Groupe X-Démographie-Economie-Population
Exposé
du Mercredi 10 Décembre 2008
La
problématique économique du XXIème siècle : ne rêvons pas à la croissance
zéro !
Par Jacques Bichot, économiste, professeur des universités
(IAE de l’Université Jean Moulin Lyon 3)
Il est fort peu probable que la croissance mondiale devienne nulle au cours du prochain demi-siècle : même au cas où la population du globe se mettrait à diminuer vers 2040 en raison de ce qu’il est convenu d’appeler « l’implosion démographique », quatre êtres humains sur cinq ont le désir d’augmenter fortement leur niveau de vie, et la croissance de la production par tête l’emportera sans doute largement sur la réduction du nombre de producteurs. Quand des milliards d’hommes ont à peine de quoi se nourrir, sont logés de façon très spartiate, ont accès à peu de soins médicaux, manquent de services d’instruction, et ainsi de suite, tout en étant globalement employés très en dessous de leurs capacités, l’idée de croissance zéro est un rêve de nantis qui peuvent dès maintenant satisfaire la plupart de leurs besoins. Le FMI ne vient-il pas de risquer une projection selon laquelle le nombre de voitures particulières quintuplerait d’ici 2050, de 600 millions à 2,9 milliards de véhicules ? L’augmentation se produirait à hauteur de 1,9 milliards – trois fois le parc automobile actuel – dans les pays émergents ou en développement[1]. Même en Occident et au Japon, une proportion notable de la population aspire à consommer davantage, quitte à travailler plus, comme le montre la complainte relative au pouvoir d’achat.
De plus, la croissance pose quantité de problèmes qui ne peuvent trouver de solution socialement acceptable que grâce à encore plus de croissance. La pollution, l’épuisement de certaines ressources naturelles, le réchauffement climatique, la concentration urbaine, et d’autres problèmes liés aux modes de production et de consommation des pays industrialisés, requièrent de nouvelles technologies, qui feront leur apparition et remplaceront les anciennes, conformément au schéma de destruction créatrice exposé par Joseph Schumpeter. L’invention et la mise en œuvre de ces techniques à venir utiliseront vraisemblablement plus de capital et de travail : il va falloir investir toujours plus massivement dans la recherche fondamentale et dans la recherche-développement, et remplacer des quantités impressionnantes de matériel relevant des technologies du XXème siècle. Les économies d’échelle réalisables quand on passe d’un à six ou sept milliards de consommateurs aisés sont probablement modestes comparées à l’usage supplémentaire de ressources rares, à commencer par le travail, qui est nécessaire pour permettre à ces six ou sept milliards de personnes de vivre confortablement sans dissiper notre stock de ressources naturelles. Par exemple, quelques centaines de millions d’êtres humains peuvent se déplacer, se chauffer ou se rafraîchir, et faire tourner leurs usines avec assez peu de travail et de capital, en puisant largement dans le stock mondial d’hydrocarbures facilement accessibles ; mais cette solution n’est pas praticable par six milliards d’individus.
Nous devons donc réfléchir aux défis que devra relever une humanité dont la composante aisée va augmenter fortement, sur fond de vieillissement et de croissance modérée ou de déclin du nombre total des hommes. La multiplication des riches sera probablement à la fois l’atout et le talon d’Achille de l’espèce humaine au XXIème siècle. Les actuelles personnes aisées, au nombre d’environ un milliard, ont une responsabilité particulière pour découvrir les technologies et les modes d’organisation qui permettront un jour à notre planète de supporter six ou sept fois plus de nantis.
Il ne faut pas se faire trop
d’illusion sur la précision des données : n’a-t-on pas vu récemment, par
exemple,
Ceci étant, les ordres de
grandeur fournissent des indications du plus haut intérêt. Le PIB américain en
2005, à $ 41 674 par tête pour 297 millions de résidents, s’élève à 12 376
milliards de dollars ; supposons que les 1 295 millions de Chinois voient
leur PIB par tête rejoindre celui des américains : le PIB chinois
s’établirait à environ 54 000 milliards de dollars, c’est-à-dire quasiment
autant à lui seul que le PIB mondial 2005 (55 trillons de dollars en PPA).
Supposons maintenant que la planète toute entière (6,13 milliards d’êtres
humains) rejoigne le niveau américain : le PIB mondial s’élèverait (en
PPA) à 255 trillons de dollars, 4,64 fois son montant actuel. Cela fournit une
idée de ce qu’un simple phénomène de rattrapage peut provoquer. Or un tel
rattrapage par rapport aux Etats-Unis s’est produit pour l’Europe occidentale
et le Japon durant les trente glorieuses ; il est bien avancé pour les
« dragons » tels que
Pour préciser cela, nous utiliserons les projections démographiques de l’ONU[3], en retenant le chiffre total de la population, et celui des personnes ayant de 15 à 64 ans, correspondant grosso modo à celui des travailleurs potentiels. Il est intéressant de remarquer que dans la projection médiane, nonobstant le vieillissement de la population, cette tranche d’âge ne recule quasiment pas en proportion de la population totale : pour la planète, de 64,4 % en 2005 (4 192 millions), cette proportion monte à 65,7 % en 2015 (4 795 millions), puis décline doucement jusqu’à 63,9 % en 2050 (5 875 millions), après avoir repris en 2045 sa valeur de 2005. Quant aux personnes âgées de 20 à 64 ans, tranche d’âge sans doute plus significative pour estimer le nombre des travailleurs potentiels, elles passent de 3 583 millions (55 %) en 2005 à 5 262 millions (57,2 %) en 2050 : les conditions sont remplies pour disposer jusqu’en 2050 d’une population en âge de travailler nombreuse à la fois en valeur absolue et en pourcentage[4].
