Groupe X-Démographie-Economie-Population

Exposé du mardi 17 janvier 2012

Evolutions démographiques et croissance : quelles perspectives ?

Développement économique et vieillissement.

 

 

Par le camarade Didier Blanchet,

Chef du département des études économiques d’ensemble de l’INSEE

Rédacteur en Chef d’ « Economie et Statistique »

 

 

Le principal canal par lequel la démographie est susceptible de jouer sur la croissance est celui du ratio de dépendance, qui est appelé à s’élever sous l’effet du vieillissement. Il s’agit d’un mécanisme quantitatif direct. Les impacts indirects qui pourraient transiter par le taux de croissance de la productivité ou d’autres variables sont plus faibles et moins bien caractérisés. La principale manifestation de cet impact est la croissance des dépenses sociales, dont le contrôle et le financement sont devenus une priorité pour notre pays.

 

1.    Un rappel sur la description du phénomène du vieillissement que connaît la France aujourd’hui

 

Il est important de bien situer les trois composantes du vieillissement ; la baisse des taux de mortalité qui entraîne l’allongement de la durée de vie, les effets du « baby boom » qui entraîne une modification de la pyramide démographique avec un afflux dans les tranches d’âge nées dans l’après-guerre, et enfin le troisième facteur, la baisse de la fécondité. Les calculs faits pour déterminer la part de chaque facteur dans l’évolution démographique mettent en avant le rôle majeur, pour ne pas dire exclusif, de l’augmentation de l’espérance de vie.

 

Il faut rappeler que celle-ci a presque doublé au cours du 20ème siècle ; elle atteint au aujourd’hui un niveau de 84,8 ans pour les femmes et de 78,2 ans pour les hommes. Cette tendance devrait se prolonger au cours des trente prochaines années, l’espérance de vie des femmes se situant en 2040 aux alentours de 90 ans et celle des hommes entre 82 et 84 ans.

 

La fécondité, après avoir connu des niveaux de 2,5 à 3 enfants par femme jusqu’au début des années 70, a chuté en dessous de 2 ensuite en moins de dix ans et fluctue depuis les années 80 entre 1,8 et 2. Les hypothèses faites dans les prévisions actuelles restent dans ces fourchettes.

 

Quant au baby-boom, son effet est en deux temps : il commence par rajeunir la population après quoi le vieillissement réaccélère lorsque les baby-boomers arrivent aux âges élevés. C’est le rajeunissement initial qui est transitoire, le vieillissement qui lui fait suite doit se lire comme un phénomène de retour durable à la normale.

 

Dans l’ensemble des projections actuellement étudiées, on constate que le ratio de dépendance (considéré par convention comme le rapport du nombre des plus de 60 ans à celui des 20-60 ans) va fortement augmenter dans l’avenir. Le ratio de dépendance démographique n’a pas beaucoup augmenté entre 1950 et 2006, car il est passé de 0,30 à 0,39. Depuis 2006, il augmente rapidement, et cette augmentation se poursuivra jusqu’en 2035 où le ratio atteindra 0,66. Au-delà de 2035, le ratio augmentera

moins rapidement, et il se stabiliserait à 0,70 entre 2050 et 2060. Les raisons en sont l’augmentation de la tranche d’âge des plus de 60 ans, alors que la population des 20-60 ans devrait stagner, voire régresser si les flux migratoires venaient à diminuer (la stationnarité étant acquise avec un taux de fécondité de 1,9 et un flux migratoire net de 100 000 personnes par an).

 

2.   Le lien entre vieillissement et croissance potentielle

 

Le premier effet du vieillissement correspond à l’impact du taux de dépendance sur le revenu ou le produit par tête. Cet effet est mécanique et c’est le plus important. A comportement d’activité donnée, le taux de croissance annuelle du produit par tête est la somme de deux éléments, le taux de croissance annuelle de la productivité du travail et la différence entre le taux de croissance de  la population d’âge actif et le taux de croissance de la population totale. L’augmentation du ratio de dépendance fait que le deuxième terme est devenu négatif, d’environ 0,5 points par an. Ceci représente le manque à gagner en termes de croissance potentielle qui est imputable à l’évolution démographique. Ce manque à gagner pèse d’un poids relatif d’autant plus fort que les progrès de productivité sont faibles. Le taux de croissance de la productivité du travail a été de l’ordre de 2% par an jusqu’en 2000 mais est plus faible depuis le début du 21ème siècle, inférieur à 1% par an. L’impact relatif de l’évolution du taux de dépendance serait moins sensible avec un rythme de croissance de la productivité revenant vers 2%. Mais si la tendance actuelle se prolongeait durablement, il peut en résulter une croissance extrêmement molle. Il faut toutefois bien noter que ce facteur démographique négatif est temporaire : il a tendance à se résorber progressivement au cours des trois prochaines décennies.

