X-DEP , CONFERENCE DU 12 MAI 1998.

REVENU RELATIF ET FECONDITE

Par Philippe Bourcier de Carbon, Chargé de Recherches à l'Institut National d'Etudes Démographiques (INED, 133 Bd Davout 75020 Paris).

(Annexe 4 du document : De la théorie géocentrique à la transition démographique : comment meurt une théorie scientifique.)

 

1. " Transition démographique " ou " Régime démographique contemporain "?

Malgré les travaux contraires de l'irlandais Richard Cantillon et des français Adolphe Landry et Alfred Sauvy (Richard Cantillon (1680-1734) économiste et démographe, auteur d' " Essai sur la nature du commerce en général ". Adolphe Landry (1874-1956) économiste, démographe, élu du parti radical-socialiste, législateur de la troisième République et inspirateur du " code de la famille " de 1939. Alfred Sauvy (1898-1990) démographe, disciple de Landry et fondateur de l'Institut National d'Etudes Démographiques.) la théorie de la transition démographique, élaborée par Notestein et la Fondation Rockfeller dans les années 30 et 40, s'est répandue tout d'abord aux Etats-Unis puis a été pratiquement imposée comme référence de base au reste du monde à partir des années 50.

La divergence essentielle porte sur le stade final de l'évolution : y aura-t-il ou non convergence spontanée vers un équilibre naturel entre une basse mortalité et une basse natalité? On comprend aisément que la Fondation Rockfeller ait pu imposer ses thèses sur l'équilibre final naturel car l'homme est psychologiquement enclin à admettre ce qui le rassure et à rejeter ce qui l'effraie (Deux exemples simples de cet état d'esprit, l'un très ancien et l'autre très récent :

A) La Terre est-elle immobile au centre de l'Univers? Les astronomes qui osaient dire qu'elle tournoie de guingois lancée dans une course folle autour du Soleil étaient mal vus et parfois très mal vus.

B) Au cours d'une récente réunion syndicale un participant essaie de mettre les autres en garde contre les " trente cinq heures " lesquelles vont sans doute faire perdre plus d'emplois qu'elles n'en feront gagner, surtout si elles sont payées trente neuf heures. Il est bientôt interrompu par un contradicteur qui s'écrie, aux applaudissements de l'assistance : " Est-ce-que l'on va laisser parler longtemps ce vendu au Grand Capital ? ". Seule l'expérience, et encore, pourra les faire changer d'avis)

Or quoi de plus rassurant qu'un équilibre démographique naturel? Tandis que le " régime démographique contemporain " de Landry et Sauvy a de quoi effrayer : la natalité y dépend essentiellement des décisions individuelles des jeunes couples - c'est-à-dire en langage économique moderne qu'elle a une fonction d'" utilité " - elle dépend par conséquent de la place faite aux jeunes couples dans la société, ce qui peut aisément entraîner un taux de naissances très insuffisant d'où vieillissement puis dépopulation et décadence. Ce " régime démographique contemporain " s'apparente d'ailleurs aussi à celui de la Rome antique des derniers siècles ce qui ne contribue évidemment pas à son prestige, même si cela n'entache pas, bien au contraire, le sérieux du travail de Cantillon, Landry, Sauvy et leurs successeurs actuels.
 
 

2. La pyramide des âges de l'Union Européenne.

Il n'est plus aujourd'hui possible de soutenir la théorie de l'évolution spontanée vers un équilibre démographique naturel, même si hélas les études prospectives des bureaucrates bruxellois continuent de l'utiliser imperturbablement. La natalité décroche de plus en plus, jusqu'à 4% par an en Europe centrale, et le phénomène colossal de " l'inversion de la pyramide des âges "(Fig.11) se déroule sous les yeux aveugles de nos décideurs politiques obsédés par le court terme et la prochaine échéance électorale...Ajoutons que l'Europe n'est pas isolée dans cette évolution, même si elle en est l'avant-garde, et la natalité descend presque partout à un rythme vertigineux y compris dans la plupart des pays en développement . Cependant, si l'on n'y porte remède par une politique volontariste appropriée, l'avance de l'Europe dans ce mouvement d'effondrement démographique ne manquera pas d'avoir bientôt les plus lourdes conséquences économiques et sans doute politiques.

fig 11 Pyramide des ages de l'Europe des 15

3. Le lien entre revenu relatif et fécondité.

 Quels sont donc les facteurs qui influent le plus sur la fécondité?