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Population 2005 / 2050 |
PIB/tête ; PIB total 2005 |
PIB/tête ; PIB total 2050 |
Monde |
6 515 / 9 191 |
8 972 ; |
28 344 ; |
USA |
300 / 402 |
41 674 ; |
101 600 ; |
Pays développés |
1 216 / 1 245 |
26 404 ; |
64 426 ; |
Chine |
1 313 / 1 409 |
4 091 ; |
31 746 ; |
Inde |
1 134 / 1 658 |
2 126 ; |
16 498 ; |
Autres pays en développement |
2 852 / 4 879 |
3 800 ; |
22 196 ; |
Total pays en développement |
5 299 / 7 946 |
3 493 ; |
22 701 ; |
[Population en millions (Source ONU ; variante
médiane des World Population Prospects) ; PIB en PPA (source Banque
mondiale), en USD 2005 pour le PIB/tête, et en milliards de USD 2005 pour
le PIB total d’un pays ou d’une zone. Hypothèse : Croissance du PIB par
tête 2 % par an dans l’ensemble des pays développés (au sens de
Ces calculs sommaires sont basés sur une hypothèse de rattrapage
du retard des pays moins avancés qui correspond à peu près à ce que les pays
d’Europe occidentale ont fait durant les trente glorieuses (le Japon a fait
mieux, ainsi que, un peu plus tard, Taïwan et
Effectuons le même travail en prenant la variante basse de la projection démographique de l’ONU, selon laquelle la population mondiale passe par un maximum en 2040 et décroît ensuite, atteignant 7,792 milliards en 2050 (au lieu de 9,191 milliards dans la variante médiane). Retenons aussi un scénario de croissance plus modeste : PIB par tête en hausse de 1 % l’an dans les pays développés, de 4 % en Chine et en Inde, et de 3 % dans les autres pays en développement ou en transition. Le tableau ci-dessous fournit les résultats.
Evolution du
PIB, hypothèse basse
|
Population 2005 / 2050 |
PIB/tête ; PIB total 2005 |
PIB/tête ; PIB total 2050 |
Monde |
6 515 / 7 792 |
8 972 ; |
19 174 ; |
USA |
300 / 344 |
41 674 ; |
65 212 ; |
Pays développés |
1 216 / 1 065 |
26 404 ; |
41 317 ; |
Chine |
1 313 / 1 202 |
4 091 ; |
23 896 ; |
Inde |
1 134 / 1 390 |
2 126 ; |
12 418 ; |
Autres pays en développement |
2 852 / 4 135 |
3 800 ; |
14 370 ; |
Total pays en développement |
5 299 / 6 727 |
3 493 ; |
15 669 ; |
Il est donc probable que l’humanité se retrouvera en 2050 avec un niveau de production plusieurs fois supérieur au niveau actuel : on obtient 2,7 fois en combinant les hypothèses démographiques les plus basses utilisées par l’ONU dans ses World Population Prospects avec des hypothèses très raisonnables de croissance par tête ; quatre ou cinq fois si les hypothèses démographiques médianes sont associées à des augmentations un peu plus fortes du PIB par tête.
Cette croissance économique soulèvera quantité de problèmes, dont la résolution exigera des innovations, des investissements massifs, du travail et donc … de la croissance. La première moitié du XXIème siècle a des chances de ressembler à une fuite en avant, l’augmentation de la production sur une planète de taille limitée constituant un immense défi qui excitera les énergies et stimulera l’innovation. Notre situation ressemble, mutatis mutandis, à celle qu’ont connue nos ancêtres cueilleurs/chasseurs lorsque leur multiplication, augmentant leur densité, s’est mise à leur créer des difficultés. Ils ont réagi par un ensemble remarquable de changements technologiques – la révolution néolithique – et par une augmentation de leur production par tête. En exploitant les ressources naturelles de façon plus intelligente, ils ont pu en tirer davantage. Peut-être l’humanité fera-t-elle au XXIème siècle, en quelques décennies, l’équivalent de ce qu’ils ont fait en plusieurs millénaires ?
II – La distinction entre PIB par tête et niveau de
vie.
La notion de PIB a fait, et fait actuellement, l’objet de nombreuses réflexions critiques. L’idée de bonheur national brut, pour maladroite qu’elle soit, a l’avantage de montrer que le PIB ne mesure pas une sorte d’équivalent collectif de l’utilité ou de l’ophélimité : il indique plutôt le volume de biens et de services que l’humanité (ou l’un de ses sous-ensembles) utilise pour poursuivre ses objectifs. Si ces objectifs sont discordants, une quantité énorme de travail et de capital peut être consacrée à produire non pas du bonheur, mais du désagrément, voire du malheur : que l’on songe aux guerres qui ont ensanglanté l’Europe au XXème siècle, ou à celles qui, aujourd’hui, ravagent diverses régions du monde. Si l’humanité en venait à s’entredéchirer pour l’accès aux ressources naturelles[5], le gaspillage de la production pourrait être bien supérieur encore.
Il n’est pas inutile de se rappeler que, durant la seconde guerre mondiale, des pays ont consacré plus de la moitié de leur PIB aux opérations militaires[6] ; on est là un cran plus loin que dans l’apologue de la vitre cassée utilisé par Bastiat[7] pour expliquer que l’on se passerait volontiers de ce qui, aux yeux de certains, « fait marcher » l’industrie et l’artisanat. Chez Bastiat, les maladresses, les accidents, tels que les bris de carreaux, distraient simplement du travail et du capital d’une production de biens et services qui procurerait davantage de bien-être ; des hostilités (parfois rendues nécessaires pour les démocraties par la méchanceté ou la folie de certains hommes) non seulement détournent ces facteurs de la production d’aménités vers celle d’armements, mais encore brisent des millions d’existences et détruisent un précieux patrimoine[8].
