Groupe X-Démographie-Economie-Population

Conférence du 21 Novembre 2001

Syndicalisme, société et mondialisation

Par Claude Cambus

Vice-président de la Confédération Française de l’Encadrement (CFE-CGC)

Secrétaire général de la Confédération Européenne des Cadres

Monsieur Cambus commence sa conférence par des remarques sur la définition du mot " cadre ", définition difficile car le cadre se caractérise par des compétences " dures " tandis que les sciences humaines sont des sciences " molles ". Prenons une comparaison : comment définiriez-vous le mot " ami " ? pourtant si l’on vous dit " c’est un ami " vous comprenez très bien ce que l’on veut vous dire.

Le syndicalisme est plus mal vu en France qu’ailleurs en Europe et seulement 8% des salariés français sont syndiqués contre 70% en Belgique, 80 à 90% en Scandinavie et autour de 40% en Allemagne. En Grande-Bretagne la situation est particulière, les syndicats ont beaucoup perdu depuis le gouvernement de Madame Thatcher qui affronta sans faiblir des grèves très dures mais il y avait près de 13 millions de syndiqués dans les syndicats britanniques (T.U.C.) en 1980 contre environ 1,5 million déclarés aujourd’hui par les cinq syndicats français. Reconnaissons tout de même que, malgré la faiblesse relative du syndicalisme français, l’état social actuel est le fruit des " confrontations sociales " dans lesquelles les syndicats ont joué un rôle très important.

Une question d’Alain Loubeyre : Quelle est la place de la CGC dans la syndicalisme français ?

La CGC a été crée en 1944 et institutionnalisée en 1947. Pendant longtemps elle n’a concerné que les cadres et s’est étendue au personnel d’encadrement dans les années 70. Elle reste le quatrième syndicat français (derrière la CGT et la CFDT quasi à égalité, puis FO) , mais elle est très importante voire majoritaire chez les cadres, elle a obtenu 54% des voix aux dernières élections de la caisse de retraite des cadres. Reconnaissons cependant que nous avons, ainsi d’ailleurs que les autres syndicats, les plus grandes difficultés à convaincre les jeunes de venir nous rejoindre.

Une question de Jules Leveugle : N’y a t-il pas une grande dissymétrie entre le public et le privé ?

Effectivement la proportion des syndiqués monte à 20% dans les entreprises publiques et n’est guère que de 5% dans les entreprises privées, mais, à la différence des autres syndicats, les deux tiers des syndiqués de la CGC sont dans le privé.

Pour comprendre l’incidence de la mondialisation il faut d’abord que je vous décrive le modèle social européen cher au cœur de nos syndicalistes.

Ce modèle social se caractérise par :

│ Un niveau de vie relativement élevé (surtout par comparaison aux autres nations).

│ Une protection sociale généralisée (il y a aux USA 40 millions d’exclus de la │protection sociale. Ils peuvent bien sûr se faire soigner, mais à leur frais...).

│ Un dialogue social dans l’entreprise et dans la société.

│ Une reconnaissance de l’intérêt de l’action publique.

C’est ce modèle social que nous défendons dans les réunions de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) et qui risque d’être mis à mal par la mondialisation et en particulier par la mise en concurrence des salariés européens avec les salariés à bas salaires du tiers-monde.

Il nous faut aussi parler du concept de " société civile organisée ".

C’est un concept utilisé aussi bien par les responsables politiques que par les ONG, mais avec des sens différents. Pour les premiers, conscients de la coupure entre la société et le monde politique, il faut rapprocher les citoyens des institutions. Pour les seconds il faut " donner du pouvoir à la base ", des moyens de proposition, d’action et de contrôle.

En fait c’est un peu plus compliqué que cela. Prenez l’exemple des éoliennes : les partis écologistes les prônent, font des études, des évaluations et des projets ; de temps à autre ces projets sont pris en compte par les pouvoirs publics qui prennent la décision politique de les mettrent en œuvre, mais interviennent alors d’autres associations de défense de l’environnement qui contestent l’installation d’éoliennes à des endroits jugés " sensibles ". C’est la difficulté classique : nous voulons des autoroutes, des TGV, des prisons modernes, etc. mais surtout pas dans ma commune ! Il suffit de penser à ce qui se passe en ce moment pour le troisième aéroport de Paris.

Il nous faut enfin considérer le " pouvoir économique et social ".

On peut mettre en parallèle d’une part le pouvoir politique dont la légitimité vient de l’élection et le pouvoir économique et social qui est celui des acteurs de la vie économique dans notre société productive et marchande.

