Groupe X-Démographie-Economie –Population

 

Exposé du Mercredi 21 Novembre 2007

 

Les blocages de la réforme ou le paradoxe politique de la démocratie.

 

Par le Camarade Philippe Bourcier de Carbon

Démographe de l’Institut National d’Etudes Démographiques (INED)

 

 

 

            Les pays qui ne remplacent plus leurs générations successives forment maintenant plus des deux-tiers de la population mondiale. Ils n’en constituaient qu’un peu plus de la moitié il y a encore cinq ans et c’est dire avec quelle rapidité le phénomène se généralise ! Pratiquement partout la proportion des plus de cinquante ans augmente régulièrement tandis que celle des moins de vingt ans régresse : les pyramides des âges se gonflent au sommet et se creusent à la base, c’est le phénomène d’inversion de la pyramide. Soulignons que nulle part ce phénomène n’est enrayé, bien au contraire.

            Cette évolution a deux moteurs : le moteur principal est la sous-fécondité des jeunes couples (Europe : moins de 1,5 enfant par femme), en baisse partout dans le monde, le moteur secondaire est l’allongement de l’espérance de vie : la mortalité baisse surtout chez les seniors ce qui entraîne un plus grand gonflement du sommet de la pyramide mais n’est évidemment pas la raison directe du rétrécissement de la base.

            Il faut rappeler qu’en Europe ce processus n’est pas récent, il se développe depuis plus d’une génération (plus de 30 ans), le nombre annuel des naissances recule depuis 1964 et n’est plus que les deux-tiers de son niveau d’alors (la moitié en Allemagne) – malgré un nombre de jeunes femmes qui n’a presque pas encore commencé à diminuer, mais qui ne tardera pas à le faire massivement.

 

            La mondialisation accroît la pression sur les pays développés. Les migrants, pour la plupart jeunes, ralentissent le vieillissement mais entraînent un bouleversement culturel aux conséquences considérables. Trois récentes publications de l’Institut Géopolitique des Populations ont abordé ces questions ( Editions l’Harmattan ) :

« Ces migrants qui changent la face de l’Europe » (2003)

« Peut-on se satisfaire de la natalité en France et en Europe » (2006)

« Vieillissement mondial et conséquences géopolitiques » (2007).

 

            L’INSEE s’est préoccupée de l’évolution future de la population totale[1] de la France métropolitaine, et a bâti des projections selon plusieurs hypothèses. Voici le tableau de l’hypothèse centrale de la dernière version publiée en avril 2007.  Cette hypothèse « centrale » suppose le maintien de l’indice synthétique de fécondité à 1,9 enfant par femme, la progression de cinq années de l’espérance de vie sur les trente années qui viennent et un solde migratoire constant de + 100 000 par an (ce dernier point surtout est contestable : l’AGDEF a en effet reconnu l’été dernier que les seules entrées étrangères en métropole de 2006 était déjà de 220 000, pour les seuls migrants en situation régulière).

            Dans ces conditions la population métropolitaine totale passe de 61,3 millions en 2007 (chiffre sous-estimé depuis le recensement de 1990) à environ 69 millions en 2040 ; le nombre annuel de naissances sensiblement constant autour de 750 000, s’accroît depuis une dizaine d’années sous la poussée de l’implantation en métropole des communautés immigrés très fécondes en provenance d’Afrique et de Turquie, mais il y deux profondes modifications, d’une part dans la composition de la nation et d’autre part dans l’évolution du corps électoral.

   

            Les modifications de la composition de la nation apparaissent surtout dans l’accroissement de la place en métropole de la « population des ménages immigrés[2] », et surtout ceux en provenance d’Afrique et de Turquie, dont la population passe de 9% aujourd’hui à environ 20–25 % de la population métropolitaine avant 2050 ; fournissant déjà 17% des naissances métropolitaines, celle-ci en fournira le tiers avant 2030 et plus de la moitié dès avant 2050.

            Il y a plusieurs raisons à cette situation, notamment la féminisation et l’accroissement rapide ces dernières années (un triplement entre 1994 et 2004…), du flux des entrées étrangères régulières en provenance de ces régions du monde.