Richard Cantillon, au 18e siècle, avait déjà remarqué que l'élément essentiel est de " tenir son rang " et si le mariage ou la naissance d'un nouvel enfant vous déclasse par trop il est peu probable que vous vous y résolviez. Dans le " régime démographique contemporain " décrit par Landry et Sauvy la fécondité ne dépend plus guère des contraintes sociales, elle est surtout déterminée par les utilités individuelles relatives et ce d'autant plus aisément qu'il est devenu très simple de refuser la venue d'un enfant.

En somme quand un jeune couple se pose la question de savoir s'il doit ou non se marier, s'il doit ou non avoir un nouvel enfant il ne compare pas sa situation avec celle des faubourgs de Calcutta ni même avec la situation, beaucoup moins aisée, de ses parents il y a trente ans. Non, il se demande tout simplement : Qu' allons nous devenir dans un cas et dans l'autre? Comment notre situation va t'elle évoluer si nous mettons au monde un nouvel enfant? Et s'il fait une comparaison avec la situation de ses parents, c'est la situation d'aujourd'hui qu' il examine et non celle d'il y a trente ans qu'il connaît beaucoup moins.

Cette analyse est magnifiquement corroborée par l'examen de la fécondité des jeunes Américains sur lesquels on dispose d'études économiques précises car les statistiques salariales américaines tiennent compte des classes d'âges.

Les figures 12 à 18 donnent un raccourci de ces informations.

Fig 12. Le taux brut de reproduction (nombre moyen de filles par femme) et le taux net (taux brut corrigé de la mortalité des fillettes et des jeunes femmes) aux Etats-Unis pour la période 1900-1993.

Les figures 12 à 14 sont purement démographiques. La figure 12 montre les deux taux de reproduction : le taux brut (nombre de filles par femme) et le taux net (correction du taux brut par la mortalité des fillettes et des jeunes femmes). Ces deux taux se rejoignent au cours du 20e siècle car la mortalité des jeunes ne joue plus guère; ils ont de très fortes variations concomitantes où l'on reconnaît la crise des années 30, le baby-boom de l'après-guerre et le recul d'aujourd'hui plus important que celui de la crise.

Fig 14. Rapport de vieillissement : effectif des 60 ans et plus / effectif des moins de vingt ans.

Les figures 13 et 14 donnent une idée du vieillissement de la population américaine sur 1900-2050 avec trois hypothèses de l' ONU sur la fécondité future : seule l'hypothèse très haute et peu vraisemblable de 2,5 enfants par femme à partir de 2005 permet d'arrêter le vieillissement. C'est d'ailleurs là l'un des aspects du drame : les jeunes d'âge fécond devenant minoritaires les hommes politiques, toujours soucieux de leur réélection, auront fatalement tendance à donner les priorités aux personnes âgées ce qui poussera encore à la baisse de la fécondité et au vieillissement.

Fig 15. Evolution des revenus et salaires par tête aux USA pour la période 1929-1994. ( Base 1 en 1929).

Nota. Ces courbes par définition démarrent à 1 en 1929 et s'il est logique d'utiliser les dollars 1994 pour les calculer et les tracer (puisqu'elles s'arrêtent en 1994) il va de soi qu'elles resteraient les mêmes pour n'importe quel autre ''dollar constant''. En dollars 1994 la courbe des revenus annuels démarre à 10 760 $ et monte à 30 760 $ , celle des salaires annuels ne concerne que les salariés (chômeurs compris), elle démarre à 11 020 $ mais ne termine qu'à 26 530 $.

Les figures 15 à 17 sont purement économiques. La figure 15 montre la progression énorme du revenu moyen, sauf pendant la crise, mais le salaire moyen (source principale du revenu des jeunes) stagne depuis 1973. La figure 16 confirme cette différence en mettant en évidence la progression depuis la guerre des intérêts et des dividendes mais c'est la figure 17 qui est la plus impressionnante en montrant l'évolution de la retraite moyenne par rapport au salaire moyen : la variation est d'un rapport 3 en 34 ans...

Fig 17. Evolution du rapport retraites/salaires par tête, USA, 1960-1994.

Il s'agit des retraites statutaires des inactifs et cette figure ne tient pas compte de leurs intérêts et dividendes ni du revenu de leurs capitaux.

La figure 18 enfin combine les informations économiques et démographiques et rend évidente la très forte corrélation entre la fécondité des jeunes et leur salaire moyen, non pas absolu, mais relativement à celui de leurs anciens de plus de 40 ans.

