X-DEMOGRAPHIE, ECONOMIE, POPULATION
CONFERENCE DU 9 MARS 1999
MONDIALISATION ET MONNAIE EUROPEENNE
Par Michel Aglietta, professeur d’économie à l’Université de Nanterre et expert du C.E.P.I.I., le Centre d’Etudes, de Prospectives et d’Informations Internationales.
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Monsieur Aglietta commence son exposé en nous remerciant de l’avoir invité (mais bien entendu, c’est nous qui le remercions d’être venu), puis nous brosse à grand traits un tableau vivant de la mondialisation .
" La globalisation est un processus très profond qui a des conséquences dans de très nombreux domaines. Dans le domaine qui nous occupe aujourd’hui, la monnaie, on constate un très grand bouleversement du système financier ; le secteur bancaire est en pleine restructuration*.
Bien entendu la monnaie européenne entraînera quelques difficultés à l’intérieur des onze pays de l’union monétaire à cause des disparités du travail et de son marché et à cause des différences de politique économique, mais les changements dus à la globalisation, et aussi à l’évolution démographique sont autrement plus importants : libéralisations internes, recherche de la richesse financière, institutionnalisation de l’épargne ".
Pour étayer ses propos, l’orateur présente un tableau du rapport de la richesse financière au revenu annuel disponible pour différentes périodes et différents pays, tableau dont voici un extrait :
Période |
USA |
Japon |
Allemagne |
France |
UK |
1981-85 |
2,52 |
1,46 |
1,58 |
0,85 |
1,60 |
1993-97 |
3,11 |
2,24 |
1,85 |
1,77 |
2,75 |
Rapport (richesse financière) / (revenu annuel disponible)
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On constate une croissance rapide de ce rapport, surtout en France qui était en retard, et la recherche du rendement maximal sur le marché des capitaux conduit à une augmentation très forte du poids des investisseurs institutionnels : de 1980 et 1997 leur importance est multipliée par des nombres entre 3 et 8, selon les pays !
Il faut comprendre qu’il y a deux conceptions très différentes des systèmes financiers, d’un côté le crédit intermédié par le système bancaire qui possède une grande stabilité dans les relations banquier-client et une bonne connaissance mutuelle. Les dysfonctionnements se produisent par détériorations des créances, lesquelles sont dissimulées le plus longtemps possible. Les instabilités de ce système sont liées aux compensations interbancaires. L’autre système est celui du financement par le marché des capitaux où le pool de prêteurs est beaucoup plus large, mais où la connaissance mutuelle est faible, où les dysfonctionnements se produisent par de brusques variations des prix et où l’instabilité est liée aux crises de liquidités et aux contagions entre marchés.
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* Coïncidence significative : Le lendemain même de l’exposé de Monsieur Aglietta, la Banque Nationale de Paris lançait son offre publique d’échange du groupe Société Générale- Paribas.
Il y a danger de crise en Europe à cause de la restructuration nécessaire du système bancaire et aussi parce que les banques européennes sont directement engagées en Russie et en Amérique du Sud (cinq à six fois plus que les banques américaines).
Conséquences pour la politique monétaire.
Examinons tout d’abord la surprenante croissance américaine, longue, sans chômage (4%), sans inflation. Celle d’après-guerre était régulée par l’inflation et les taux d’intérêt.
Aujourd’hui la régulation se fait par les variations de la bourse ; le taux d’épargne américain est tombé à presque zéro, la consommation est soutenue, l’endettement élevé, la concurrence extérieure très forte ( avec régulation par le taux de change du dollar). Il y a certes un danger d’instabilité, mais il faut reconnaître que Mr Greenspan, le Président de la banque centrale américaine, est très compétent. La stabilité économique est sa priorité principale.
Les gouverneurs européens n’en sont pas encore là, ils n’ont pas encore fait leur révolution psychologique. Leur objectif principal n’est toujours pas la lutte contre le chômage mais reste la lutte contre l’inflation, laquelle a pourtant à peu près disparu. Cette différence pourrait être une source de manque à croître en Europe si elle n’était pas corrigée.
Il y a bien sûr d’autres problèmes européens, en particulier les grandes disparités économiques. Si de futures lois européennes poussent à l’uniformisation des salaires - et des coûts salariaux, car il ne faut pas oublier les charges sociales - il faut s’attendre à de graves difficultés et une augmentation du chômage dans des pays comme l’Irlande ou le Portugal. Il y a aussi le risque de gaspillage d’investissements car la main d’oeuvre européenne est fatalement moins mobile que celle des Etats-Unis qui parle une langue unique.
La politique de la banque centrale européenne est difficile, elle a en principe une indépendance d’objectif mais cela peut s’avérer un handicap car la politique monétaire ne peut pas être efficace si son orientation n’est pas compatible avec celle des gouvernements du point de vue des potentiels de croissance et des taux de change. C’est pourquoi une concertation est indispensable en dépit des dispositions du traité. La plus grande difficulté réside dans la possibilité de " chocs asymétriques " entraînant une évolution divergente des différents pays.
En l’absence d’un fédéralisme fiscal, comme aux USA et au Canada, il faudrait tout au moins organiser une coordination plus discrétionnaire avec un fond conjoncturel important à la disposition du Conseil de l’Europe pour permettre un minimum de solidarité budgétaire.
Le principal travail actuel est la gestion de la transition bancaire prenant en compte les nouvelles dynamiques de la croissance, avec en vue un Euro fort qui inspire la confiance.
