mais qui s’est vite heurtée à un problème de leadership, du fait de
la rivalité opposant la Libye du colonel Khadafi et l’Afrique du Sud de Thabo Mbeki.
Cette Union africaine n’a pas mieux réussi que l’organisation qui l’avait
précédée en matière de résolution des crises affectant le continent (RDC, Zimbabwe,
question sahraouie, Côte d’Ivoire, Kenya, Tchad, Soudan…). En janvier 2008, un
audit réalisé sous la direction du Nigérian Adbayo Adedoji a révélé un bilan
accablant et les unions régionales constituées en Afrique occidentale
(Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest), australe ( Southern
Development Economic Community) ou centrale (Communauté des Etats de l’Afrique
centrale) n’ont guère fait mieux. Lancée en 2001, l’initiative du Nouveau
Partenariat pour le Développement de l’Afrique (NEPAD) qui visait à attirer les
investisseurs étrangers, à la réalisation de réformes structurelles et à
l’établissement d’une « bonne gouvernance » n’a pas eu plus de succès
et le président sénégalais Abdoulaye Wade a tiré en 2007 de l’expérience un
bilan tout à fait désabusé. Le discours de victimisation et l’attente des fonds
occidentaux ne suffisent pas à faire une politique et les investisseurs
constatent surtout les maux engendrés trop fréquemment par la corruption,
l’instabilité politique et l’absence d’un environnement juridique suffisamment
sûr pour permettre le développement des affaires.
Quelles solutions pour l’avenir?
L’Afrique noire se trouve confrontée, on l’a vu, à une
addition impressionnante de problèmes plus lourds les uns que les autres. A
l’inverse, elle dispose de potentialités incontestables, du fait de l’abondance
de ses ressources naturelles et de l’ampleur du marché que constitue une
population nombreuse et dynamique dont le volume peut toutefois se transformer
en obstacle si le développement n’est pas au rendez-vous. Il faut tout d’abord
réformer les Etats car, à l’exception de certains tels que le Mali, le Ghana ou
l’Ouganda, beaucoup demeure à faire pour écarter clientélisme ou corruption,
pour créer un environnement propice aux investissements extérieurs.. L’Afrique
doit également conserver ses « élites » et empêcher leur hémorragie
pour éviter le piège de « l’immigration choisie » que lui
tendent les pays du nord. Il lui faut enfin contenir une fécondité excessive,
génératrice à terme de graves déséquilibres, afin de pouvoir entrer rapidement
dans la transition démographique déjà acquise dans la plupart des pays. C’est à
ces conditions qu’elle pourra s’insérer dans l’économie mondiale, pour échapper
à la marginalisation et à la malédiction de la pauvreté, afin de prendre toute
sa place dans le monde multipolaire qui est en train de se construire.
Questions
Quel est le taux d’alphabétisation, et en particulier le taux d’alphabétisation des
femmes?
Ce taux est extrêmement variable selon les pays et les troubles politiques. Sans
atteindre aux remarquables taux tunisiens, un pays comme le Sénégal atteint des
niveaux honnêtes et en progrès, par contre, malheureusement, on voit la Côte
d’Ivoire reculer. La première
génération de dirigeants africains, Léopold Senghor, Houphouët-Boigny,
Tombalbaye, Hamani Diori… était attachée à l’intérêt public et portaient une
grande attention aux questions d’alphabétisation et d’instruction. Bien
entendu ces dirigeants ont rencontré d’énormes difficultés et ont dû souvent se
contenter de lancer le mouvement, surtout dans les régions reculées.
Malheureusement, le moins que l’on puisse dire est que les dirigeants africains
aussi soucieux de ces questions sont moins nombreux aujourd’hui. Au
cours d’un jumelage avec une petite ville du Nigéria, j’ai constaté que le maire
se plaignait de la mauvaise qualité de l’eau… mais laissait le puits principal
sans protection contre les déjections canines ! Il n’y avait pas de
margelle ! Notre délégation lui a conseillé d’en mettre une au plus vite
et il a avoué qu’il n’y avait jamais pensé.
Cet nexemple vous semble-t-il exceptionnel ou au contraire typique ?
Je pense qu’un pareil exemple d’incompétence ou d’insouciance doit quand même être
assez exceptionnel, mais il ne m’étonne pas vraiment, j’ai connu des cas encore
plus étonnants.
Comment est financé le budget de l’Etat ? Quand j’étais au Cameroun, il y a plus
de quarante ans, les seules recettes publiques étaient les taxes sur le
commerce extérieur, qu’en est-il aujourd’hui ?
De ce côté la situation n’a guère changé et les douanes jouent toujours un rôle
majeur dans la plupart des pays africains. La
situation des religions en Afrique On note une forte poussée de l’Islam et des évangélistes américains. Les Chinois en Afrique ? Les Chinois agissent de manière très pragmatique et ne semblent pas viser à la
prise de pouvoir ou au contrôle de certains pays. Ils donnent surtout
l’impression d’être là pour faire des affaires et se procurer des ressources
minières ou pétrolières au meilleur marché possible.
Avec 28 millions de naissances annuelles en face de seulement 7 millions en Europe, notre avenir n’est-il pas de subir une invasion africaine ?
L’ampleur de cette invasion dépendra essentiellement du temps que mettra l’Afrique subsaharienne à
entrer dans la transition démographique. Ceci est bien sûr lié surtout à
l’alphabétisation des femmes.
L’exemple de Haïti,
indépendant depuis deux siècles, n’est-il pas désespérant ? Certes, mais cet exemple est bien différent des problèmes africains, en particulier à cause de
l’interventionnisme longtemps pratiqué par les Américains.
Quelles sont les
améliorations essentielles que vous souhaitez à l’Afrique.
A ) Des dirigeants moins corrompus et plus soucieux du bien commun.
B) Passer du stade ethnique au stade national.
C) Juguler la fuite des cerveaux
D) Enfin et surtout progresser largement et rapidement dans le domaine de l’instruction et de
l’alphabétisation.