Une autre raison, en parfait accord avec l’importance de l’effet sur leur fécondité du « revenu relatif » des jeunes couples vis-à-vis de leurs aînés et de leur entourage, est celle qui concerne la fécondité des jeunes femmes immigrées. Les jeunes femmes nouvellement arrivées conservent en effet encore les termes de référence qu’elles avaient dans leurs pays d’origine avant leur départ, et leur fécondité après leur arrivée est nettement supérieure à celles des étrangères déjà installées qui est en cours de recul (elle est même, au cours de cette première période, supérieure à celle de leurs consoeurs du même âge restées au pays). Les flux des entrées étrangères étant en gonflement constant depuis une dizaine d’années, la part de ces arrivées récentes, temporairement sur-fécondes, ne cesse de s’accroître parmi les femmes des ménages immigrés originaires de ces pays, ce qui entraîne mécaniquement la constance de la fécondité globale de cette dernière population, qui, ainsi que l’observe l’INSEE avec étonnement ne baisse pas globalement, mais, depuis une dizaine d’années, se maintient au niveau de 2,9 enfants par femme. De fait, leur situation matérielle en France étant notablement meilleure que celle de leurs amies et proches restées au pays, elles commencent tout naturellement à être plus fécondes que ces dernières, puis, leurs références devenant en quelques années celles de la société française, leur fécondité rejoint avec le temps le niveau général de la fécondité métropolitaine…, mais ces jeunes femmes récemment arrivées ont, entre temps, déjà mis un ou deux enfants au monde en métropole : les femmes de l’ensemble de cette population de ces ménages auront ainsi fourni 97 000 bébés en 1999, puis 124 000 en 2005 et sans doute près de 140 000 en 2007 (soit 17-18% des naissances métropolitaines). Cet accroissement rend compte du reste de plus de 90% de la croissance du nombres total des naissances en métropole entre 1999 et 2005 qui passent de 744 000 à 774 000, et l’on peut ainsi constater que les femmes de la population des ménages immigrés en provenance d’Afrique et de Turquie sont devenues aujourd’hui le moteur démographique actuel de notre pays.

 

            La modification du corps électoral n’est pas moins importante et impressionnante, et aussi lourde de conséquences pour les possibilités d’évolution et de réformes.

            Bien entendu cette étude de l’évolution du corps électoral s’appuie un  certain nombre d’hypothèses classiques – mais solidement vérifiées - : A) Grande stabilité des profils selon le sexe et l’âge des comportements électoraux, aussi bien en ce qui concerne les taux d’inscription sur les listes électorales, que les taux de participation aux différents types d’élection, dont les taux détaillés restent quasi-proportionnels aux taux globaux d’inscription et de participation. B) Bien entendu ces comportements très stables sont fonction de l’âge et du sexe des intéressés et l’étude en tient compte. Plus précisément les pourcentages de non-inscription et ceux d’abstention aux divers âges et selon le sexe restent toujours dans les mêmes proportions relatives et évoluent comme les pourcentages globaux quand, par exemple, il y a quelques variations comme celles liées à l’effort national d’inscription de cette année.

            Le « corps électoral potentiel », c'est-à-dire l’ensemble des citoyens majeurs et non déchus de leurs droits civiques, passe de 45,1 millions en 2007 à 52,6 millions en 2040, les femmes en représentent 52% et le taux d’inscription sur les listes électorales, restera sans doute voisin de 85-90% .

Mais ces variations modérées ou faibles cachent des phénomènes autrement plus importants, d’une part ce que l’on peut appeler le « vote musulman », approché par le vote de la population française des ménage immigrés originaires d’Afrique et de Turquie, passera de 5% aujourd’hui à environ 20% en 2045, et d’autre part, et surtout, l’on constate un vieillissement massif du corps électoral. L’âge médian des votants monte de 50 ans en 2007 à 55-56 ans en 2040 (respectivement 43 à 47 ans pour les votes de la communauté issue de l’immigration en provenance d’Afrique et de Turquie), la part des votes des plus de 75 ans, 11% aujourd’hui, se maintien jusqu’en 2020 mais monte à plus de 18% en 2040, tandis que celle des jeunes femmes de 25 à 39 ans de plus de 11% aujourd’hui descend à 9% à peine.

            Dans de pareilles conditions, et si les règles de notre démocratie restent ce quelles sont, il est bien évident que tout homme politique soucieux de sa réélection accordera la priorité aux besoins des personnes âgées et très âgées face à ceux des mères de famille, c'est-à-dire évidemment imposera des sacrifices et des charges aux jeunes adultes, au détriment en particulier de la politique familiale…Il y là un cercle vicieux terrifiant que la théorie du niveau de vie relatif rend évident : vivant dans des conditions plus difficiles en termes relatifs que leurs aînés, et dans une société qui leur est plus hostile qu’elle ne l’était pour ces derniers à leur âge, avec des charges de plus en plus lourdes, les jeunes couples fuiront ou auront moins d’enfants ce qui ne fera que renforcer le vieillissement et conduira donc à bref délai à un effondrement catastrophique.