De tels exemples pourraient être multipliés ; ils indiquent que des fractions plus ou moins importantes du PIB sont consacrées à réparer des dégâts, et le cas échéant à en infliger[9]. Les dégâts peuvent en effet avoir une cause naturelle – par exemple un cyclone, une inondation, un tremblement de terre, un tsunami, certaines maladies – ou une cause humaine : maladresse, sottise, méchanceté, etc.. Le mal, présent au cœur de l’homme, joue un rôle important en économie : si tous les êtres humains étaient en permanence honnêtes, pacifiques et respectueux de la personne et des biens d’autrui, une bonne partie des personnes employées au maintien de l’ordre, au fonctionnement des tribunaux et des prisons, au gardiennage, à la fabrication et à l’installation de dispositifs d’alerte ou de protection contre le vol et les déprédations, pourraient travailler dans d’autres secteurs, et (à PIB égal) augmenter ainsi le niveau de vie. Les actions mal intentionnées ont d’ailleurs tendance à faire boule de neige : plus il s’en commet, plus les institutions et les structures juridiques, sociologiques, psychologiques et économiques s’infléchissent dans un sens incitatif aux mauvaises actions. C’est le phénomène que nous avons nommé « les autoroutes du mal »[10], et que la doctrine sociale de l’Eglise catholique désigne par l’expression « structures de péché »[11].
Ainsi une part plus ou moins importante de la production sert-elle à contrecarrer des effets négatifs provenant de la nature ou de l’action humaine. Dès lors qu’il existe des bacilles et des virus, les hommes consacrent une partie de leur activité à lutter contre ceux d’entre eux qui mettent leur santé en péril. Dès lors que les hivers sont froids dans certaines zones de la planète, les êtres humains qui les peuplent s’efforcent de se calorifuger et de se chauffer. Dans d’autres zones, la clémence du climat évite d’avoir à consacrer des ressources à lutter contre le froid : on peut y vivre aussi bien – y disposer d’un niveau de vie équivalent – avec un moindre PIB par tête.
Le nombre des hommes, et la densité de la population, engendrent des effets assez variés. D’un côté, la concentration des activités débouche sur des économies : il est par exemple inutile, si l’on habite Pékin, New York, Londres ou Paris, de faire des centaines de kilomètres pour aller au théâtre. D’un autre côté, elle entraîne des coûts supplémentaires, c’est-à-dire exige de mobiliser plus de temps, de patience ou/et d’argent pour arriver au même résultat – comme de garer sa voiture. Quand il s’agit d’aménager une voie de circulation en ville, ou d’effectuer des réparations dans un immeuble, le coût des travaux (qui fait partie du PIB) dépasse de loin ce qu’il serait dans un espace moins densément occupé. De tels surcoûts ne résultent pas seulement de la démographie, mais aussi de l’emploi par les hommes de toutes sortes d’instruments : les moyens de transport motorisés, par exemple, qu’ils soient individuels ou collectifs, requièrent un aménagement de l’espace qui exige beaucoup de travail et de capital, donc beaucoup de PIB. Et une fois que l’espace est aménagé pour utiliser des machines, il devient très difficile de se passer de celles-ci : se déplacer à pied dans une ville conçue pour les automobiles, les autobus et les tramways n’a rien à voir avec une promenade dans des rues piétonnes ! Si bien que la mécanisation induit la mécanisation. Cela veut dire qu’un supplément de PIB peut engendrer des besoins dont la satisfaction exige une autre augmentation du PIB, sauf à subir une diminution de niveau de vie. Se déplacer à pied dans une ville faite pour les transports motorisés est à coup sûr la manifestation d’un niveau de vie relatif inférieur, que la comparaison s’opère dans l’instant avec ceux qui ont accès aux transports motorisés, ou dans le temps avec les trajets pédestres que l’on faisait jadis dans une ville conçue pour les piétons.
Une hypothèse va maintenant être explorée, selon laquelle les habitants des pays pauvres, en s’enrichissant, vont se retrouver dans la même situation que ces citadins passés d’une petite ville bâtie pour les piétons à une grande ville organisée en fonction des transports motorisés : rien que pour maintenir leur niveau de vie, il va leur falloir augmenter leur production. Dans la partie III nous nous interrogerons sur l’utilisation de facteurs de production nécessaire pour obtenir un niveau de vie simplement égal à celui dont des hommes bénéficient en d’autres lieux, ou ont bénéficié à d’autres époques, en tant que cadeau de la nature. Nous nous demanderons si l’accroissement du nombre des hommes jouissant d’un niveau de vie et d’un PIB par tête élevés n’exercerait pas une influence notable, à la hausse, sur la proportion du PIB qui est absorbée par le processus même de production. Cet accroissement n’augmenterait-il pas l’écart entre PIB par tête et niveau de vie ? Ne conduirait-il pas à une sorte de diminution du rendement énergétique de notre moteur économique ? Telle est la question que l’on doit se poser dans la perspective d’un enrichissement des populations du « Sud ».
III – L’écart entre PIB par tête et niveau de vie est probablement destiné à s’accroître
L’exemple des hydrocarbures est intéressant : le pétrole léger s’extrait et se distille sans consommer beaucoup d’énergie ; les pétroles lourds, et a fortiori les schistes bitumineux, en requièrent bien davantage. Pour obtenir de quoi dégager 1000 calories dans une chaudière ou un moteur à explosion, il faut par exemple en consommer (et donc en produire) préalablement 100 si l’on a accès à des gisements de bonne qualité, et 300 s’il faut mettre en exploitation des ressources de second ordre. Le rendement énergétique du processus est très différent dans les deux cas. Utiliser de l’huile difficile à extraire et à raffiner conduit à consommer davantage de calories et à produire davantage de gaz carbonique, pour un même résultat, que si l’on a accès à un meilleur gisement.
