Par Jean-Claude Barreau, écrivain,

ancien Directeur de l’Office National de l’Immigration

et de l’Institut National d’Etudes Démographiques,

Inspecteur général de l’Education Nationale.

Il y a déjà 15 ans que François Mitterrand a appelé Jean-Claude Barreau à la direction de l’Office National de l’Immigration devenu aujourd’hui l’OMI (Office des migrations internationales) et le premier souci du nouveau directeur à été de changer le discours de l’Office. Le discours giscardien était très simple : " l’immigration a été arrêtée ", mais cela ne correspondait nullement à la réalité et il a fallut faire passer le message " Il y 100 000 immigrants réguliers par an, et en plus tous les clandestins ".

Ce nouveau message a provoqué un choc dans l’opinion et est à la base des lois Pasqua devenues les lois Chevènement qui en gros sont les mêmes. Mais, et c’est là le point décisif, le gouvernement actuel n’ose pas les appliquer.

Il faut comprendre que l’immigration clandestine coûte très cher aux candidats au voyage : jusqu’à 100 000 francs par personne pour les passeurs et les filières illégales. En conséquence le renvoi dans le pays d’origine est très dissuasif et dans les années 1996-97, avec environ 25 000 renvois chaque année, l’immigration clandestine avait beaucoup diminué. Mais les fameux " charters " (un tous les deux jours) avaient mauvaise presse et les renvois sont désormais individuels : le clandestin, menottes aux mains, est mélangé aux autres passagers. Inutile de dire que s’il se débat, crie et fait du scandale le pilote refuse de l’embarquer... Ceux qui veulent absolument rester y arrivent sans trop de peine ! Avec un nombre de renvois tombé à 7000 ou 8000 par an l’immigration clandestine est à nouveau florissante.

Une question sur les pays de destination des " charters " : l’Afrique noire bien sûr, mais aussi la Chine, l’Inde, l’Afrique du Nord, la Turquie...

De nombreux pays n’hésitent pas à pratiquer une immigration sélective, fonction de leurs besoins propres, et parmi eux les Etats-Unis d’Amérique et même une démocratie exemplaire comme le Canada.

Entendons-nous bien, l’immigration n’est pas un mal en soi, mais il faut des limites et il faut l’assimilation. Il y a eu 7 millions d’immigrés en France au 20^ième siècle et l’assimilation a longtemps fonctionné remarquablement. Léon Gambetta avait 18 ans quand il fut naturalisé français et il disait volontiers " ce fut le plus beau jour de ma vie... ".

L’ assimilation est aisée pour les cadres et beaucoup plus difficile pour les travailleurs peu qualifiés, c’est vraiment une question culturelle.

La France est une création du catholicisme au moins autant que du rationalisme et l’assimilation est bien sûr beaucoup plus aisée pour les immigrés d’origine judéo-chrétienne : Arméniens, Polonais, Italiens, Espagnols, Portugais, Arabes chrétiens...(Liban, Egypte). Combien savent que Jean Daniel est un juif Algérien ? Il est aussi nécessaire d’avoir une forte natalité " indigène ", c’est à dire de nos nationaux, et une volonté populaire d ‘assimilation. Sur ces deux derniers points la France est mieux lotie que la plupart des autres pays européens.

Il y a des difficultés avec l’Islam car c’est une religion de conquérants qui ont peu connu le phénomène de la diaspora. Mais le problème principal est la démission des dirigeants français.

On peut dire que la plupart de nos dirigeants politiques ont secrètement honte de la Nation française et sont plus ou moins américanolâtres. Cette démission collective vient de loin, elle est liée à Mai 68, à la construction européenne, aux excès du nationalisme et aux deux guerres mondiales dont les responsabilités sont surtout européennes, elle est même liée au " colonialisme " dont on nie les aspects positifs... Cette démission atteint tout aussi bien des hommes comme Bayrou, Jospin ou Chirac, et ne voit-on pas un grand patron comme Jean-Marie Messier qui règne sur l’édition et exige que ses collaborateurs utilisent l’anglais comme langue de travail... Il a remplacé la devise Liberté, Egalité, Fraternité par People, Value, Vision !

La France n’est pas une ethnie, elle est fondée sur l’idée du droit, qui nous vient du droit romain, et sur une idée d’universalité.

Il faut bien comprendre qu’il n’y a pas, sur l’ensemble de notre planète, un seul état polyculturel qui fonctionne vraiment. Si donc l’assimilation ne fonctionne plus elle est remplacée par la substitution et l’on assiste à une colonisation au sens romain, grec ou israélien du terme : par différents moyens une population chasse et remplace une autre avec tous les risques de guerre civile que cela entraîne.

Dans ces conditions il est logique que tant de nos concitoyens se replient sur des identités régionales : Corse, Bretagne, Pays Basque... C’est évidemment un désastre mais reconnaissons que la " construction européenne " pousse dans ce sens : " L’Europe aux cent Nations ! " . Bien entendu les Américains ne demandent pas mieux : ce n’est pas la Bretagne ou la Corse qui pourra contester leurs diktats... et il ne sera que trop facile d’entretenir la division. Leur actuelle exigence de l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne va dans le même sens. (Entre nous de quoi se mêlent-ils ?)