 

 

            D’ores et déjà on constate d’une part une diminution non plus seulement relative, mais même absolue du niveau de vie des plus jeunes parmi les adultes et d’autre part une fuite de ces jeunes Français, surtout des plus compétents, vers le Canada, les Etats-Unis, l’Angleterre. Désormais un million et demi de Français vivent hors de nos frontières, et leur nombre est en croissance rapide.

            Que peut-on faire pour renverser ce double engrenage fatal et catastrophique ? La première chose à faire est de bien se rendre compte de la nature de la situation et surtout ne pas croire que les remèdes sont faciles et qu’un indice synthétique de fécondité monte et descend aisément. Certes avec les moyens modernes la descente est facile, mais s’il est devenu très simple de ne pas avoir d’enfant, il est devenu plus difficile qu’autrefois d’en avoir dans une démocratie vieillie aujourd’hui dominée de plus en plus par les seniors où toute la société s’organise et fonctionne chaque année un peu plus en fonction de leurs besoins. C’est même nettement plus difficile que naguère car la politique familiale n’a cessée d’être ponctionnée : comparé au smic les allocations familiales ont en trente ans perdu les deux-tiers de leur valeur…Durant les trente glorieuses, la nation consacrait plus de 2% de son PIB aux seules allocations familiales, seul soutien effectif de la fécondité ; elle n’en consacre plus que 0,7% à peine.

            Ce constat fait, il est urgent et légitime de rappeler les principes suivants et de proposer les mesures correspondantes :

 

            1 ) La politique familiale n’est pas un avatar de la politique sociale. Il ne s’agit pas d’ « aider les pauvres gens chargés de famille », il s’agit d’un investissement pour l’avenir de la Nation.

            En conséquence les allocations familiales doivent être hors impôt et sans conditions de ressource, elles doivent représenter une véritable compensation des charges familiales, elles doivent être indexées sur le salaire de base et non sur l’indice des prix (répétons que dans les années 1950-60, la France, bien plus pauvre qu’aujourd’hui, consacrait 2,2% du P. I. B. aux allocations familiales, contre trois fois moins aujourd’hui).  

 

            2 ) L’impôt doit satisfaire aux conditions de l’égalité républicaine selon le principe de la reconnaissance de la capacité contributive des citoyens  : ‘’Nul ne peut être imposé sans tenir compte de sa capacité contributive’’ ( Droit de l’Homme et du Citoyen, 1789 , Charte des Nations-Unies, 1948). Il ne faut pas oublier que les enfants sont eux aussi des citoyens et donc que le quotient familial n’est pas un don de l’Etat aux familles, c’est un droit de l’Homme, il doit s’appliquer selon le principe : à niveau de vie égal, compte tenu des charges de famille, taux d’imposition égal (soit concrètement : à revenu par part égal, impôt par part égal). Ceci exclut bien évidemment tout plafonnement et toute « condition de ressource ».

 

            En conséquence on peut proposer les deux mesures CONSTITUTIONNELLES suivantes pour enrayer le processus d’implosion de la fécondité :

 

            1 ) La démocratie complète.

            Les hommes politiques ont fatalement tendance à satisfaire en priorité les votants les plus nombreux : aujourd’hui les personnes âgées. En conséquence ils ne peuvent mettre en route les réformes pourtant indispensables à la survie de la Nation : leur carrière politique ne saurait y survivre longtemps.

            Cependant les jeunes et les enfants sont aussi des citoyens, le fait qu’ils sont mineurs ne doit pas aboutir à ce que leurs intérêts passent après ceux des autres citoyens, ils ont droit eux aussi à l’égalité.

            D’où le principe : Tout citoyen mineur doit avoir le droit constitutionnel intangible d’être représenté par son tuteur légal lors de tout scrutin officiel.

            Cette démocratie complète, révélant plus de douze millions de nouveaux électeurs qui n’ont pas voix au chapitre, bouleversera l’horizon électoral des hommes politiques et leur donnera la possibilité de faire les réformes indispensables et de préserver la politique familiale et ses droits.

            N’oublions pas que le tuteur légal d’un enfant est aujourd’hui tenu par la loi de représenter devant les tribunaux le mineur dont il est responsable.

 

            2 ) L’évaluation officielle chaque année des revenus relatifs moyens selon les grands groupes d’âge de la population adulte.