Or l’augmentation de la consommation d’énergie, à technologie constante, oblige à recourir à des gisements de plus en plus difficiles à exploiter ou/et fournissant du pétrole de plus en plus lourd. L’augmentation du prix hors taxe de l’essence et des autres dérivés correspond certes, pour une part, à l’augmentation de la rente pétrolière, donc à un transfert de pouvoir d’achat des utilisateurs aux agents qui ont le contrôle de la ressource naturelle la plus facile à extraire et à transformer ; mais elle correspond aussi pour une autre part à une augmentation du PIB : on utilise davantage de travail et de capital pour obtenir un litre d’essence. Voilà une croissance du PIB qui ne correspond à aucune augmentation de niveau de vie.
Moins il restera de gisements de pétrole léger d’accès facile, plus il faudra recourir à des gisements de second ordre. Il semble que ceux-ci soient très importants : si des investissements suffisants sont réalisés assez rapidement pour accroître la production, il ne devrait pas y avoir de pénurie, ni de très forte augmentation des prix à moyen terme au delà de 70 € le baril[12], mais la proportion de pétrole vendu avec une marge ordinaire en sus de son coût de production augmentera par rapport à celui qui, produit à bas prix, se vend cinq ou dix fois plus cher, dégageant une rente minière[13] très confortable. Autrement dit, il faudra travailler plus, soit directement à la production, soit en développant la technologie et en produisant le matériel requis, pour obtenir la même quantité d’essence. Le PIB augmentera, mais pas le pouvoir d’achat ni le niveau de vie.
Le schéma ci-dessous illustre la diminution de la rente en proportion du prix payé par le consommateur, et l’augmentation concomitante du PIB, lorsque l’augmentation du coût unitaire en fonction de la quantité produite présente certaines caractéristiques : d’abord lente, tant que l’on exploite des gisements d’accès facile ; puis rapide, quand on aborde les gisements intermédiaires ; puis lente à nouveau, quand on en est aux colossaux gisements difficiles à traiter. Le profil réel de la courbe de coût serait à établir statistiquement : c’est une donnée empirique. Simplement, il nous semble qu’il a quelque chose à voir avec le profil imaginaire que nous prenons comme exemple.
D3 D4
Coût de production
D1 D2
Quantités produites
La courbe du coût de production en fonction des quantités produites (assimilable à une courbe d’offre) est en gras sur le schéma ; les courbes de demande D1 à D4 apparaissent en pointillés. Quand la demande est suffisamment faible pour être entièrement satisfaite à l’aide de gisements faciles, comme en D1, la rente est modeste[14] ; elle s’accroît lorsque la demande, en augmentant, dépasse ce que peuvent fournir les gisements faciles (passage à D2 puis à D3). Ensuite, quand la demande augmente de D3 à D4, elle est surtout satisfaite grâce à des coûts de production élevés, c’est-à-dire grâce à une croissance du PIB : la rente progresse faiblement en valeur absolue et diminue en pourcentage du total payé par les usagers. Ceux-ci payent de plus en plus pour une production, et de moins en moins (en pourcentage) pour un transfert de pouvoir d’achat au profit des agents qui contrôlent l’accès aux gisements faciles.
Les autres formes d’énergie viennent évidemment s’inscrire dans ce schéma. Qu’il s’agisse d’énergie solaire ou éolienne, de recours à des productions végétales ou de centrales nucléaires, le travail et le capital seront de plus en plus sollicités, faute de pouvoir se contenter de sources d’énergie fournies par la nature moyennant des quantités relativement modestes d’ investissement et de travail. Certes, il est possible que des découvertes débouchent sur une nouvelle période de rendements croissants du travail et du capital, comme ce fut le cas lorsque nos ancêtres inventèrent le moteur à explosion et le raffinage du pétrole ; mais force est de constater que l’augmentation fantastique de la recherche fondamentale et appliquée au cours des trente dernières années ne s’est pas accompagnée d’une augmentation proportionnelle des inventions apportant de grands progrès sans beaucoup de dépenses en travail et en capital : la recherche elle-même semble plutôt être en situation de rendements décroissants. L’industrie pharmaceutique en est un exemple : ses dépenses de recherche croissent vigoureusement, mais l’arrivée de nouvelles molécules apportant de véritables améliorations thérapeutiques a plutôt tendance à se raréfier ; le coût de mise au point d’un principe actif réellement innovant est fortement orienté à la hausse.
De tels exemples ne constituent pas davantage une démonstration qu’une hirondelle ne fait le printemps, mais, à défaut de pouvoir réaliser une étude exhaustive, nous sommes bien obligés d’interpréter de tels signes, en ayant pleinement conscience de la fragilité des conclusions. Réfléchissons donc au paradoxe que constitue la concomitance entre l’investissement massif en matériels et logiciels informatiques aux performances vertigineusement croissantes auquel les pays développés ont procédé depuis une trentaine d’années, et la modestie des gains de productivité du travail réalisés sur cette période, inférieurs de moitié à ceux des trois décennies précédentes. La technologie a évolué de façon merveilleuse, mais l’aptitude à s’en servir productivement n’a pas suivi le même rythme. Certes, les services des impôts peuvent diminuer le nombre de leurs agents lorsque augmente le nombre de déclarations de revenus transmises par internet, mais les dites déclarations sont envoyées de plus en plus tardivement, comme les documents fournis aux contribuables par les organismes – en général informatisés – qui leur versent des revenus : le lièvre de 2008 arrive au but, comme dans la fable, plus lentement que la tortue des années 1960. Les caisses d’assurance maladie ont beau traiter à moindre frais les dossiers de remboursement, et d’autres organismes bénéficier de gains de productivité analogues, ces progrès sont contrebalancés par une sophistication stérile des normes de présentation des documents, une multiplication délirante des envois d’informations inutiles et chronophages, une mauvaise maîtrise d’outils souvent inutilement compliqués ou trop souvent modifiés, une propension notable à substituer le jeu au travail, et le remplacement de services personnalisés de bonne qualité par des prestations inadaptées requérant une dose maximale de « do it yourself » très peu productif. Globalement, les sociétés développées n’ont tiré que des bénéfices modestes d’une des plus grandes avancées technologiques dont elles ont disposé au cours du dernier quart de siècle.