Cette société civile organisée a bien sûr pour piliers les entreprises qui constituent le facteur d’intégration sociale le plus important par le travail et qui sont représentées par le " patronat " et les " syndicats ". Mais il ne faut pas oublier le secteur de l’économie solidaire, les mouvements associatifs et les ONG dont en définitive le rôle est de récupérer les quelques 10 à 20% de citoyens qui, pour de multiples raisons, échappent à l’intégration par le travail.

Nous en arrivons au dialogue social, concept essentiel du syndicalisme.

Le premier élément c’est la primauté de la loi sur l’accord : l’autorité politique définit les minimas qui doivent de toute façon être respectés et qui permettent d’éviter les gros abus. Les négociations permettent d’obtenir des avantages supplémentaires. Les stades de la négociation sont : l’accord interprofessionnel qui doit être un accord de méthode, l’accord de branche qui fixe des contenus (très utile en particulier pour les PME qui n’ont guère les moyens d’étudier en détail tout ce qui est nécessaire à un bon accord) et enfin l’accord d’entreprise qui peut apporter des améliorations locales par rapport à l’accord de branche.

Bien entendu cette manière d’agir a ses avantages et ses inconvénients. Les décisions politiques ne sont pas toujours en phase avec les réalités économiques, mais d’un autre côté il est parfois bon qu’un progrès soit imposé à un patronat réticent. Il est d’ailleurs fréquent que l’essentiel, aux yeux des managers, ne soit pas tant qu’on ne leur impose pas une charge nouvelle, mais qu’on l’impose aussi à leurs concurrents. A ce point nous retrouvons un nouvel effet de la mondialisation : il faut veiller à ce que la concurrence extérieure soit loyale.

Dans le dialogue social nous avons l’habitude de considérer : un homme (masculin ou féminin) = une voix. Cependant cela écrase le groupe structurellement minoritaire des cadres et sa capacité d’exprimer ses problèmes particuliers. C’est pour cela que, dès la fin du dix-neuvième siècle, furent constitués les premiers syndicats spécialisés ancêtres de la CGC, dans la métallurgie et la chimie notamment.

En ce qui concerne le dialogue social actuel, je dois dire que je suis assez déçu par l’évolution du MEDEF lequel est maintenant dirigé par des financiers et non plus par des industriels ou des entrepreneurs. Ces financiers connaissent beaucoup moins la réalité humaine de ce dont ils parlent et veulent donner abusivement la priorité aux accords d’entreprise en inversant la hiérarchie du droit.

A l’échelon européen les traité de Maastricht et d’Amsterdam prévoient la consultation des partenaires sociaux (article 137) et la capacité d’un dialogue social autonome, capable de se substituer au législateur pour les questions de son champ de compétence (article 138). On compte déjà 3 accords importants sur le travail temporaire, le congé parental et les contrats à durée déterminée.

Les partenaires sociaux européens ont pour nom UNICE (le MEDEF européen), UEAPME (Union Européenne des Artisans et Petites et Moyennes Entreprises), CEEP (Centre Européen des Entreprises à Participation publique), CES (Confédération Européenne Syndicale), CEC (Confédération Européenne des Cadres). Les deux dernières représentent respectivement 60 millions et 1 million de membres.

Au niveau mondial l’organisation dépendant des Nations-Unies est l’OIT (Organisation Internationale du Travail). On y trouve 3 représentants par pays : un pour le gouvernement, un pour les entreprises et un pour les syndicats. L’OIT élabore par consensus les règles mondiales du travail.

Les organisations syndicales mondiales sont la CISL (Confédération Internationale des Syndicats Libres) avec environ 70 millions de membres et la CMT (Confédération Mondiale du Travail) avec environ 20 millions de membres. Mentionnons aussi la FSM (Fédération Syndicale Mondiale) qui n’existe plus guère mais avait eu, au temps du communisme, jusqu’à 250 millions de membres car tous les travailleurs des pays de l’Est y étaient obligatoirement affiliés. On peut raisonnablement estimer que le syndicalisme mondial est un vecteur d’équité et de solidarité dans le développement et il faut noter que les syndicats sont très régulièrement consultés par l’OCDE.

Abordons maintenant notre point de vue sur la mondialisation.

Nous voulons tout d’abord défendre le modèle social européen et nous pensons que la théorie économique du marché ne peut remplacer la primauté du politique.