            L’Institut National de la Statistique et des Etudes Economiques (INSEE) et le Ministère des Finances et de l’Economie doivent publier annuellement, dans l’Annuaire Statistique de la France, la série des estimations officielles des revenus et niveau de vie moyens des jeunes adultes (20 à 40 ans), ainsi que ceux des personnes plus âgées. Un relèvement des allocations familiales devant suivre de droit toute dégradation des revenus et niveaux de vie relatifs des premiers par rapport aux seconds.

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Questions

 

            Quelle est l’importance du budget social de la Nation et celui des allocations familiales ?

            Le budget social est actuellement de l’ordre de 560 milliards d’euros par an, dont 420 à 430 pour l’ensemble des deux postes « vieillesse-survie et « santé » ; 80% de ces deux postes, soit plus de 340 milliards, répondent aujourd’hui aux seuls besoins des plus de 50 ans, alors que le budget des allocations familiales est de 12 milliards d’euros par an soit près de 30 fois moins.

 

            Quand vous pensez au tuteur légal d’un enfant, pensez-vous au père ou à la mère ?

            Electoralement parlant cette question est de peu d’importance : dans l’un ou l’autre cas le bouleversement politique est le même. Cependant, pour diverses raisons, notre groupe d’étude du groupe polytechnicien X-démographie-économie-population pense qu’en général la priorité doit être donnée à la mère.*

 

            Que pensez-vous de la situation de la Russie et de la Chine ?

            Avec une perte démographique de l’ordre de 600 000 à 800 000 par an, la situation de la Russie est très grave, mais au moins le gouvernement russe le reconnait « Le problème numéro un est le problème démographique » a dit Vladimir Poutine dans son récent discours sur l’état de la Russie. La Chine voit aussi un vieillissement massif, fruit évident de la politique de l’enfant unique, mais elle a en plus un effet pervers : les filles sont bien moins nombreuses que les garçons, il en manque déjà plus de 10 millions… On se demande avec inquiétude ce que peut apporter une pareille situation.

            Une chose est sûre : Il n’y a pas de retour spontané possible et toute politique de réparation doit être poursuivie sur une longue durée et ne peut agir qu’à long terme. On mesure là l’importance de la démocratie complète qui mettra les jeunes couples à l’abri des retournements intempestifs de majorité.

 

            Et l’Ukraine ?

            La crise démographique de l’Ukraine est plus violente mais aussi plus récente, elle est donc en principe plus facile à remonter, pourvu que les Ukrainiens ne perdent pas de temps.

 

            D’une manière générale on constate que les médias véhiculent des « idées à la mode » qui sont bien souvent totalement irréalistes, mais cela n’est pas innocent. On constate que des gouvernements ont sciemment planifié des « manipulations démographiques » colossales. Ainsi, au dix-neuvième siècle, après s’être systématiquement emparé des meilleures terres agricoles de l’Irlande confiées à des « colons » écossais ou anglais, le gouvernement britannique se refuse à modifier les lourdes impositions fiscales quand la maladie de la pomme de terre entraîne la famine : l’Irlande continue d’exporter ses fermages sacrés tandis que des centaines de milliers d’affamés errent le long des routes… et les fermiers incapable de payer se voyaient expulsés et leur ferme brulée !  Les huit millions et demi d’Irlandais de 1845 ne sont plus que six millions et demi cinq ans plus tard. Dans les décennies qui suivent plusieurs millions d’Irlandais fuiront la misère et partiront aux Etats-Unis où ils apporteront une haine rouge de l’Angleterre, tandis que les fonctionnaires britanniques  de Dublin chargés du recensement de 1851 commentent cette perte de 2 millions d’hommes en écrivant : « Dans l’ensemble les résultats du recensement sont satisfaisant ».

            Aujourd’hui, et malgré une forte natalité, l’Irlande a moins de 5 millions d’habitants (dont un tiers en Irlande du Nord).

 

            Ne vous étonnez donc pas si les manipulations continuent : j’ai vu de près comment fonctionnaient les fameuses Fondations Rockfeller…

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* Voir « La démocratie déséquilibrée » dans la collection « Questions contemporaines » des éditions l’Harmattan (2003).

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[1] Etrangers résidents compris.

[2] Population totale des ménages, dont « la personne de référence », ou son conjoint, est immigrée au sens de l’INSEE, c’est à dire née étrangère à l’étranger, en l’occurrence dans un pays du Magheb, de l’Afrique, ou en Turquie. Cette population comprend des Français nés en France, mais elle est créditée des références culturelles des « personnes de référence » de ces ménages, ou de leurs conjoint, et d’une certaine solidarité ethnico-linguistico-culturelle et religieuse avec ces personnes, car vivant ordinairement avec elles sous leurs toits.