Ce gaspillage des potentialités offertes par l’informatique et la télématique est un signe parmi d’autres d’un phénomène permanent : l’humanité gaspille beaucoup. Les sociétés dites archaïques, en dépit de niveaux de vie moyens très modestes, manifestaient déjà cette propension au gaspillage ; les sociétés faiblement industrialisées, de nos jours, font de même : l’un des signes classiques de politesse ne consiste-t-il pas à servir à ses invités bien davantage qu’ils ne peuvent manger et boire, charge à eux de laisser leurs assiettes aux trois quarts pleines ? Le gaspillage est une forme ancienne de consommation ostentatoire : en envoyant à la poubelle une partie importante de la nourriture préparée, ou par d’autres pratiques analogues, telles que rouler dans des véhicules inutilement puissants et luxueux, les hommes cherchent à manifester aux yeux de leurs semblables leur richesse, leur pouvoir, leur munificence et leur supériorité.
La théorie de la classe de loisir[15] est toujours d’actualité. La rivalité dans la capacité de donner, qui s’exprimait jadis dans le potlatch, culmine lorsque les objets donnés dans ces formes de joutes sont finalement détruits. Or le gaspillage lié aux pratiques ostentatoires ne semble pas avoir diminué, et il n’existe probablement pas de raison permettant de prédire que le passage d’immenses masses humaines au type d’économie issu de la révolution industrielle fournira l’occasion d’une telle diminution. Vraisemblablement, en 2050 les humains produiront plus pour gaspiller plus : il serait utopique de compter sur une augmentation de la rationalité pour réduire les envies de nos descendants en biens et services, car il est probable que l’envie la moins sage, celle de la consommation ostentatoire et du gaspillage mimétique, les tenaillera autant que nos contemporains.
Dans ces conditions, les hommes de 2050 se trouveront sans doute dans la situation de devoir travailler davantage s’ils veulent maintenir leur niveau de vie – et a fortiori s’ils veulent l’augmenter – car ils ne réduiront pas leur gaspillage, et la rareté des ressources naturelles les plus accessibles les obligera à consacrer davantage de ressources humaines, travail et capital, pour en avoir la disposition en quantités suffisantes (et donc croissantes).
La transition démographique est, grâce à des travaux comme ceux de Jean-Claude Chesnais[16], un phénomène assez bien balisé. En revanche, la transition économique, qui est en train de commencer dans le Tiers monde, n’a pas fait l’objet d’études en rapport avec l’importance des conséquences qu’elle va probablement avoir pour l’humanité.
Qu’appelons-nous transition économique ? Le passage d’une société humaine d’un faible PIB par tête à un fort PIB par tête. Aujourd’hui, les cinq sixièmes de l’humanité vivent dans des pays où la productivité est faible. A la fin du siècle, il est possible que l’exception ne soit plus un fort, mais un faible PIB par tête : par exemple, un quart ou un sixième seulement des hommes vivraient alors dans des pays à basse productivité. Si elle se produit effectivement, une telle évolution provoquera d’immenses changements qualitatifs : il est en effet impossible à quatre, cinq ou six milliards d’hommes de vivre comme le font actuellement le milliard de ceux qui habitent les pays développés. Cette énorme population de travailleurs hautement productifs utilisera des techniques, des méthodes, des organisations, très différentes non seulement de celles dont vivent aujourd’hui les occidentaux, mais aussi de celles dont ils disposeraient dans un siècle s’ils demeuraient les seuls humains hautement productifs.
Emmanuel Todd estime que la transition démographique (chute de la mortalité et de la fécondité) découle principalement du développement considérable de l’alphabétisation puis de l’instruction[17]. La cause numéro un de la transition économique se trouve être la même. La puissance (économique et militaire) des royaumes ou empires mésopotamiens, et de l’empire égyptien, il y a quelques millénaires, découlait déjà, pour une part importante, de la capacité organisationnelle que leur avait conféré l’invention puis l’usage intensif de l’écriture. Probablement pourrait-on en dire autant pour l’Empire du Milieu. Mais il s’agissait d’un instrument à la disposition des seules élites. La démocratisation du savoir induit un nouveau bond en avant, comme on l’a vu en Occident, au Japon et en Corée, et comme on est en train de le voir en Chine, dans les pays libérés du joug communiste, et quelques autres.
Le passage à l’instruction de
masse est en cours dans la plupart des pays où il n’est pas encore réalisé. Ce
rattrapage scolaire rend possible et probable le rattrapage économique. Mais la
démocratisation des connaissances modernes et des capacités d’expression ne va
pas sans poser de sérieux problèmes. Emmanuel Todd[18]
estime que le choc culturel qui en résulte explique les accès de violence et
d’extrémisme, tels que
A notre avis, l’entrée dans une ère de haute productivité, offrant toutes sortes de possibilités nouvelles, agit dans le même sens : des sociétés entières vivent l’équivalent de cette sorte d’ivresse qu’éprouvent bien des jeunes en percevant leur premier salaire. Après avoir longtemps été le « petit », celui qui reçoit des ordres et des leçons en même temps que de quoi vivre, devenir « grand », accéder au monde des adultes, crée un sentiment euphorique et le désir d’expérimenter sa puissance nouvelle en effectuant des transgressions ; mutatis mutandis, il en va de même pour les pays neufs. La planète risque donc de connaître des troubles sérieux, et peut-être des conflits majeurs, durant la période de montée en charge des économies émergentes. Aux drames de la pauvreté succéderont les drames de l’enrichissement ; les conflits entre populations au seuil de la survie céderont la place à des affrontements (éventuellement armés) entre Etats aux moyens décuplés par la croissance économique.
