Groupe X-Démographie-Economie-Population

Exposé du 18 Octobre 2000

Perspectives de gestion de l’argent des retraites face au vieillissement

par Monsieur Patrick Arthus,

Directeur des études économiques et financières de la caisse des dépôts et consignations.

L’exposé de Monsieur Arthus s’appuie avant tout sur le modèle économique ‘’à générations imbriquées’’ mis au point par Samuelson et Maurice Allais. Ce modèle a pour caractéristique essentielle de tenir le plus grand compte de la variation en fonction du temps des effectifs de chaque âge, ce qui est évidemment un élément déterminant de la politique des retraites.

Depuis quelques décennies les économistes et les démographes, en particulier Didier Blanchet et ses collègues de l’école belge, ont été obligés de reprendre toutes leurs études habituelles à cause de deux phénomènes qui certes ne sont pas entièrement nouveaux mais qui ont pris une ampleur que l’on n’avait pas anticipée : l’allongement de la durée de la vie et la baisse de la natalité.

Quelques chiffres pour vous situer l’importance mondiale de l’allongement de la vie.

A) En Chine et en Asie orientale l’espérance de vie à la naissance est passée de 40 ans en 1950 à 72 ans aujourd’hui ; les chiffres de l’Inde sont très voisins.

B) Proportion des plus de 60 ans (sauf bouleversement improbable) :

1990 2035

Amérique Latine 7% 28%

Chine 9% 24%

Inde 7% 15%

Les chiffres pour l’Europe ne sont pas si différents ( 20% en 2000, 30% en 2035 et même 35% en Allemagne et en Italie, à cause de la dénatalité).

Monsieur Arthus souligne une difficulté des Chinois : l’existence de peut-être 150 à 200 millions de ‘’black children’’, c’est à dire d’enfants non déclarés et hors statistiques. C’est l’une des conséquences de la politique de l’enfant unique...Ajoutons qu’une bonne partie de ces enfants ne sont pas ou peu scolarisés !

Une question sur la validité des chiffres de 2035. Réponse : d’ici 2035 les différences possibles de politique démographique et familiale ainsi que celles sur les progrès de la médecine ne modifieraient ces chiffres que de quelques pour-cent. La tendance générale est très lourde et ne sera pas modifiée. (Seuls des événements catastrophiques de très grande ampleur le pourraient...mais alors aucune prévision n’est possible).

Une autre question sur la situation de l’Afrique. Réponse : beaucoup d’incertitudes, guerres, sida, gestions souvent déplorables sans comparaison possible avec celles des pays d’Asie...

Quelques comparaisons économiques : les taux d’ épargne asiatiques sont très élevés (40% en Chine) et l’Asie, Inde comprise, n’a guère besoin des capitaux étrangers alors que le souvenir des années d’hyperinflation conduit les Sud-Américains à des taux d’épargne faibles et à un grand besoin de capitaux extérieurs...ce qui est aussi le cas de la Pologne qui s’équipe avec rapidité.

Venons en maintenant à l’influence de la démographie sur l’épargne et l’économie. Tout d’abord sur le plan individuel on constate qu’en général les jeunes de 20 à 40 ans s’endettent pour s’équiper et se loger, puis vient une période d’épargne jusque vers 60 ou 65 ans et enfin aux âges élevés arrive une période sinon d’endettement du moins de désépargne.

Lorsque l’on combine ces tendances générales avec les analyses démographiques on obtient des effets importants en fonction de l’âge de la " génération nombreuse " (c’est à dire celle qui a peu d’enfants et qui est donc plus nombreuse que la suivante).

Cette génération a plus de problèmes économiques que les autres : quand elle cherche du travail elle se heurte à une plus grande concurrence que dans les autres générations ; quand elle s’endette elle trouve des taux moins intéressants pour la même raison ; quand plus tard elle désépargne la vente simultanée d’une plus grande quantité d’actifs face à une demande plus faible déprécie fatalement ses offres...

C’est ainsi qu’aux USA, de 1970 à 2000, on voit la proportion des 40-60 ans baisser en une quinzaine d’années de 23 à 19% puis remonter à 26%, le volume de l’épargne suit très précisément la même courbe...l’insuffisance d’épargne atteint 3% en 1986 et se retourne en un excès de 3% en 2000, ce qui entraine des effets en chaîne avec un coefficient d’amplification important

Il ne faut pas s’exagérer l’importance des héritages, tout d’abord il n’y a guère plus de 20% d’héritages altruistes et ensuite les héritages ne représentent que 2% du PIB contre 13% pour les retraites.

Une différence importante au sujet de la capitalisation boursière : elle représente 2 années du produit intérieur brut aux USA contre seulement 8 mois en France, dont d’ailleurs la moitié est aux mains des étrangers. Mais il y a d’autres ‘’exceptions américaines’’ au sujet du taux d’inflation (très faible) du taux de chômage (fortement décroissant depuis quinze ans) des taux d’investissements productifs (passés récemment sous les taux français). On note enfin aux USA une forte corrélation entre les cours boursiers et la consommation ainsi qu’ une surévaluation du prix des actifs.