Nous insistons pour que le développement soit respectueux de l’environnement tant social que naturel et climatique. Bien entendu cela rencontre la résistance aussi bien du tiers-monde, qui est prêt à payer très cher son développement en termes de dégradation de l’environnement, que des Américains, dont beaucoup considèrent que ces questions sont de peu d’importance. Nous enregistrons tout de même quelques succès et les campagnes pour boycotter telle ou telle compagnie polluante ou peu regardante sur les conditions de travail de ses sous-traitants du tiers-monde sont de plus en plus efficaces tant en Europe qu’aux Etats-Unis.

La mondialisation doit être régulée et les grands blocs économiques UE, ALENA, ASEA, MERCOSUR peuvent beaucoup dans ce sens. Rappelons que l’Union Européenne est autosuffisante à 92%, c’est vraiment un groupe économique, il en est de même des autres grands blocs et le monde ne peut pas être un immense marché ouvert car les êtres humains sont très loin d’être aussi mobiles que les biens et les capitaux.

En conclusion je dirai que " le monde ne peut pas être laissé à lui-même " ou en clair que la loi du marché ne doit pas être la seule loi. Je donnerai au passage un coup de chapeau à Monsieur Maurice Allais qui souligne les effets pervers du tout-marché et du règne des financiers qui nagent trop dans l’abstrait, notamment en ce qui concerne les échanges de capitaux 70 fois plus important que les échanges de biens et de marchandises. (Ici Monsieur Cambus cite une anecdote : une rencontre dans l’Eurostar avec des jeunes financiers français travaillant à Londres et inconscient du fait que leurs décisions se traduisaient souvent par des drames humains...). Le politique doit reprendre la main et nous devons aller vers la responsabilité sociale de l’entreprise et vers un capitalisme responsable.

La société civile est un acteur majeur de la société et le syndicalisme en est l’une des composantes historiques.

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Questions

Que pensez-vous de la réunion de l’OMC à Doha ?

J’aurai une réponse très critique. Les vrais problèmes ont été évités.

Les grandes entreprises multinationales font face à des syndicats différents ce qui leur donne des possibilités de manœuvre. Qu'en pensez-vous ?

J’irai même plus loin que vous : Il y a aux USA une culture anti-syndicale. Ainsi en Géorgie on est fier de l’absence de syndicats, et l’on fait "ce qu’il faut " pour que cette situation continue, car ainsi les investisseurs sont attirés par cet Etat. Le système américain est bien différent du nôtre : pas de syndicat dans une entreprise tant qu’une majorité ne l’a pas demandé, mais ensuite, quand le syndicat est en place, tout le monde est obligatoirement syndiqué et la cotisation syndicale est automatiquement prélevée sur la paie...

J’insisterai sur un autre point des relations internationales : les difficultés de traduction, ainsi si vous traduisez en allemand le mot solidarité par Solidarität ou par Verplichtung vous éveillez dans la tête de vos interlocuteurs des idées de gaspillage et de fainéantise, les uns vivant sur le dos des autres. De même selon que le mot Midbestimmung est traduit par co-détermination ou par co-gestion l’interprétation en français n’est pas la même : la co-gestion est refusée et la co-détermination (bonne traduction) acceptée, elle ne veut pas dire gestion partagée...

J’ai une question théorique, que vont devenir dans la mondialisation tout ces sous-ensembles que nous connaissons : Nations, syndicats, entreprises familiales ou par actionnaires ?

Réponse : Nous avons assisté successivement à des concentrations puis à des externalisations et maintenant à des recentrages sur l’essentiel avec développement des sous-traitances. Il faut comprendre que les tendances fortes vont vers l’information immédiate, quasi-générale et quasi-gratuite et même pour les biens le coût des transports diminue constamment et devient très faible : on fait laver les pommes de terre allemandes en Italie avant de les rapatrier, on voit des voitures assemblées en Europe avec des moteurs fabriqués au Japon... Nous allons inévitablement vers de grandes modifications mais je suis raisonnablement optimiste.

Vous avez parlé des mouvements de capitaux 70 fois plus importants que celui des marchandises et des biens. Nous pensons que cela est lié au vieillissement de la population : les fonds de pension américains et leurs équivalents européens et japonais deviennent énormes et cherchent toutes les occasions de conserver et si possible augmenter leur valeur. En France la moitié des revenus appartient aux plus de cinquante ans...

Réponse : Certes il doit y avoir de cela. On notera que le développement de cette tendance est aussi lié au grand développement des bourses depuis 1980. Il ne serait pas sans intérêt de mettre en place un meilleur contrôle des marchés.

Monsieur Cambus termine son exposé par quelques réflexions sur l’Europe social-démocrate mais à politique libérale et cite quelques exemples criants des aberrations de la commission européenne.

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