De tels affrontements sont
d’autant plus probables que la compétition pour les matières premières et
autres ressources naturelles sera vive[19].
Observons
Le salut viendra pour une part importante de nouvelles découvertes. Mais la recherche fondamentale a beau recevoir des moyens importants, elle n’en souffre pas moins d’un handicap sérieux par rapport aux actions diplomatiques et militaires : elle produit énormément d’externalités positives, ce qui veut dire que ceux qui la financent sont loin d’être les seuls à en tirer profit. Elle correspond donc mal aux objectifs égoïstes que poursuivent le plus souvent les hommes et les Etats. Chercher à s’emparer de sources d’approvisionnement, ou du moins à obtenir un accès privilégié ; menacer les acheminements d’autrui, de façon à prélever une part au passage : ce sont là des comportements qui correspondent mieux à la nature humaine, laquelle ne passe pas facilement du « chacun pour soi » à la coopération. Rappelons-nous Hobbes et son Léviathan : la guerre de tous contre tous est l’état naturel de l’humanité ; la discipline nécessaire au travail en commun, au travail pour le bien commun, n’est pas spontanée. Peut-être même cette discipline sera-t-elle impossible à réaliser au niveau planétaire sans la constitution d’une sorte de gouvernement planétaire[20], laquelle ne sera pas chose facile !
Ces difficultés de coopération entraîneront un important
gaspillage de ressources, qui accentuera le décalage entre les progrès
respectifs de la productivité et du niveau de vie. La globalisation génère déjà
des coûts importants, une forte dissipation d’énergie productrice qui diminue
d’autant l’intérêt qu’elle présente en facilitant la division du travail et la
diffusion rapide de l’innovation. Mais si une situation à
L’évolution du système monétaire et financier mondial est également une source d’inquiétude. La crise du subprime a rendue plus visible le résultat d’une évolution en cours depuis un quart de siècle : l’hypertrophie d’un système financier qui, globalement, rend des services de plus en plus sophistiqués mais de moins en moins productifs. En caricaturant, les agents constituant la sphère financière se sont organisés de façon à maximiser le prélèvement qu’ils opèrent sur l’économie réelle : ils sont devenus prédateurs autant que producteurs. Des millions de personnes vivent de cette activité dont la moitié, certes, est vitale, mais dont une autre moitié est inutile, voire nuisible ; il est donc difficile aux institutions financières de ne pas chercher de nouveaux terrains de chasse lorsque certains des anciens (les prêts hypothécaires aux ménages à revenus modestes, puis les crédits LBO) donnent des signes d’épuisement.
Or la financiarisation des marchés de matières premières, en cours depuis un certain temps, est fortement stimulée par les récentes péripéties du subprime et du dollar. Déjà fortement volatils, ces marchés vont le devenir plus encore par l’arrivée massive de fonds à la recherche de nouveaux placements. La perspective d’une hausse soutenue et de longue durée des cours des matières premières, du fait de la transition économique, comme celle d’une progression des prix de l’immobilier, est de nature à susciter des excès. Les tensions sur les prix des matières premières, nécessaires pour orienter la production vers des méthodes les économisant davantage, risquent d’être aggravées artificiellement par une sorte de multiplicateur spéculatif, donnant lieu à des corrections sévères. Le plus grave n’est pas l’augmentation un peu plus rapide de ces prix, mais leur volatilité accrue, fort peu propice aux investissements à long terme dans ce domaine, pourtant indispensables pour mener la transition à bon port.
Conformément aux analyses de Patrick Artus[21], la financiarisation de l’économie induit un court-termisme qui menace la réalisation des investissements requis pour assurer la croissance de la production et de la productivité à long terme. De plus, les normes comptable IFRS, ou plus exactement l’obligation de comptabiliser les actifs faisant l’objet d’un marché à la valeur (« fair value ») à laquelle s’effectuent les transactions, entraînent des mouvements cumulatifs de vente des dits actifs, et donc de baisse des prix, dès qu’une difficulté se fait sentir, de même qu’ils incitent à parier à outrance sur la hausse, censée « créer de la valeur », lorsque le marché est haussier. Si l’on ajoute à cela l’opacité des opérations réalisées par les organismes tels que les hedge funds, et l’imperfection de l’information qui résulte du recours à des instruments dérivés dont très peu de responsables comprennent le fonctionnement exact, il existe un risque important de variations erratique des prix, notamment des matières premières, qui justifie la crainte d’économistes comme Patrick Artus concernant l’insuffisance d’investissements visant à améliorer l’exploitation des ressources naturelles. La situation de grandes compagnies d’aviation américaines qui, par incapacité d’investir, font voler des appareils âgés, consommant bien plus de kérosène que des avions récents, risque de devenir fréquente et de rendre la transition économique encore moins favorable au pouvoir d’achat.
