Groupe X-Démographie-Economie-Population

 

Exposé du Mardi 10 Décembre 2002

 

Retraites et dépenses de santé, qui va payer

 

Par Monsieur Jacques Bichot

Professeur d’économie à l’Université de Lyon 2

Membre du Conseil Economique et Social

 

            Je diviserai mon exposé en quatre parts :

1)      La liaison retraites et dépenses de santé.

2)      « Le mythe de la machine à sous » : les progrès de la productivité et des investissements ne suffiront pas, et de loin, pour payer les retraites.

3)      Le (demi) mythe de la croissance : celle-ci est nécessaire mais insuffisante.

4)      Quelques pistes.

 

Les dépenses et les charges de santé sont très largement fonction de l’âge comme l’indique le tableau suivant pour la France d’aujourd’hui : 

___________________________________________________________________________

 

Variation des charges de santé en fonction de l’âge (niveau 100 pour la moyenne de la population soit environ 2000 Euros par an)

Age

<1an

1-9ans

 10-19

 20-29

 30-39

 40-49

 50-59

 60-69

 70-79

 ³ 80

Charge

  100

   41

    65

    44

    65

    83

   127

   169

   280

  422

 

            Bien entendu le vieillissement, c’est à dire l’augmentation de la proportion des personnes âgées, aggrave les problèmes de la Sécurité sociale.

            Le retraité moyen reçoit 1300 Euros par mois, dont 900 de la Sécu et 400 des ARRCO, il reverse à l’Assurance Maladie 85 Euros par mois. D’autre part l’Assurance Maladie dépense pour lui, toujours en moyenne, 274 Euros par mois s’il est sexagénaire, 454 Euros par mois s’il est septuagénaire et 694 Euros par mois au-delà de 80 ans.

            N’oublions pas non plus qu’il existe de nombreuses conditions d’exonération de l’Assurance Maladie : les non-imposables de l’impôt sur le revenu ont une CSG à 3,8% au lieu de 6,2% et ceux qui sont non-imposables de la taxe d’habitation sont totalement exonérés.

            Avec tous ces chiffres on peut avoir une idée assez précise du coût actuel des retraités pour les actifs : a peu près 208 milliards d’Euros annuels dont 175 milliards pour les pensions et 33 milliards pour les soins (ces 33 milliards étant la différence entre 43 milliards de dépenses de l’assurance maladie et 10 milliards de cotisation des retraités).

            Question d’un auditeur : Ces chiffres tiennent t-ils compte des mutuelles ? Réponse : Non, mais cela ne modifie pas l’ordre de grandeur.

           

            J’en arrive au « mythe de la machine à sous ».

Quand je présente ces questions il y a presque toujours un auditeur pour protester et dire : « Ces histoires de difficulté des caisses de retraites c’est de la blague ! C’est une préparation pour diminuer nos pensions, augmenter nos cotisations et l’âge de la retraite. Quand j’ai commencé à travailler nous étions cinquante pour faire tourner des machines peu productives, aujourd’hui avec des machines modernes cinq salariés arrivent à faire la même production ! (ou même : « arrivent à faire dix fois plus ! ») Alors n’allez pas me dire que les ressources sont insuffisantes !   

            Bien entendu ce contradicteur néglige le fait que toutes ces « machines modernes » doivent bien être produites quelque part, avec toutes les études correspondantes, l’entretien et les réparations. En fait, il s’agit simplement de la répartition des ressources entre le travail et le capital, c’est à dire entre les activités directes de production d’une part et les machines et autres investissements d’autre part.

            Pour répondre je m’appuierai sur les études d’Edmond Malinvaud et de Samuelson, et sur les fluctuations de la répartition capital-travail dans la valeur ajoutée. Cette répartition varie en fait assez peu : 67% pour le travail en 1980 et encore 62% en 2000. De même si l’on étudie l’évolution du coefficient de capital, c’est à dire le rapport de la valeur du capital au produit national brut (PNB) on trouve qu’aux USA le capital représentait cinq années de PNB pendant les années 1900-1940, mais seulement trois et demi à quatre ans depuis 1945 : le prix des machines a baissé ! En comparaison les zébus d’un paysan éthiopien représentent dix années de sa production !

            On peut donc dire que le capital n’augmente pas plus vite que le PNB et que – pour être en conformité avec les affirmations de mes contradicteurs - si les retraités d’aujourd’hui acceptaient de se contenter du niveau de vie des retraités d’il y a trente ou cinquante ans (les « économiquement faibles ») il n’y aurait en effet aucun problème, mais voilà les retraités ne l’acceptent pas ! et bien entendu personne ne le leur demande.

            A de sujet faisons une remarque. Les fameux fonds de pensions censés résoudre tous les problèmes sont en fait minoritaires partout, même aux USA. De plus ils sont appréciés en fonction du prix du marché : quand Wall Street monte (en gros 1980-1990) tout va très bien, il n’y a même pas besoin de cotisations, mais depuis que Wall Street baisse les cotisations doivent compenser, elles ont représenté des milliards de dollars pour Ford et la General Motors, elles ne sont pas étrangères aux faillites retentissantes de ces dernières années.