 

On peut ensuite compliquer l’analyse en imaginant que le vieillissement a aussi un impact sur la croissance de la productivité. Néanmoins le lien entre âge et productivité individuelle est mal connu. Et, de toute manière, qu’il soit croissant ou décroissant, l’effet que ceci implique pour le lien entre structure par âge et productivité moyenne semble être du « troisième ordre » par rapport à l’effet mécanique direct vu plus haut. Il en va de même pour les autres canaux par lesquels la démographie peut influencer la croissance. Par exemple, l’hypothèse d’un cycle de vie du revenu et de l’épargne avec baisse de l’épargne aux âges élevés implique en théorie un impact du vieillissement sur l’épargne globale et sur l’accumulation du capital qui peut affecter la croissance. Mais cet effet reste difficile à confirmer empiriquement. Il existe aussi des réflexions portant sur le développement de besoins nouveaux liés au vieillissement, sur l’incidence du vieillissement sur l’accumulation du capital humain, la réduction de la pression à l’entrée sur le marché du travail. Mais force est d’admettre que ces effets sont à la fois incertains et d’ampleur secondaire par rapport à l’effet dominant du ratio de dépendance.

 

3.   La croissance tendancielle des dépenses sociales

 

La croissance attendue des dépenses sociales est l’un des canaux par lesquels s’exprime cet impact du ratio de dépendance, mais tous les postes de dépenses sociales ne sont pas également affectés par le vieillissement.

 

L’impact est plus faible qu’on ne le croit souvent en matière de dépenses de santé. La probabilité ­d’apparition de maladies importantes et coûteuses à soigner augmente certes avec l’âge, et la courbe des dépenses de soins est croissante avec celui-ci, d’une manière très rapide au-delà de 50 ans. Mais ceci ne suffit pas à faire du vieillissement démographique le facteur majeur de la hausse des dépenses de santé.

 

La causalité serait plutôt inverse. La formidable augmentation des dépenses de santé constatée dans tous les pays au cours des quarante dernières années est principalement liée aux progrès de la médecine La croissance historique des dépenses de santé est d’abord due à un formidable «progrès de gamme», comme dans le traitement des maladies cancéreuses ou en chirurgie cardiaque ou vasculaire. Ces progrès de la médecine autorisent des augmentations significatives de la durée de vie de la population. Le vieillissement de la population est donc en large partie une conséquence des progrès de la médecine.; d’ailleurs quand on fait la comparaison entre 1992 et 2000 des dépenses de santé par personne aux différents âges, on constate une forte augmentation, globalement croissante avec l’âge à partir de 50 ans. Cette tendance pourrait encore s’amplifier pour l’avenir.

 

C’est dans le domaine désormais bien connu des retraites que les conséquences de l’évolution démographique sont les plus directes et les plus importantes. L’augmentation tendancielle du ratio de dépendance oblige les pays à trouver des solutions pour éviter la dérive des systèmes de retraite. Ces solutions mettent en jeu trois paramètres qui sont mobilisés de manières différentes suivant les pays et les circonstances : les taux de cotisations, les taux de remplacement et les durées d’activité. La crise a eu un effet négatif sur les perspectives de croissance et d’emploi, qui peut être durable et se traduira à terme par un surcroît de besoins de financement, s’ajoutant aux effets du vieillissement démographique. Le besoin de financement du système de retraite a augmenté entre 2008 et 2010 d’environ 20 Mds€ et serait de l’ordre de 40 Mds€ en 2015 alors qu’il était estimé avant la crise à 16 Mds€ dans le scénario de base du Conseil d’orientation des retraites en 2007.

 

Le développement de la capitalisation présente l’avantage d’être «responsabilisante» pour les futurs retraités, qui font un lien direct et personnalisé entre leurs cotisations et leur revenu futur, encourage l’épargne longue, donc l’investissement et la croissance, et apparaître comme judicieux dans une perspective de division des risques. Mais ce débat semble avoir perdu son actualité en raison de la crise et des graves problèmes rencontrés par les gestionnaires de fonds de pension. Globalement, la capitalisation n’offre pas une solution miracle au vieillissement. C’est au mieux une façon alternative d’en financer le coût, avec ses avantages et ses inconvénients.

 

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