Une autre conséquence du probable « rattrapage » économique des pays développés par les pays en développement a été exposée il y a déjà quinze ans par Maurice Lauré[22]. Ce grand esprit avait compris que la rente tirée par les Occidentaux du bas prix du travail dans les pays en développement ne serait pas éternelle : si grand soit-il, le réservoir de main-d’œuvre à bon marché finira par s’épuiser, la rémunération de ses membres rejoignant progressivement celle des travailleurs des pays riches. Autrement dit, l’augmentation de 28 % obtenue en avril 2008, après trois semaines de grève, par les ouvriers roumains d’une filiale de Renault, Dacia, est le symbole de ce qui se passe et va se passer de plus en plus dans tous les pays engagés dans la transition économique. Or, disait Maurice Lauré, en délocalisant massivement les activités de fabrication, l’Occident et le Japon vont perdre le savoir-faire correspondant, et se trouver devant de grandes difficultés le jour où les termes de l’échange ne seront plus fortement en leur faveur.
Autrement dit, le niveau de vie
occidental est actuellement artificiellement élevé du fait que nous échangeons
des produits (biens ou services) qui ne nous demandent pas beaucoup de travail,
mais pour lesquels les pays en développement n’ont pas le savoir-faire, contre
des produits qui nous en demanderaient beaucoup ; lorsque
La population en âge d’activité va augmenter sensiblement dans les pays en développement au cours des prochaines décennies, et ces pays vont, plus ou moins rapidement selon les cas, développer leur productivité et leur production. Au niveau mondial, la croissance économique est donc hautement probable. Il n’en résulte pas pour autant que l’aisance des populations qui bénéficient aujourd’hui du niveau de vie le plus élevé ira croissant : la proportion du PIB destinée à compenser la raréfaction relative des ressources naturelles les plus accessibles va en effet augmenter au fur et à mesure des progrès économiques réalisés par le Tiers Monde. Les habitants des pays actuellement développés devront travailler plus et investir davantage pour simplement maintenir leur niveau de vie. Dès lors que des milliards d’individus supplémentaires seront en mesure d’accéder de plus en plus largement aux ressources naturelles, qui ne sont pas illimitées, l’humanité devra consacrer une part plus importante de ses efforts à se procurer ce qui, aujourd’hui, est obtenu de la nature avec relativement peu de travail et de capital.
La croissance mondiale va ainsi introduire un « coin » entre le PIB et le revenu disponible, que l’on pourrait nommer le « coin naturel ». Il ne s’agit pas là du coin social et fiscal résultant des prélèvements effectués sur les actifs pour les frais généraux des Etats et pour les transferts aux inactifs, mais de quelque chose qui, du point de vue des actifs, s’y ajoutera. Se rendre capable de gérer le vieillissement des populations occidentales sans augmenter le coin social et fiscal, et si possible en le diminuant, devient un objectif particulièrement important face à l’épaississement programmée du coin naturel, puisque c’est l’empilement des deux coins qui détermine la différence entre la production de chaque actif et son revenu disponible ou son pouvoir d’achat.
Rappelons que le fort
épaississement du coin fiscal et social durant les trente glorieuses a été
rendu supportable pour les actifs par la forte croissance de la productivité.
Une stagnation de celle-ci, vœux de tous ceux qui veulent « enrichir la
croissance en emplois », rendrait la transition économique du prochain
demi-siècle particulièrement douloureuse. Mobilisons-nous plutôt pour que, dans
le cadre d’une croissance mondiale qui ne dépend que modestement d’elles,
______
Questions
A votre avis pourquoi y a-t-il une telle
différence de développement entre
C’est essentiellement
une question d’instruction publique. Un homme instruit peut, dans la plupart
des domaines, être cinq ou dix fois plus productif qu’un analphabète.
On peut trouver un autre exemple dans l’Etat du Kerala, au sud-ouest de l’Inde, Etat où le taux d’alphabétisation est remarquable. Il a aujourd’hui bien des chances de décoller.
Il faut comprendre que l’alphabétisation est un bouleversement de la société. Les sociétés analphabètes ont des habitudes, des règles et des hiérarchies, nécessairement très strictes. L’alphabétisation leur fait perdre leurs raisons d’être et fait surgir de nouvelles élites, avec tous les affrontements que cela suppose.
Ce
n’est pas sans raison que le développement de l’instruction précède ou
accompagne des périodes de trouble :
Je suppose que cette analyse s’applique
aussi à
Bien entendu, ce sont désormais des pays apaisés et développés.
Vous nous avez donné des chiffres concernant
le futur de la démographie européenne. D’où les tenez-vous ?
J’ai simplement utilisé les projections de l’ONU, lesquelles, je le reconnais, sont sujettes à caution car elles supposent une convergence générale de tous les pays vers l’indice de fécondité de 1,8 enfant par femme, ce qui est loin des évolutions actuelles.
Vous supposez que les migrations vont être
de plus en plus importantes, tant pour des raisons sociales qu’économiques et
politiques. Est-ce que cela se produira dans tous les cas de figure ?
C’est très
probable, même si cela n’est pas tout à fait certain. Bien sûr l’avenir n’est
pas tracé d’avance, le Pakistan et même
Emmanuel Todd est
contre le libre-échange sans protection, à cause des pressions sur les salaires
qu’il entraîne ainsi que des délocalisations et des pertes d’emploi.
Croyez-vous une protection possible ?
L’opinion d’Emmanuel Todd est aussi celle de Maurice Allais et de Maurice Lauré. Ce dernier spécifie que des taxes douanières protectrices devraient être prélevées sur les produits en provenance de pays à main d’œuvre très bon marché, et en partie remises au pays exportateur pour l’aider à importer des biens d’équipement. Cela dit il faut souligner que le protectionnisme est très difficile, les rétorsions poussent comme des mauvaises herbes. De 1929 à 1932 le commerce international baissa de 80%...
Un exemple de protection actuelle est celle de l’agriculture suisse : les Suisses paient cher leur nourriture pour garder leurs agriculteurs et une certaine sécurité alimentaire. D’une certaine façon l’agriculture européenne est elle aussi protégée, mais dans une bien moindre mesure.