            La répartition représente environ 40% du salaire moyen d’activité aux USA et 65% en France et en Allemagne. En Angleterre la répartition représente moins que le minimum vieillesse, d’où l’importance des fonds de pensions, les fameux « opting out », mais dix à vingt milliards de livres furent gaspillés au temps de Madame Thatcher.

            Dans les conditions d’aujourd’hui, le capital humain, dont le flux est l’éducation, représente environ trois fois le capital physique dont le flux est les investissements ; et c’est logique car le capital humain à une durée trois fois plus grande.

            Retenons qu’il n’existe pas de stock significatif de revenus, comme pour l’électricité, mais seulement des investissements physiques ou humains.

 

            Venons-en maintenant au (demi) mythe de la croissance.

            Ce n’est qu’un demi-mythe car la croissance à de nombreux effets bénéfiques, elle donne beaucoup d’emplois et permet l’emploi jusqu’à 65 ans. Cependant quand le rapport Charpin retient comme hypothèse de base une croissance de 3% pendant de longues années, on peut se demander s’il est vraiment réaliste et ce qui se passera si la réalité est moins optimiste.

            Remarquons qu’un certain nombre de mécanismes diminuent l’impact favorable de la croissance, par exemple quand, conformément à l’importance de la notion de revenu relatif, les retraites de fonctionnaires sont indexées sur le revenu des fonctionnaires en activité. Bien entendu les fonctionnaires sont très attachés à cette indexation, mais elle a aussi pour effet d’augmenter progressivement les charges de l’Etat, donc les impôts, et de contrarier la croissance.

            Ceci est d’ailleurs très général. On ne saurait trop reconnaître l’importance de cette notion de revenu relatif : c’est le baromètre usuel de tout un chacun. Mais ce réflexe alourdit considérablement l’efficacité de la croissance et restreint beaucoup la valeur des études économiques qui ne le prennent pas en compte à sa juste hauteur.

 

            Il me reste à tenter de donner quelques pistes.

 

            Les trois facteurs essentiels sont : A) Le niveau des retraites, B) celui des cotisations, C) l’âge de la retraite.

            Il faut, avant toute analyse de nature politique, se rappeler que la moitié des votants a plus de cinquante ans et que cet âge médian est actuellement en augmentation d’un an tous les trois ou quatre ans.

            Dans ces conditions il est politiquement très difficile de toucher au niveau des retraites, or d’autre part augmenter les cotisations est antidémographique et compromet l’activité économique. C’est donc l’âge de la retraite qui est le paramètre le plus efficace.

            Question d’un auditeur : Ne pourrait-on envisager des cotisations progressives, faibles tant que l’on est jeune puis plus importantes au fur et à mesure la probabilité d’arriver à la retraite grandit ? Réponse : Excellent idée. Elle est bonne du point de vue économique et a de plus l’avantage qu’elle serait sans doute assez facile à justifier devant l’opinion.

            Par contre, remarque un autre auditeur, il y a un refus formel que l’allocation dépendance soit payée uniquement ou même essentiellement par les plus de cinquante ans, bien qu’à plus de 90% ce soient eux qui en bénéficient.

            Le problème principal, c’est qu’il n’y a pas actuellement de mécanisme autorégulateur, c’est même plutôt le contraire.

            Ainsi en 1959 chacune des trois branches de la Sécu : retraites, santé et familles recevaient 3,1% du Produit National Brut. Aujourd’hui les pourcentages sont les suivants : 12,7% pour les retraites, 10,1% pour la santé et 2,7% pour la branche famille, dont d’ailleurs la plus grande part s’est dissoute dans l’aide sociale, ce qui est bien différent d’une politique familiale, et il ne reste que 0,7% pour les allocations familiales proprement dites... 

            Pour obtenir un mécanisme autorégulateur il suffirait, par exemple, que les droits à la retraite augmentent en fonction des charges liées à l’éducation des enfants. Il serait bon aussi de passer du système des annuités à celui des points qui est nettement plus souple, à l’image des comptes notionnels suédois.

            Avec ces idées, associées à une plus grande flexibilité de l’âge du départ en retraite, on doit pouvoir améliorer considérablement la situation. Mais une condition absolument nécessaire est une très sérieuse éducation du public, il y a actuellement dans les médias un énorme déficit de pédagogie.

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Question

 

            Que pensez-vous de la différence investissements de productivité, investissements de capacité, différence négligée dans la comptabilité nationale ? Seuls les seconds sont favorables à l’emploi et à la démographie.

            Réponse : En effet, l’investissement de capacité – construire à tel endroit une nouvelle usine de telle taille pour augmenter la production – est une décision beaucoup plus lourde et risquée que celle d’acheter une machine plus moderne pour améliorer la productivité. En conséquence cette décision est prise à un niveau très élevé, généralement la direction même de l’entreprise, et après des études très serrées portant sur l’évolution  des goûts de la clientèle, sur l’importance du marché futur à long terme, sur les facilités économiques, géographiques, fiscales, syndicales, etc. Bien entendu la future évolution démographique joue un rôle déterminant. Il y a là une interaction action forte puisque ces investissements de capacités contribuent en retour beaucoup à l’emploi et donc à une démographie saine.

            Ce sont ces investissements de capacité qui ont fait le dynamisme économique et démographique de l’Europe des « trente glorieuses » et qui font celui de la Chine d’aujourd’hui.

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