Monsieur Barreau termine son exposé par quelques exemples effarants de l’inculture de nos dirigeants et du malthusianisme de la commission de Bruxelles. Il nous présente aussi un tableau de l’Institut Universitaire de Technologie de Saint-Denis où son fils est professeur de Mécanique : entre eux les étudiants parlent arabe...

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Questions

Il y a tout de même des exemples rassurants, ainsi la " Ligue Lombarde " devenue " Ligue du Nord " proclame l’indépendance de la " Padanie "... et se fait bouder par le public italien.

Réponse : Certes mais cela n’empêche pas l’Italie de courir au désastre avec 1,2 enfants par femme seulement. Au moins en France nous n’en sommes pas là, il y a encore des enfants même si c’est en nombre un peu insuffisant pour le remplacement des générations et depuis trois ans les taux de fécondité ont remonté à tous les âges, y compris au delà de 35 ans.

La crise n’est-elle pas universelle ?

Oui, la natalité s’est effondrée partout. L’Afrique du Nord naguère prolifique passe aujourd’hui sous le niveau de remplacement. Le même phénomène s’étend à l’Egypte, à l’Iran et à une majorité de pays. Le Japon devient de plus en plus un pays de vieillards, ce qui est lié à sa récession actuelle, etc. Cependant il faut tenir compte de l’inertie des phénomènes démographiques : c’est l’Europe qui, la première, risque demain de se trouver dans une situation impossible... et les évènements dramatiques peuvent s’enchaîner très vite.

L’ Amérique a un peu plus de temps devant elle, le patriotisme y reste élevé et l’armée forte, les Américains sont fiers de leur pays et savent défendre ses intérêts en étant libéraux à l’extérieur mais keynésiens à l’intérieur. Cependant je ne leur donne pas dix ans de survie après la probablement prochaine " mérovingisation de l ‘Europe ".

Que répondrait à votre avis Jean-Marie Messier si on lui disait que ses méthodes sont stupides ?

Il répondrait sans doute " Mais je gagne plus d’argent que vous ! ". L’ argent est devenu le seul critère de beaucoup de nos contemporains, ce qui présage un avenir très sombre pour leurs enfants. Au moins les richissimes banquiers du passé, les Médicis et les Farnèse savaient que Noblesse oblige et avaient un certain souci du bien public. Ils savaient que la beauté est utile au peuple et faisaient construire des merveilles comme la Piazza Navone. Rien à voir bien sûr avec nos banlieues.

( Nota : Jean-Claude Barreau est un spécialiste de l’histoire de la République de Venise ...).

Pensez-vous que l’action de nos hommes public soit une trahison délibérée ?

Non c’est simplement une mode intellectuelle : Giscard a fait passer dans les lois ce que Mai 68 avait pensé et il est très difficile désormais de garder le bon et de rejeter le mauvais.

Que pensez-vous du désastre démographique de la Russie ?

Certes la situation russe est très grave. Pourtant je la crois circonstancielle et non fondamentale. Les Russes restent très patriotes et fiers de la Russie (par chance Staline était Géorgien...) . Ils sont aussi très cultivés et avec un grand sens historique, rien à voir avec l’Européen moyen d’aujourd’hui...

Importance de la religion ?

Elle est importante mais pas nécessairement fondamentale. L’Empire romain a tenu des siècles avec des dirigeants qui ne croyaient que fort peu à leur propre religion mais qui avaient le sens de l’Etat et savaient poursuivre pendant des décennies une politique impopulaire mais nécessaire. Ajoutons que c’est quand le sens de l’Etat a disparu que l’Empire s’est écroulé.

Que pensez-vous des récentes décisions de Gérard Schröder au sujet de la politique familiale ?

Je note d’abord que le Chancelier prend soin de dire " qu’il sait très bien que ce genre de mesures n’a aucun effet sur la natalité " , mais comme il connaît parfaitement les effets de ces mesures sur l’Allemagne de l’Est des années 1976-89 ce n’est évidemment qu’une clause de style destinée à lui éviter les critiques. Ajoutons que l’essentiel est bien entendu de savoir s’il va effectivement les mettre en œuvre. Si cela est ce sera un signe très encourageant qui pourrait bien nous sortir de notre situation désastreuse car en Europe aujourd’hui c’est l’Allemagne qui donne le ton.

Monsieur Barreau termine son exposé par quelques autres éléments de réconfort, français ceux là : La critique de Mai 68 est devenue sérieuse, équilibrée et partagée. Les Françaises de plus de 35 ans ne renoncent pas à avoir des enfants contrairement à tant de leurs consœurs européennes. Les Français gardent un esprit universaliste comme en témoigne la controverse sur le foulard à l’école : l’Anglais qui voit une Pakistanaise porter le voile dans les rues de Londres n’y fait même pas attention, de toute façon il n’a aucune intention d’épouser un jour une Pakistanaise. Le Français, et la Française, eux, voient une femme contrainte ou endoctrinée, ils savent que son mari et ses frères y voient une marque de leur soi-disant " supériorité " et n’ignorent pas que les mariages interculturels sont beaucoup plus répandus en France qu’ailleurs en Europe.

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Parmi les livres de Jean-Claude Barreau notons " De l’Islam en général et du monde moderne en particulier ", livre qui lui coûta son poste de Directeur de l’Office National de l’Immigration, et le tout récent " La France va-t-elle disparaître ? " ( Editeurs : Le pré aux clercs, puis Plon ) .

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