Très logiquement, selon la théorie du modèle à générations imbriquées, les USA montrent aussi une grande corrélation entre les évolutions démographiques et celle de l’indice boursier PER ( Price Earning Ratio) avec les profits correspondants.

Cette étude des effets du vieillissement sur les retraites aboutit à un résultat quelque peu inquiétant : un retour sans doute inéluctable de l’inflation vers les années 2010-2015. Mais ce message n’est pas compris et les titres indexés sur l’inflation sont délaissés, ce qui peut d’ailleurs se comprendre car actuellement les taux d’intérêt à long terme sont de l’ordre de 5% tandis que le taux d’inflation n’est que de 1,5%.

Il faut bien entendu aborder la question retraite par capitalisation ou retraite par répartition. Ce débat est très mal posé en France, c’est pratiquement considéré comme une question morale et non comme un problème économique. Quelques chiffres sont impressionnants : les fonds de pension représentent 2% du PIB en France contre près de 70% en Grande-Bretagne et en Suède. Reconnaissons toutefois que si la retraite par capitalisation a donné de bien meilleurs résultats pendant les vingt-cinq dernières années cela risque d’être beaucoup moins vrai dans l’avenir.

Monsieur Arthus termine son exposé par un avertissement : Achetez des obligations indexées sur l’inflation, les revenus de l’Etat le sont et il peut donc tenir ses promesses en ce domaine ! Tandis que les divers moyens de technique bancaire (taux d’intérêt, etc.) ne peuvent rien contre une inflation par insuffisance de l’offre... Puis il fait part de ses relations avec les syndicalistes et les hommes politiques : Nicole Notat a compris que nous étions au pied du mur : il y a eu en 1946 trois cent mille naissances de plus qu’en 1944 ce qui veut dire que d’ici cinq ans les ressources consacrées aux retraites vont commencer à croître considérablement, elle convient qu’il va falloir augmenter l’âge de la retraite et que les préretraites sont une erreur tragique. Par contre, conclut l’orateur, j’ai totalement renoncé à discuter sérieusement avec Madame Martine Aubry.

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Questions

A) Je suis heureux de voir que la démographie est désormais prise en compte très sérieusement par les économistes. Mais je me demande tout de même si ceux-ci ne la considèrent pas comme une importante variable extérieure, qui certes conditionne toutes les analyses, mais qui n’est guère conditionnée elle-même par l’économie.

Réponse.

Vous avez raison. Faute d’une théorie efficace et à cause des si nombreuses erreurs passées des démographes les économistes n’osent se risquer sur ce terrain difficile ; ils font ce qu’ils peuvent et prennent la démographie comme une variable exogène même si de toute évidence ce n’est pas le cas. Tout ceci doit être amélioré.

B) Incidence de la durée du travail et de l’âge de la retraite ?

Ces deux questions sont importantes et c’est une évidence que l’augmentation du pourcentage des actifs ( entrée dans la vie professionnelle, âge de la retraite) est un facteur favorable à l’efficacité du système de retraite. Pour avoir une idée du retard de la France et de l’Europe dans ce domaine il faut méditer sur les chiffres suivant :

Pourcentage des actifs chez les 55-65 ans

Japon : 80% ; USA : 59% ; Union Européenne : 38% ; France : 28%

Pourcentage des actifs chez les 20-25 ans

USA : 66% ; Union Européenne : 44%

Ajoutons y un échec universitaire colossal dans notre pays, puisque la moitié des étudiants n’y vont pas au bout de leurs études...

C) Une question sur l’immigration pour pallier aux déficiences du nombre des actifs.

Réponse : C’est totalement irréaliste. Ce ne sont évidemment pas des immigrés peu éduqués qui amélioreront la situation, d’autant plus qu’il faudrait plus tard leur payer des retraites. Quand aux étrangers éduqués pourquoi voulez vous qu’ils viennent ? Prenez l’exemple des informaticiens Indiens ; Gérard Schröder voulait en faire venir 50 000, il n’en a trouvé que 300, les autres préfèrent bien sûr travailler chez eux ce qui est aisé en informatique. Nous allons vers la délocalisation du travail plutôt que vers l’immigration et la France n’échappera pas en à l’augmentation de l’âge de la retraite, augmentation qui a déjà commencé dans plusieurs pays d’Europe.

L’importance de la démographie est montré par l’exemple de Daimler. Sa croissance annuelle est de 5% aux USA et de 2% seulement en Europe. La différence est pour une part due à une différence d’investissement et pour l’autre à la différence de dynamisme démographique.

D) Que pensez vous de la situation de l’Italie ?

Réponse : L’Italie est certes en avance sur le reste de l’Europe dans le processus de vieillissement, mais pas tant que cela. C’est dans toute l’Europe que le prix du capital va baisser.

Monsieur Patrick Arthus termine sa présentation en donnant des renseignements sur le modèle économique ‘’à générations imbriquées’’ et sur le livre où ce modèle est décrit (Guillaume Faye aux éditions de l’Ancre).

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