 Fig 18. Evolution du rapport du salaire moyen des moins de 40 ans à celui des plus de 40 ans, (base 1 en 1929 et chômeurs compris dans les deux cas) et comparaison de cette évolution avec celle de la fécondité (Indice conjoncturel de fécondité = ICF = nombre moyen d'enfants par femme), avec là aussi une base de 100% en 1929 afin de faciliter la comparaison.

Pour obtenir l'ICF il suffit de savoir que sa valeur en 1929 était de 2,44 enfants par femme, soit donc proportionnellement 3,77 lors du maximum de 1957 et 2,05 enfants par femme en fin de tracé en 1993. De même le rapport des salaires était de 0,80 en 1929, il monte à 0,94 en 1957 et termine à 0,73 en 1993. On notera que les variations de l'ICF sont trois fois plus fortes que celles du rapport des salaires : le phénomène est d'une très grande sensibilité.

Notez que les variations relatives de l'indice de fécondité sont trois fois plus importantes que celles du rapport des salaires, le phénomène est d'une grande sensibilité.

La société américaine des années 1945-60 faisait les plus grands efforts en faveur des boys victorieux du conflit mondial et de la guerre de Corée, ainsi la généralisation massive des prêts à long termes bonifiés au logement (garantis par le Gouvernement fédéral et la Federal House Administration), l'institution des bourses Fullbright, le relèvement des Veterans Benefits au profit des jeunes démobilisés, etc. et pendant près de vingt ans la fécondité américaine est restée supérieure à 3 enfants par femme, avec un maximum de 3,77 en 1957.

A partir de 1965, et surtout 1973, le mouvement inverse se produit (Les vétérans du Vietnam n'ont pas eu, et de très loin, les aides accordées à leurs ainés de Corée, d'Europe et du Pacifique... " Vae Victis "!). Des milliards de dollars se dirigent vers les seniors, lesquels ne sont d' ailleurs que les juniors des années 40, avec des conséquences rapides et énormes sur la fécondité américaine : elle baisse de moitié entre 1960 et 1980...Le léger, et d'ailleurs insuffisant, relèvement des années 1990, étant essentiellement dû à l'arrivée des vagues d'immigrants d'Amérique Latine (Fig 19).

Fig 19. Taux annuel d'immigration (pour 1 000 personnes) USA, 1929-1992.

Ainsi cette étude, et celle essentiellement européenne de Jacques Bichot sur l' efficacité des politiques familiales (présentée ici-même en Octobre dernier) confirment la pertinence des analyses de Cantillon, Landry et Sauvy sur la " Révolution démographique contemporaine " et soulignent l'aspect final mythique de la théorie de la " Transition démographique " : la fécondité n'évolue nullement vers un équilibre final spontané entre natalité et mortalité, elle dépend essentiellement du niveau de vie des jeunes relativement à celui de leurs anciens et du niveau de vie des jeunes couples relativement à celui des célibataires, compte tenu bien sûr des charges de famille...

Il serait temps que nos dirigeants se rendent compte de cette énorme différence entre les deux théories démographiques et abandonnent leurs prospectives optimistes et infondées, sinon l'Europe risque de subir en grand ce que la Creuse ou les Basses-Alpes ont subi en petit : écrasés par les charges les jeunes ont fui et des cantons entiers sont morts dans la misère.

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Impressionnés par l'exposé les auditeurs n'ont posé que peu de questions, essentiellement techniques, après quoi Monsieur Michel Robatel a présenté son association " Rajeunir et peupler la France " en insistant sur les raisons qui font que l'on peut encore inverser la tendance.

" Rajeunir et repeupler la France " 17 rue Duquesne 69006 Lyon, Tel : 0472440729 (Fax 0478172462).

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Graphiques manquants :

Fig 11. La pyramide des âges de l'Union européenne le 1-1-1997.

Mettez par la pensée une barre au niveau de 1966 et imaginez la forme de la pyramide d'alors...Imaginez aussi la situation dans vingt ans, quand le nombre des jeunes femmes de 25 à 39 ans sera beaucoup plus faible.

Fig 13. Proportion des femmes de 20 à 40 ans sur l'ensemble des adultes (USA 1900-2050)

Fig 16. Structure des revenus, USA, 1929-1994.

Les revenus du travail, dont les salaires, utilisent l'échelle de gauche de 58 à 78% ; les intérêts et dividendes utilisent l'échelle de droite de 6 à 22%.