La question du taux de change Euro-dollar est délicate (en ce moment 1,08 dollar pour un Euro). Le court terme est parasité par la spéculation. Sans faut-il viser un taux de change lentement fluctuant à long terme en distinguant bien le taux de change réel, basé sur les rapports de prix, du taux de change nominal affiché en banque. Ce dernier est lié à la balance des paiements courants et aux rapports ‘productivité du secteur concurrentiel / productivité du secteur abrité’ tels qu’ils sont d’une part en Europe et d’autre part aux USA.
Le système de Bretton-Woods était basé sur l’importance des réserves de chaque pays, tandis qu’aujourd’hui ce qui compte c’est l’attraction et la compétitivité des marchés financiers. Elles entraînent de fortes polarisations des balances courantes. Ainsi le Japon est passé d’un excédent de 75 milliards de dollars en 1991 à 125 milliards en 1998 tandis que l’Europe dans le même temps partait d’un déficit de 70 milliards de dollars pour aboutir à un excédent de 120 milliards, cependant que les Etats-Unis creusaient un déficit courant de 250 milliards de dollars...
Les conceptions européenne et américaine de la force d’une monnaie sont très différentes. Pour les Américains une monnaie forte joue bien son rôle de mécanisme d’ajustement et le niveau des taux de change est secondaire. Pour les Européens au contraire une monnaie forte est une monnaie appréciée (exemple le Franc suisse), une monnaie qui valorise les créances et les taux de change tandis que son influence sur le taux du chômage est considérée comme secondaire. La marche vers l’Union politique européenne nous permettra sans doute de passer à la conception américaine, mais cela risque tout de même de prendre quelques années.
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Il y a de nombreuses questions.
" Pourriez vous dire quelques mots sur la Banque des règlements internationaux "?
Réponse : Cette banque, dont le siège est à Bâle, a été fondée en 1930 à l’occasion de la gestion des paiements des Réparations allemandes. Elle offre des prêts lorsqu’il y a des besoins urgents de liquidités et a été à l’origine d’un prodigieux développement des règlements internationaux.
" Les questions financières ont tout de même moins d’importance que les questions ‘’réelles’’ comme les ressources, la mobilité du travail, l’importance du chômage. D’autre part ne pensez vous pas que la zone Euro n’est pas une zone monétaire optimale? Comme la régulation politique des salaires est en définitive impraticable et que seuls les marchés y arrivent, ce que l’on répugne à accepter en zone Euro, cette zone ne peut pas fonctionner correctement ".
Réponse : Certes, vous touchez du doigt un point sensible. La logique européenne repose sur les " critères de convergence ". Mais heureusement la mobilité des capitaux et la flexibilité de l’emploi entre les activités secondaires se substituent à la mobilité du travail.
" Ne vaudrait-il pas mieux garder les différentes monnaies? Car les salaires sont psychologiquement beaucoup plus difficiles à adapter que les taux de change et nous allons ainsi perdre des paramètres commodes d’ajustement ".
La réponse commence par un petite discussion entre les deux interlocuteurs sur la comparaison des budgets fédéraux européens et américains, le premier est de toute façon beaucoup plus petit que le second. Puis Mr Aglietta souligne que l’union monétaire est un choix à long terme d’intégration qui transforme les économies nationales et réduit les écarts de revenus entre les pays. Les disparités structurelles concernent plus les régions que les pays. La réponse à ces problèmes est essentiellement politique. Elle dépend de l’ampleur et de l’allocation des fonds structurels.
La question suivante aborde les problèmes démographiques, on ne peut plus continuer comme cela , il va fatalement falloir prendre des mesures.
Réponse : N’attendez pas de mesures avant les élections européennes de Juin, mais après il y aura sûrement des mesures difficiles, comme une inévitable augmentation progressive de l’âge de la retraite, telle que suggérée par le rapport du Conseil Général au Plan.
"La domination des marchés financiers et l’importance des fonds de pensions n’entraînent-elles pas une instabilité des fluctuations boursières. Y a t-il un risque de dépression? ".
Réponse : Cela peut arriver, ainsi en Octobre dernier lors de la crise russe on a pu craindre une perte généralisée de la confiance. Il est heureux que l’intervention bénéfique de Mr Greenspan ait été si efficace. On peut penser qu’en Europe le risque est faible grâce aux possibilités de " prêteur en dernier ressort " de la part de la banque centrale.
" Pensez vous que l’Euro va aboutir à la fin de l’hégémonie américaine? ".
Mr Aglietta commence sa réponse avec quelques exemples tirés de la fin des hégémonies espagnoles et anglaises puis souligne les différences avec la situation américaine. Celle-ci est, pour le moment, fondamentalement saine. Cette réponse attire les objections des démographes car de ce point de vue l’Amérique évolue rapidement dans un sens défavorable.
Une question sur les mouvements de capitaux.
Réponse : Ces mouvements sont aujourd’hui multipliés par le nombre des intermédiaires et par les allers-retours rapides dus aux arbitrages. Reconnaissons qu’ils atteignent jusqu’à 800 milliards de dollars par jours et qu’ils risquent de provoquer des avalanches en cas de crise comme cela s’est produit à l’automne 1997 en Asie.
" Etes vous favorable à la taxe Tobin ? ".
Réponse : Non, cela n’empêche pas les crises et ne les résout pas. Ainsi après la crise du Système Monétaire Européen de Septembre 1992, la Suède a cru s’en sortir en montant les taux jusqu’à 500% mais cette première mesure n’a pas été efficace. Le contrôle des liquidités, méthode employée au Chili, est bien meilleur.
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