Les controverses libre-échange-protection
sont-elles souvent idéologiques ?
Oui bien sûr, elles le sont très souvent.
Vous avez indiqué des
« corrections » très importantes du produit intérieur brut, notamment
pour
Il y a deux sources principales d’erreurs et donc de corrections nécessaires, d’une part les statistiques de tel ou tel pays – statistiques faussées soit par négligence soit pour des raisons de propagande - , d’autre part le problème des prix relatifs. Dans le cas chinois, les prix à la consommation en Chine avaient initialement été sous-estimés par les organismes internationaux, sur la base d’indications chinoises pas assez vérifiées, si bien que le rapport Yuan/dollar en parité de pouvoir d’achat était gonflé (on estimait trop fortement le pouvoir d’achat du Yuan, donc son équivalent en dollar). Quand on s’en est aperçu, on a donc révisé à la baisse le PIB chinois, exprimé en dollars à parité de pouvoir d’achat. Il s’est passé à peu près la même chose pour l’Inde.
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[1] Le Figaro, 14 avril 2008
[2] Voir le rapport Quaterly
update, Feb 2008, du bureau chinois de
[3] World Population Prospects : the 2006 Revision, disponible sur le Population Database de l’ONU, en libre accès sur son site
[4] Ceci ne doit pas voiler la gravité du problème des retraites au niveau mondial, cf. notre étude « Retraites : le double choc mondial », in Yves-Marie Laulan (éd.), Vieillissement mondial et conséquences géopolitiques, l’Harmattan, 2007, pp. 91 – 119. En particulier, la progression prévisible du nombre de personnes âgées de 65 ans et plus, qui contraste avec la régression des jeunes, fait que le ratio démographique utile en matière de retraites se détériorera fortement, sauf changement de tendance important.
[5] Voir Yves-Marie Laulan, « Les prochaines guerres seront-elles un combat pour les ressources ? », Valeurs vertes, n° 91, avril 2008.
[6] Jacques Brasseul, Histoire
des faits économiques, de
[7] Frédérix Bastiat, Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas, 1854 ; réédition Romillat, 1993
[8] Dans une perspective géopolitique, nous devons être très attentifs aux évolutions de la violence. Au sujet des risques d’extension de ce phénomène, voir notamment René Girard, Achever Clausewitz, Carnets Nord, 2007
[9] Dans les guerres qu’ils mènent depuis quelque temps, les Occidentaux commencent par dépenser beaucoup pour détruire des ponts, des routes, des aéroports, des usines, etc., puis pour les reconstruire.
[10] Jacques Bichot et Denis
Lensel, Les autoroutes du mal, Presses de
[11] Conseil pontifical Justice et paix, Compendium de la doctrine sociale de l’Eglise, Bayard, 2005
[12] A l’heure où ces lignes sont écrites, le baril coûte environ 110 $, soit à peu près 70 €. Le naufrage du dollar fait que le prix en euros est plus significatif.
[13] La théorie de la rente, foncière ou minière, est très simple. Si pour produire une quantité donnée de produit (céréale, minerai, hydrocarbure, etc.) il suffit de dépenser 50 en travail et capital sur certains terrains ou gisements, alors que l’on est obligé, pour satisfaire la demande, d’exploiter aussi des sites qui exigent 100, les agents qui contrôlent l’accès aux « bons » sites peuvent demander un péage : tant que le montant de ce droit d’accès ne dépasse pas 50, il y aura des entrepreneurs pour exploiter ces terrains ou gisements (et donc payer une rente) au lieu d’aller sur un site libre d’accès mais cher à exploiter. Smith, Malthus et Ricardo ont largement exploré le mécanisme de la rente agricole (dite « foncière »), et leurs successeurs ont élargi le champ d’application de cette théorie aux nombreuses activités qui impliquent l’usage d’une ressource naturelle.
[14] Sur la figure, elle correspond à la surface comprise entre la courbe du coût de production et l’horizontale tracée à partir du point d’intersection des courbes d’offre et de demande, laquelle détermine le prix de vente.
[15] Thorstein Veblen, Theory of the Leisure Class, 1899 ; trad. fr. Gallimard, 1970. L’idée maîtresse de cet ouvrage est que les membres des classes supérieures font assaut de gaspillage de moyens, y compris la ressource la plus difficile à augmenter, le temps. L’utilisation par Veblen de son analyse sociologique pour déconsidérer les capitalistes et justifier ses préférences socialistes n’ôte pas sa valeur scientifique à son travail de chercheur.
[16] J.-C. Chesnais, La transition démographique ; étapes, formes, implications économiques. INED/PUF, 1986
[17] Voir par exemple E. Todd, Après l’empire, Gallimard, 2002. La citation suivante résume sa thèse : « Lorsque les hommes ou, plus exactement, les femmes savent lire et écrire, commence le contrôle de la fécondité. »
[18] Voir Après l’empire (opus cité) et aussi E. Todd et Y. Courbage, Le rendez-vous des civilisations, Seuil, 2007
[19] Voir Laulan, opus cité.
[20] Les libéraux perspicaces en sont conscients ; ainsi par exemple F. A. Hayek écrit-il dans Droit, législation et liberté, t. 1 Règles et ordres (PUF, 1981) : « dans la plupart des circonstances, l’organisation que nous appelons gouvernement s’avère indispensable pour veiller à ce que les règles soient respectées. »
[21] Voir par exemple P. Artus
et M.-P. Virard, Le capitalisme est en train de s’autodétruire,
[22] Voir par exemple M. Lauré : « Les délocalisations ; enjeux et stratégies des pays développés », Futuribles, mai 1993.